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Proche-Orient

L’Europe défile dans le désordre

A Paris comme à Rome ou à Bruxelles des dizaines de milliers de manifestants ont défilé ce week-end dans les rues des grandes villes européennes. Plutôt dans la désunion, à l’image d’une Union européenne incapable de se doter d’une stratégie cohérente au sujet du Proche-Orient.
Paris a été le théâtre, dimanche 7 avril, de la plus importante manifestation pro-israélienne organisée en France depuis la fin de la deuxième guerre par des instances représentatives de la communauté juive. Celle-ci - évaluée actuellement à quelques 600 000 membres - est la plus importante d’Europe occidentale, bien avant celles de Grande-Bretagne, d’Italie ou d’Allemagne. Elle est parvenue à mobiliser 150 000 personnes (53 000 selon la police), derrière de nombreux drapeaux israéliens et un double mot d’ordre : dénoncer les dernières violences antijuives en France et soutenir Israël. Un mot d’ordre qui avait provoqué la veille un véritable affrontement au sein des instances dirigeantes du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France).

Cette révolte avait été lancée par près de la moitié du bureau du CRIF, et notamment par l’aile dite «de gauche», qui est allée jusqu’à menacer de participer dimanche à une contre-manifestation organisée par les pacifistes de «La Paix maintenant» et du cercle Bernard-Lazare : deux organisations communautaires juives favorables à la création d’un Etat palestinien, et qui n’ont finalement réuni que quelques deux à trois mille manifestants, dimanche à Paris.

Chasse aux Arabes et aux Noirs à la Bastille

Sur le front opposé, quelques centaines d’extrémistes de droite membres du groupuscule Betar ou de la Ligue de défense juive qui participaient au défilé de dimanche ont une nouvelle fois lancé une chasse aux Arabes et aux Noirs du quartier de la Bastille, à coups de casque, de pied, de poing, voire de batte de base-ball et de gaz lacrymogène. La police a été vite dépassée par les événements, tiraillée entre ces extrémistes agissant par petits commandos très mobiles, les pacifistes de «La Paix maintenant» et l’immense cortège du CRIF. Un policier a d’ailleurs été poignardé, vraisemblablement par un membre du Betar.

Sur le banc des accusés, on retrouve une fois de plus le président du CRIF, Roger Cukierman, soupçonné d’avoir organisé cette manifestation sans consulter le bureau du Conseil représentatif, mais avec le Consistoire central et l’Association des fils et des filles des déportés juifs de France. En réalité, on reproche surtout au président du CRIF d’avoir raté une occasion unique d’aider la communauté juive de France à sortir définitivement de son isolement, et de continuer de pratiquer une stratégie de «ghettoïsation» très peu républicaine. «De toute façon, a répliqué Cukierman, on ne peut s’exprimer publiquement sur les actes antijuifs commis en France sans évoquer la situation au Proche-orient et le terrorisme qui frappe Israël. Nous assistons à des manifestations quotidiennes pro-palestiniennes. Il était normal que la communauté juive manifeste à son tour».

La veille, en effet, près de cinquante mille personnes avaient participé à Paris à une manifestation pro-palestinienne, derrière de nombreux drapeaux palestiniens et des pancartes allant de «Nous sommes tous des Palestiniens» à «Hitler a un fils : Sharon», en passant par «Bush-Sharon assassins». Ce défilé avait été organisé notamment par le MRAP et la LDH, ainsi que d’autres associations, des partis politiques et des syndicats. Dans un communiqué, les organisateurs ont demandé «une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens dans des Etats aux frontières sûres et reconnues». Autant dire que le souci d’équilibre affiché par les organisateurs a été plus que dépassé par certains participants, sans que cela provoque de véritables débats.

Il en a été tout autrement à Rome, une ville habituée aux défilés de toute sorte, mais qui cette fois-ci a affiché les divisions profondes qui parcourent les mouvements pro-palestiniens et tout particulièrement les syndicats et partis de gauche. Quelque cinq mille personnes seulement ont défilé samedi en faveur des Palestiniens. Le cortège a été ouvert par des jeunes palestiniens de Rome portant keffieh et une banderole : «Contre le terrorisme, l’Intifada jusqu’à la victoire». Plus loin, un (petit) groupe de la communauté juive de la capitale italienne, criant des slogans en faveur de «la terre et la dignité pour le peuple palestinien» a été fort applaudi. Tandis que d’autres manifestants, bien plus radicaux sinon extrémistes, arboraient des pancartes du genre «Sharon bourreau», «Israéliens assassins», «Boycottons Israël». Ceci n’a guère été apprécié par les partis de gauche, qui ont préféré renoncer sur le champ au défilé. «Quand nous avons vu une banderole ‘contre les terrorisme d’Etat d’Israël’ nous avons compris que nous ne pouvions pas participer. Cette manifestation a été une occasion perdue», a dit ensuite un dirigeant des Démocrates de gauche (DS). Finalement seuls les mouvements «no global» et les sympathisants de Refondation communiste ont participé au défilé romain.

A Bruxelles, en revanche, près de 50 000 manifestants (9 500 selon la police) ont participé à un défilé exceptionnel pour réclamer «la création d’un Etat palestinien souverain et indépendant aux côtés d’Israël, avec Jérusalem comme capitale des deux Etats». Tandis qu’en Espagne, en Allemagne, et dans les pays scandinaves d’autres défilés ont rassemblés des milliers de manifestants généralement pro-palestiniens.

Finalement, les différentes manifestations du week-end en Europe ont été à l’image de l’Union européenne elle même, qui continue de prêcher la paix au Proche-Orient par la bouche de son président, mais demeure incapable de se doter d’une politique commune, en raison des clivages qui continuent de diviser les différents états membres.



par Elio  Comarin

Article publié le 08/04/2002