Proche-Orient
Jénine : les rescapés racontent
C’était un dédale de maisonnettes, c’est aujourd’hui un cratère de gravats. Les habitants d’Hawashin, au coeur du camp de Jénine, racontent l’offensive israélienne : un carnage.
De notre envoyé spécial à Jénine
Il est assis sur un parpaing, les pieds dans la boue et la mine perplexe. Il offre aux curieux qui défilent devant sa maison en miettes, un beau sourire amer. A ceux qui s’arrêtent, il raconte une histoire d’horreur avec des mots banals. Abou Ali, 49 ans, est le patron d’un petit supermarché de Jénine. Sa maison de deux étages était bâtie à l’entrée du quartier d’Hawashin, un lacis de ruelles au cœur du camp de Jénine. Quand les soldats l’ont encerclé, le 2 avril dernier, Abou Ali a pris un bout de papier. Jour après jour, il a consigné en une ligne, le déroulement de l’attaque. A la date du 12, alors que les derniers combattants palestiniens refluaient vers Hawashin, il a griffonné les mots «destruction» et «meurtre». Il explique : «Les soldats israéliens progressaient, il fallait partir. Je suis sorti faire le plein de ma voiture à toute vitesse en disant à mes neuf enfants que je les attendrai sur la route principale. Sur le chemin du retour, les chars m’ont barré le passage. J’ai été refoulé dans le village de Roumaneh. Quand je suis revenu, une semaine plus tard, ma maison était détruite et mes enfants n’étaient plus là. Depuis, je n’ai eu aucune nouvelle d’eux». Abou Ali sort de son portefeuille, sa carte «wakali», le certificat d’enregistrement de l’ONU qui tient lieu de papier d’identité pour les réfugiés. Le nom et l’âge de ses enfants sont marqués dessus. Dix-huit ans pour Amira, l’aînée et un an pour Racha, la cadette. «Sentez l’odeur autour de vous. Ca pue la mort. Mes enfants sont sous les gravats. Revenez dans une semaine et vous verrez les cadavres».
Dans un passage cinquante mètres en contrebas, la famille Abu Kholod ouvre sa porte. La maison est crasseuse mais intact. A un mur près : celui d’une chambrette construite sur le toit où flotte une odeur pestilentielle. «Notre tante Yousra habitait là dedans, raconte sa nièce Maha, 18 ans. Elle était handicapée mentale. Un missile est tombé le deuxième jour de l’attaque, directement sur son lit. Aussitôt, 50 soldats sont entrés dans notre maison. Ils nous ont interdit de monter sur le toit et ils nous ont forcés à partir. Après quatre jours chez un oncle, on est revenu. Le corps de Yousra avait disparu de la chambre mais on l’a retrouvé à l’odeur, dans un coin de la maison. Il n’y avait plus que des morceaux. Les soldats les avaient enroulés dans un tapis plié en deux pour les dissimuler». Yousra Abu Kholod a été enterrée vendredi après midi dans un terrain vague planté d’oliviers.
Comme d’un bouclier humain
Deux rues plus loin, une femme voilée se penche à un balcon. Elle fait signe d’entrer avec un geste timide de la main. L’escalier jonché de douilles conduit à un appartement en lambeaux. Un vase est rempli d’urine et les matelas sont tâchés d’excréments. Ouijdan Abu Attiye, 35 ans, a hébergé 17 soldats israéliens pendant quatre jours. «Des Golani», assure son fils Hassan, l’une des divisions d’élite de Tsahal. «Mon mari s’était enfui avant l’attaque comme beaucoup d’hommes du quartier qui ne combattaient pas, raconte Ouijdan. J’étais avec mes enfants et des voisines, neuf personnes en tout, quand les soldats ont pénétré ici. Ils nous ont d’abord ordonné de nous déshabiller puis ils nous ont bouclé dans la chambre du fond, sans eau, sans nourriture et avec l’interdiction d’aller aux toilettes. Après une heure, ils m’ont appelé. L’un d’eux m’a collé le canon de son fusil dans la nuque, il m’a poussé contre le balcon et il m’a dit : ‘appelle tes amis, dis leur qu’il n’y a pas de soldats, qu’ils peuvent passer par ici’. Il m’a même cité deux noms de militants du Fatah, Ibrahim Jaber et Alaa Saber. Quand ils sont sortis de leur cachette, les soldats les ont criblés de balles en se servant de moi comme d’un bouclier humain. Sept palestiniens ont été tués sous mes yeux».
Au bout de quatre jours, Ouijdan et ses proches ont été relâchés. «Ils ont vérifié que mes deux aînés, Hassan et Youssef, n’étaient pas recherchés, puis ils m’ont donné un laisser passer pour sortir du camp». A son retour, Ouijdan a trouvé deux M16 israéliens accoudés contre la porte. Mais elle n’a pas retrouvé ses bijoux en or.
Deux cent mètres en face de là, un homme creuse à la pelle dans des décombres. Il cherche sans conviction des restes de sa maison déchiquetée par les bulldozers. «Ils ont commencé à détruire la façade alors que nous étions dix-huit personnes à l’intérieur, dit Kherallah Mohamed, un ouvrier de 30 ans. On est sorti avec un drapeau blanc. A ce moment une balle est sortie de la maison d’en face. Aussitôt, un officier a commandé par radio un tir d’hélicoptère. Deux minutes plus tard, un missile s’est écrasé sur la maison. Les hommes ont été envoyés en bus à Salem, un village des environs, puis à Roumaneh. Nous étions une centaine de personnes en sous vêtements, parqués comme dans un zoo. Les soldats disaient tout haut : ‘on les tue ou on ne les tue pas ?’ . Finalement ils nous ont relâchés, après un interrogatoire serré. Sur les papiers d’identité de certains d’entre nous, ils ont écrasé un tampon avec le mot ‘terroriste’». Entretemps, Hawashin est devenu un cratère de gravats.
Il est assis sur un parpaing, les pieds dans la boue et la mine perplexe. Il offre aux curieux qui défilent devant sa maison en miettes, un beau sourire amer. A ceux qui s’arrêtent, il raconte une histoire d’horreur avec des mots banals. Abou Ali, 49 ans, est le patron d’un petit supermarché de Jénine. Sa maison de deux étages était bâtie à l’entrée du quartier d’Hawashin, un lacis de ruelles au cœur du camp de Jénine. Quand les soldats l’ont encerclé, le 2 avril dernier, Abou Ali a pris un bout de papier. Jour après jour, il a consigné en une ligne, le déroulement de l’attaque. A la date du 12, alors que les derniers combattants palestiniens refluaient vers Hawashin, il a griffonné les mots «destruction» et «meurtre». Il explique : «Les soldats israéliens progressaient, il fallait partir. Je suis sorti faire le plein de ma voiture à toute vitesse en disant à mes neuf enfants que je les attendrai sur la route principale. Sur le chemin du retour, les chars m’ont barré le passage. J’ai été refoulé dans le village de Roumaneh. Quand je suis revenu, une semaine plus tard, ma maison était détruite et mes enfants n’étaient plus là. Depuis, je n’ai eu aucune nouvelle d’eux». Abou Ali sort de son portefeuille, sa carte «wakali», le certificat d’enregistrement de l’ONU qui tient lieu de papier d’identité pour les réfugiés. Le nom et l’âge de ses enfants sont marqués dessus. Dix-huit ans pour Amira, l’aînée et un an pour Racha, la cadette. «Sentez l’odeur autour de vous. Ca pue la mort. Mes enfants sont sous les gravats. Revenez dans une semaine et vous verrez les cadavres».
Dans un passage cinquante mètres en contrebas, la famille Abu Kholod ouvre sa porte. La maison est crasseuse mais intact. A un mur près : celui d’une chambrette construite sur le toit où flotte une odeur pestilentielle. «Notre tante Yousra habitait là dedans, raconte sa nièce Maha, 18 ans. Elle était handicapée mentale. Un missile est tombé le deuxième jour de l’attaque, directement sur son lit. Aussitôt, 50 soldats sont entrés dans notre maison. Ils nous ont interdit de monter sur le toit et ils nous ont forcés à partir. Après quatre jours chez un oncle, on est revenu. Le corps de Yousra avait disparu de la chambre mais on l’a retrouvé à l’odeur, dans un coin de la maison. Il n’y avait plus que des morceaux. Les soldats les avaient enroulés dans un tapis plié en deux pour les dissimuler». Yousra Abu Kholod a été enterrée vendredi après midi dans un terrain vague planté d’oliviers.
Comme d’un bouclier humain
Deux rues plus loin, une femme voilée se penche à un balcon. Elle fait signe d’entrer avec un geste timide de la main. L’escalier jonché de douilles conduit à un appartement en lambeaux. Un vase est rempli d’urine et les matelas sont tâchés d’excréments. Ouijdan Abu Attiye, 35 ans, a hébergé 17 soldats israéliens pendant quatre jours. «Des Golani», assure son fils Hassan, l’une des divisions d’élite de Tsahal. «Mon mari s’était enfui avant l’attaque comme beaucoup d’hommes du quartier qui ne combattaient pas, raconte Ouijdan. J’étais avec mes enfants et des voisines, neuf personnes en tout, quand les soldats ont pénétré ici. Ils nous ont d’abord ordonné de nous déshabiller puis ils nous ont bouclé dans la chambre du fond, sans eau, sans nourriture et avec l’interdiction d’aller aux toilettes. Après une heure, ils m’ont appelé. L’un d’eux m’a collé le canon de son fusil dans la nuque, il m’a poussé contre le balcon et il m’a dit : ‘appelle tes amis, dis leur qu’il n’y a pas de soldats, qu’ils peuvent passer par ici’. Il m’a même cité deux noms de militants du Fatah, Ibrahim Jaber et Alaa Saber. Quand ils sont sortis de leur cachette, les soldats les ont criblés de balles en se servant de moi comme d’un bouclier humain. Sept palestiniens ont été tués sous mes yeux».
Au bout de quatre jours, Ouijdan et ses proches ont été relâchés. «Ils ont vérifié que mes deux aînés, Hassan et Youssef, n’étaient pas recherchés, puis ils m’ont donné un laisser passer pour sortir du camp». A son retour, Ouijdan a trouvé deux M16 israéliens accoudés contre la porte. Mais elle n’a pas retrouvé ses bijoux en or.
Deux cent mètres en face de là, un homme creuse à la pelle dans des décombres. Il cherche sans conviction des restes de sa maison déchiquetée par les bulldozers. «Ils ont commencé à détruire la façade alors que nous étions dix-huit personnes à l’intérieur, dit Kherallah Mohamed, un ouvrier de 30 ans. On est sorti avec un drapeau blanc. A ce moment une balle est sortie de la maison d’en face. Aussitôt, un officier a commandé par radio un tir d’hélicoptère. Deux minutes plus tard, un missile s’est écrasé sur la maison. Les hommes ont été envoyés en bus à Salem, un village des environs, puis à Roumaneh. Nous étions une centaine de personnes en sous vêtements, parqués comme dans un zoo. Les soldats disaient tout haut : ‘on les tue ou on ne les tue pas ?’ . Finalement ils nous ont relâchés, après un interrogatoire serré. Sur les papiers d’identité de certains d’entre nous, ils ont écrasé un tampon avec le mot ‘terroriste’». Entretemps, Hawashin est devenu un cratère de gravats.
par Benjamin Barthe
Article publié le 22/04/2002