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Proche-Orient

Jénine : polémique sur un bilan

L’offensive israélienne à Jénine aurait fait 500 morts, dont des femmes et des enfants, selon les Palestiniens. Israël dément et parle de «propagande». Les organisations humanitaires tentent de trouver les corps.
Bien que l’armée israélienne interdise toujours l’accès de Jénine à la presse, quelques rares journalistes ont pu pénétrer dans ce camp de réfugiés palestiniens de Cisjordanie, ravagé par plusieurs jours de combats acharnés entre soldats israéliens et combattants palestiniens. Aucun d’eux n’était en mesure, mardi, de fournir un bilan. Ils ne peuvent que décrire un décor d’apocalypse, de décombres et de ruines, et interroger des témoins qui relatent les jours d’enfer vécus sous les bombes.

Certains survivants affirment que les soldats israéliens ont creusé des fosses communes au bulldozer, avant d’y pousser des cadavres et de les recouvrir de béton. Quelques dizaines de corps ont déjà été collectés par les ambulances, beaucoup sont sans doute encore enfouis sous les décombres. Combien ? Des dizaines, comme l’affirment les Israéliens ? Des centaines, comme l’assurent les Palestiniens ?

Le Comité international de la Croix Rouge (CICR) et l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), qui avaient été autorisés la veille à pénétrer dans le camp, ont estimé mardi à Genève qu'à terme, ils seront en mesure de chiffrer le nombre de personnes tuées. «Nous n'avons vu hier qu'une petite partie du camp, explique le CICR. Nous aurons, avec le temps, une image complète de ce qui s'est passé, mais cela ne se fera pas du jour au lendemain (...)La priorité est d'abord d'aider les survivants dans le camp et d'évacuer les corps. La situation humanitaire est très, très sérieuse».

Amnesty craint la destruction de preuves

Les deux organisations ont exprimé leur profonde inquiétude, faisant état d'un manque cruel d'eau et de nourriture. «Le plus important est d'amener dans le camp des produits de base ainsi que du matériel médical. L'un des autres problèmes est que les familles ont perdu le contact de leurs proches», a indiqué le CICR. Des centaines de civils ont fui le camp. L’UNRWA a affirmé que l'armée avait refusé l'entrée de 25 tonnes de nourriture apportée par son organisation, «malgré un accord préalable». Selon l’agence onusienne, elle n'a pu laisser dans le camp que «10 à 15 paquets de bouteilles d'eau».

Pour l’heure, la controverse fait rage. Les Palestiniens accusent l'armée d'avoir commis un «massacre» et d'avoir tué quelque 500 personnes, dont des femmes et des enfants. Côté israélien, on a d’abord noté un certain embarras. Après qu’un porte-parole de l’armée israélienne eut évoqué vendredi des «centaines de morts», puis «environ deux cent cinquante», Israël a démenti catégoriquement le terme de «massacre», qualifiant les accusations palestiniennes de propagande. Le ministre israélien de la Défense Binyamin Ben Eliezer a alors fait état de «dizaines de tués palestiniens». Selon l'ambassadeur israélien à Paris, Elie Barnavi il y a eu «quelque 70 morts», et 45 cadavres palestiniens ont été retrouvés. Le dirigeant palestinien Nabil Chaath a accusé mardi l'armée israélienne d'avoir procédé à des exécutions sommaires de 60 à 70 Palestiniens.

L’Iran prend à témoin la communauté internationale. «Nous demandons que l'ONU envoie au plus vite une commission d'enquête sur les massacres de Jénine», a déclaré mardi le ministre iranien des Affaires étrangères Kamal Kharazi, au cours d’une conversation téléphonique avec le secrétaire général de l’Onu Kofi Annan.

L'armée a indiqué qu'à la date de dimanche soir, elle avait trouvé 37 corps dans les ruines du camp et en avait livré 11 aux familles, conformément à une décision de la Cour suprême d'Israël. Selon le maire de la ville, Walid Abou Moueiss, les responsables du CICR ont découvert 15 corps. Les délégations du CICR et de l'UNRWA n'ont pas pu se rendre dans la totalité du camp, l'armée faisant état de la présence éventuelle d'engins explosifs, dont le camp a été selon elle truffé par les combattants palestiniens.

Une équipe de l'organisation de défense des droits de l'Homme Amnesty International n'a pas été autorisée à pénétrer à Jénine. «Nous craignons que si une enquête n'est pas menée maintenant sur les circonstances de la mort de centaines de Palestiniens dans le camp, des preuves cruciales pourraient être détruites», a-t-elle affirmé dans un communiqué.

Dans une interview à la chaîne CNN, le Premier ministre israélien Ariel Sharon a déclaré lundi soir que l'armée pourrait se retirer d'ici une semaine des villes de Cisjordanie, mais que ce retrait pourrait prendre plus de temps à Ramallah, où Yasser Arafat est assiégé dans son quartier-général, et à Bethléem, où quelque 200 Palestiniens sont retranchés dans la basilique de la Nativité. Cette déclaration a été saluée par le président américain George W. Bush qui a estimé que le retrait prochain des forces israéliennes de Jénine et de Naplouse renforcerait «les perspectives de paix» pour la région. En revanche, l'Union européenne et la Russie ont jugé insuffisant l'engagement israélien, tout en renouvelant leurs soutien à la mission de paix menée par le secrétaire d'État américain Colin Powell. Ce dernier achèvera sa visite en Israël mercredi et effectuera une
escale en Égypte.



par Philippe  Quillerier-Lesieur (avec AFP)

Article publié le 16/04/2002