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Proche-Orient

Powell essuie un revers libano-syrien

De retour lundi soir d’une brève tournée au Liban et en Syrie, le secrétaire d'Etat américain Colin Powell a suggéré lundi qu'une conférence de paix sur le Proche-Orient se tienne au niveau ministériel, rendant ainsi inutile la présence du président palestinien Yasser Arafat. Au même moment, l'armée israélienne arrêtait le chef en Cisjordanie du Fatah de Yasser Arafat, Marwan Barghouthi, l'un des plus ardents partisans de la poursuite de l'Intifada palestinienne.
Colin Powell avait prévenu que sa mission au Proche-Orient serait difficile. Les étapes syrienne et libanaise, non prévues initialement au programme mais rendues nécessaires par la tension croissante à la frontière libano-israélienne, ont confirmé son pronostic. C’est un accueil mitigé qu’a reçu lundi, à Beyrouth puis à Damas, le secrétaire d'Etat américain, deux escales qui se sont déroulées sur fond de manifestations hostiles aux États-Unis.

Tandis que des centaines d’étudiants scandaient, à proximité de l’ambassade américaine à Beyrouth, «Powell dehors, l'Intifada se poursuivra», les médias syriens s’en sont pris à l’appui donné par Washington à Israël. «L'offre de Sharon est une tromperie», a ainsi affirmé la très officielle Radio-Damas, au moment où le diplomate américain s'entretenait avec le président Bachar al-Assad. Ce commentaire, ajouté aux vives critiques de la presse syrienne, sonne comme une condamnation sans appel de la proposition faite dimanche par Ariel Sharon, avec l’appui des États-Unis: celle d’une conférence sur le Proche-Orient à laquelle participeraient une délégation palestinienne (sans Yasser Arafat), l'Egypte, l'Arabie saoudite, la Jordanie et le Maroc, mais sans aucune mention de la Syrie, du Liban, de la Russie et de l’Union européenne.

Sur la question du front libano-israélien, Colin Powell devait essuyer un autre revers face à ses interlocuteurs syriens: la Syrie, ayant toujours considéré les attaques du Hezbollah (pro-syrien et pro-iranien) comme des gestes de résistance, affirmait récemment par la voix de plusieurs diplomates qu’elle «ne jouera pas le rôle de gendarme» sur la frontière avec Israël. Quant aux attentats-suicide menés par les Palestiniens, le président syrien a affirmé à Colin Powell qu’ils étaient «la conséquence des pratiques israéliennes».

Une visite «touristique»

Quelques heures plus tôt à Beyrouth, peu avant l’arrivée de l’envoyé de George W. Bush, des milliers de personnes s'étaient rassemblées sur la route de l'aéroport, à l'appel des partis islamistes, dont le Hezbollah, de plusieurs partis de gauche et de mouvements palestiniens, criant «Mort aux États-Unis», «Mort à Israël». Reçu ensuite par le président libanais Emile Lahoud puis par le Premier ministre Rafic Hariri, Colin Powell n’est parvenu a aucun résultat tangible. Le secrétaire d’État a eu beau insister sur le «danger réel» d'un second front qui s'ajouterait au conflit israélo-palestinien, ses hôtes se sont bien gardés de lui donner tout engagement clair sur une trêve à la frontière avec Israël. Le Liban a réaffirmé la légitimité de sa «résistance» dans le secteur controversé des fermes de Chebaa au Liban sud.

Il faut dire que la tournée de Colin Powell, entamée lundi 8 avril, mettait de facto Damas à l'écart, ne prévoyant que des étapes chez les régimes arabes dits «modérés», traditionnellement proches des Etats-Unis: Maroc, Egypte, Jordanie et Arabie saoudite. L'agacement de la Syrie et du Liban n'a pas tardé à se manifester. Le 9 avril, le président du Parlement libanais Nabih Berri, très proche de la Syrie, s'étonnait après un entretien avec l'ambassadeur des Etats-Unis à Beyrouth que Colin Powell puisse prétendre régler les problèmes de la région et «instaurer la paix» sans passer ni par Beyrouth ni par Damas. Trois jours plus tard, et alors que le chef de la diplomatie syrienne Farouk al-Chareh se livrait à une violente critique du «parti pris» pro-israélien de Washington, le quotidien officiel syrien Techrine se demandait si le voyage du ministre américain n'était pas essentiellement «touristique».

Le réchauffement depuis le 30 mars du front des fermes de Chebaa, secteur occupé par Israël depuis 1967 et revendiqué par Beyrouth, pouvait donc être interprété à la fois comme un geste de solidarité avec les Palestiniens et un rappel à l'intention des Américains: la paix au Proche-Orient passe aussi par Damas, tout puissant au Liban. Craignant un embrasement de toute la région, Colin Powell, en visite vendredi dans le nord d'Israël, avait dû demander à la Syrie de contenir le Hezbollah. «J'exhorte les nations qui ont de l'influence sur le Hezbollah, particulièrement la Syrie, à tout faire pour le contenir et faire cesser ses attaques». Lundi soir, aucun affrontement n’avait été signalé depuis deux jours à la frontière nord d’Israël. Pour combien de temps ? Peu après le retour de Colin Powell en Israël, le Hezbollah libanais annonçait son intention de poursuivre ses opérations contre les troupes israéliennes.



par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 15/04/2002