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Proche-Orient

«<i>Nous n’observons pas, nous agissons</i>»

Entretien avec Jean-Claude Amara, président de Droits devant !, une association à l’origine des «missions de protection civile du peuple palestinien». L’une d’elles a récemment mené une action spectaculaire en parvenant, malgré les tirs d’avertissement de l’armée israélienne, à pénétrer dans le QG de Yasser Arafat à Ramallah.
RFI : Quel est le principe des actions que vous menez en faveur des palestiniens ?

Jean-Claude Amara : Il s’agit d’être à la fois là-bas et ici. Là-bas, par l’envoi de missions de protection civile du peuple palestinien, aux côtés des Israéliens anti-colonialistes. Ici, tout le travail consiste à coordonner, à agir, à travailler dans les réseaux locaux, à étendre le mouvement de soutien. Ce qui caractérise ces missions, c’est leur état d’esprit, qui est de passer par des modes d’action ressemblant d’une certaine façon à ceux que utilisons dans le mouvement social pour les sans-papiers, les précaires, les démunis, etc. Des actions visibles qui ne soient pas simplement les manifestations habituelles ou des colloques, certes indispensables. Il faut aussi passer par des modes d’action aptes à interpeller les citoyens, tous ceux qui ressentent une indignation rentrée, et qui pour moi représentent une citoyenneté silencieuse. Cette dernière ne peut s’extérioriser qu’à partir du moment où les citoyens sont captés par des actions d’interpellation qui vont leur permettre en même temps de ne plus être simplement des consommateurs, et donc de subir une sorte de banalisation de l’horreur, mais de devenir acteurs à leur tour.

Ce qui est remarquable dans ces missions, c’est que, hormis les membres des associations, beaucoup de gens viennent en tant que citoyen lambda. Quand par exemple des gens de province reviennent de Palestine, ils témoignent et ont un énorme écho dans la presse régionale. Résultat, de simples citoyens les appellent en leur demandant comment ils peuvent partir eux aussi. Cela s’est fait à Niort, à Auxerre, à Strasbourg, à Perpignan, etc., jusque dans ce petit village de l’Ardèche où nous avons rassemblé récemment 280 personnes ! Il y a tout un maillage qui est en train de se faire.

«Caméra ou pas caméra, une balle perdue est vite arrivée»

Ce qu’il faut, c’est que la lutte en faveur du peuple palestinien ne se limite pas à quelques associations, quels que soient leurs mérites. Au retour de chaque mission, il faut élargir le mouvement au maximum. Et c’est ce qui se passe depuis le mois de juin dernier. Des collectifs se sont créés, ça s’étend partout. J’ai coutume de dire qu’une mission, c’est 5% de travail sur place dans les territoires, et 95% quand elle revient. Il faut créer une vraie coordination de lutte qui aujourd’hui en France a réellement maintenant une consistance. Mais elle doit aussi aller au delà de l’Hexagone. Nous étions 5000 à Bruxelles, le mois dernier, pour interpeller l’Union européenne sur nos revendications, c’est-à-dire, notamment, la rupture de l’accord d’association entre l’Union et Israël. Un vrai succès puisque nous pensions être à peine un millier.

RFI : Quel est votre but ? La mise en place d’une force d’interposition ?

JCA : Surtout pas ! Nos actions s’intitulent «missions pour la protection civile du peuple palestinien». Chaque terme a été pesé et réfléchi. Nous ne voulions pas du mot «délégation», car des délégations qui observent, qui constatent les violations des droits et qui s’en vont, cela fait 53 ans que les palestiniens en voient. Nous, on agit. «Civile» parce que ce sont les citoyens qui agissent. Par opposition aux institutions, Onu, Union européenne, gouvernements arabes, etc., et qui ne font rien. Il faut un vrai mouvement d’opinion publique pour les forcer à intervenir. Car ils ont les moyens de le faire. Mais il n’ont aucune volonté politique. Pourquoi «protection» ? Eh bien c’est fondamental. C’est pour casser l’intoxication de la symétrie, qui est aujourd’hui propagée par nombre de médias, et qui renvoie dos à dos des belligérants entre lesquels il faudrait s’interposer. Non. Il y a un peuple colonisé, agressé, opprimé, et de l’autre un État colonisateur, agresseur, et oppresseur. Enfin, pourquoi «peuple», et pas «les populations» ? Car ce serait accepter le principe de l’apartheid et la création de bantoustans.

RFI : Pour ce qui est de vos modes d’action sur place, vous avez visiblement opté pour le spectaculaire. Par exemple, le fait d’avoir réussi à rejoindre Yasser Arafat dans son GG...

JCA : C’est l’état d’esprit des missions. Au mois de juin 2001, quand nous sommes partis pour la première mission, les Palestiniens et nos amis israéliens ont été abasourdis par notre faculté de franchir les points de contrôle militaires, de bloquer des jeeps, d’aller libérer des Palestiniens emprisonnés arbitrairement, de franchir des barrages militaires pour aller récupérer des champs volés la veille, etc. Nous avons, à Droits devant !, à Droit au logement, une longue expérience et une certaine maîtrise des luttes collectives. Et cela doit être transmis aux personnes qui ne les ont pas. Il n’y a pas une seule mission dans les territoires palestiniens qui ne mène des actions offensives contre le colonialisme et contre l’apartheid imposé aux Palestiniens par les Israéliens. Et cela se retranscrit en France par les actions que nous menons dans l’espace public. Nous pensons que le peuple palestinien est sans doute le peuple du monde dont actuellement les droits sont les plus bafoués.

RFI : Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent, et notamment à José Bové, de toujours s’arranger pour être sous le feu des caméras ?

JCA : Que les caméras sont une protection à la fois pour les Palestiniens et pour nos missions, durant lesquelles nous prenons des risque très importants. Nous ne nous servons pas des médias dans un but de pouvoir, mais pour faire valoir les droits de tout un peuple. Quand José Bové, le leader de la Confédération paysanne, prend le risque avec des dizaines de militants internationaux de franchir les barrages militaires pour aller dans le QG d’Arafat, caméra ou pas caméra, la balle perdue ou la bavure peut venir très vite.



par Propos recueillis par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 05/04/2002