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Proche-Orient

Sharon de plus en plus isolé

A quelques heures de l’arrivée à Jérusalem de Colin Powell, le premier ministre israélien a continué de défier les Etats-Unis, en déclarant que Tsahal resterait dans les villes palestiniennes occupées "tant que les terroristes ne se rendraient pas". Une attitude qui l’isole de plus en plus sur le plan international et le fragilise sur la scène politique israélienne.
Un peu plus de quinze jours après le début de l’offensive militaire de Tsahal dans de nombreuses villes cisjordaniennes, le bilan militaire est sans doute, aux yeux d’Ariel Sharon, positif. Plus de 4 000 Palestiniens ont été arrêtés, dont 2 017 pour la seule journée de mercredi 10 avril, et parmi eux 121 "activistes présumés", a annoncé jeudi l’armée israélienne. Dont. Mais, à quelques heures à peine de l'arrivée en Israël de Colin Powell, le premier ministre israélien paraît de plus en plus isolé sur le plan international, contesté en Israël même, voire menacé dans son propre camp, en raison de sa "stratégie suicidaire". Désormais, la "guerre de survie d’Israël" qu’il dit mener risque de plus en plus de menacer sa propre survie politique.

Sur le plan international, le " quatuor " de Madrid (ONU, USA, UE et Russie) a clairement pris position mercredi contre la stratégie du premier ministre israélien : "Israël doit se retirer" et "toutes les parties doivent faire un pas en arrière", ont-ils déclaré. Mais ils ont ajouté une phrase clé : "Il n’y a pas de solution militaire au conflit". Alors que depuis toujours pour Sharon, seule la poursuite d’une confrontation, plus ou moins violente en fonction des circonstances, permet d’éviter le pire, à savoir la mise en place d’un véritable Etat palestinien. N’a-t-il pas dit à plusieurs reprises que le seul Etat palestinien qu’il conçoit … existe déjà, et c’est la Jordanie ? Une "solution" caressée dans le passé également par de nombreux leaders travaillistes, qui avaient constamment pris soin de ne jamais couper les ponts avec la monarchie au pouvoir à Amman. Une chimère qui ne semble vraiment plus à l’ordre du jour.

"La politique israélienne renforce Arafat"

Quelques heures à peine après la prise de position de Madrid, l’Allemagne - un allié traditionnel d’Israël - annonçait sa décision d’imposer un embargo sur les armes à destination de Tsahal. Mais c’est en Grande Bretagne, fidèle compagnon de route d’Israël et ancienne puissance coloniale, que les prises de position ont été les plus fermes. Pour Tony Blair "la stratégie actuelle (de Sharon) ne mène nulle part" ; alors que Jack Straw (Affaires étrangères) s’est adressé directement aux Israéliens pour leur dire : "Cela ne vous fait aucun bien : vous perdez des amis, des partisans et de la compréhension dans le monde, et qui plus est, il n’y a aucun signe que cette tactique (consistant à) intervenir dans les territoires occupés apporte la paix accompagnée de sécurité". Et le ministre de conclure : "Bien que l’infrastructure de l’Autorité palestinienne ait été largement détruite, l’autorité d’Arafat a paradoxalement augmenté à la suite de l’action menée ces dernières semaines".

De son côté, le commissaire européen aux Relations extérieures Chris Patten a déclaré : "Ce que Ariel Sharon essaye clairement de faire, c’est de prendre pour cible les accords d’Oslo, et de dénigrer l’autorité palestinienne. En détruisant l’ambition politique légitime du peuple palestinien, on n’améliore pas la sécurité d’Israël, on la sape".

Toutes ces prises de distance interviennent au moment où, sur le plan intérieur, Ariel Sharon a également durci sa position, et s’est lui même politiquement isolé. Dans le but évident d’éloigner les travaillistes Shimon Peres et Ben Eliezer du cœur du pouvoir, il a soudainement mis fin au conseil de sécurité intérieur. Auparavant il avait élargi sur l’extrême-droite son cabinet, pour y faire entrer des partisans de la colonisation de la Cisjordanie et de Gaza, et notamment le général à la retraite Effi Eitam : un extrémiste qui soutient la réoccupation par Tsahal des territoires autonomes mais aussi l’expulsion de Yasser Arafat. Ces décisions inattendues ont semé le trouble chez les travaillistes, et l’on n’exclut plus leur départ de la coalition. Et ce d’autant plus que Sharon a entre temps pris langue avec l’ancien premier ministre Ehud Barak, un rival notoire de Shimon Peres.

Conscient de la dégradation de l’image d’Israël, y compris dans les opinions publiques occidentales, Ariel Sharon a demandé mercredi à son ancien adversaire de "participer à la bataille de l’information". Quelques jours à peine après avoir changé radicalement d’attitude vis-à-vis des correspondants de la presse étrangère, désormais interdits de "couverture" de "la guerre qu’Israël mène contre les infrastructures du terrorisme" palestinien. Début avril, Sharon avait effectué la même démarche auprès d’un autre adversaire au sein de son parti (le Likoud) : l’ancien premier ministre (de 1996 à 1999) Benjamin Netanyahu.

Bien connu pour son éloquence, celui-ci n’avait pas dit non. Tout en continuant de rêver de revanche : il n’a toujours pas digéré la défaite subie face à Sharon lors de l’investiture du candidat du Likoud. Depuis Netanyahu a multiplié ses prises de paroles, mais pas toujours dans la direction souhaitée par Sharon. Contrairement à ce qu’on pouvait attendre de la part d’un leader politique souvent qualifié de "modéré", il a récemment pris fait et cause pour le création d’un "mur" séparant les communautés. Avant de réitérer sa position en faveur de "l’exil" d’Arafat : "Tôt ou tard, il devra s’en aller".

Sa volonté manifeste de déborder Sharon sur sa droite augure mal de l’avenir de la paix dans la région, mais d’abord de celui de Ariel Sharon. Celui-ci vient d’offrir involontairement un argument de taille supplémentaire à son rival de toujours : en répétant que l’opération "Remparts" et la destruction des "nids de terroristes" devait empêcher la poursuite des opérations suicide des Palestiniens. Les dix morts de l’autobus de Haifa ont porté un tragique démenti à une autre promesse clé du premier ministre. Et l’après-Sharon a probablement déjà commencé.



par Elio  Comarin

Article publié le 11/04/2002