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Proche-Orient

Israël retarde la mission de l'ONU

L’État hébreu a obtenu de Kofi Annan le report du départ d’une équipe d’enquête des Nations Unies chargée par le Conseil de sécurité de faire la lumière sur les événements qui ont endeuillé le camp de réfugiés palestiniens de Jénine en Cisjordanie.
De notre correspondant à New York

La rebuffade israélienne a pris tout le monde de cours à l’ONU. Alors les membres de «l’équipe d’établissement des faits» s’apprêtaient à quitter New York pour enquêter dans le camp de réfugiés palestiniens de Jénine, en Cisjordanie, l’ambassadeur Israélien auprès des Nations Unies a demandé et obtenu un sursis. Kofi Annan a selon son porte-parole «accepté de repousser le départ (...) pour permettre à la consultation d’avoir, lieu, mais il s’attend à ce que l’équipe arrive au Proche-Orient d’ici samedi». Le pronostique peut sembler optimiste, au vu des divergences qui opposent Israël à l’Organisation.

L’État hébreu conteste la composition de l’équipe, annoncée la veille, mais aussi son mandat, pourtant voté à l’unanimité par le Conseil de sécurité vendredi dernier, au terme de pénibles tractations. Shimon Peres avait alors personnellement assuré Kofi Annan de la coopération de son gouvernement. Ce sont les États-Unis, les plus fidèles alliés d’Israël, qui avaient rédigé le texte. La résolution accueillait favorablement la constitution par Kofi Annan d’une «équipe d’établissement des faits» –un terme très diplomatique pour désigner une commission d’enquête, chargée de faire la lumière sur ce qui s’est passé à Jénine. Les Palestiniens dénoncent le massacre de plusieurs centaines de civils, alors que les Israéliens affirment n’avoir abattu que quelques dizaines de personnes, des combattants pour la plupart.

Lundi, dans un délais record, Kofi Annan a présenté une équipe respectée et expérimentée pour remplir la délicate mission. L’ancien président finlandais Martti Ahtisaari, connu pour son rôle de médiateur dans les Balkans dans les années 90, dirigera les opérations, encadré de l’ancienne Haut commissaire aux réfugiés, la japonaise Sadako Ogata, et de l’ancien directeur du comité international de la Croix rouge (CICR), Cornélio Sommaruga. Le triumvirat, choisi pour son prestige et son indépendance, sera assisté d’un spécialiste des questions de police, l’Irlandais Peter Fitzgerald, d’un expert militaire, l’ancien général américain William Nash et d’une vingtaine d’assistants.

Un affront à l'unanimité du Conseil de sécurité

Israël, avec un jour et demi de retard, conteste la composition de l’équipe. «Il ne s’agit pas de venir observer les conséquences humanitaires d’un tremblement de terre», explique l’ambassadeur israélien à l’ONU, Yehuda Lancry. «Il s’agit d’une action militaire destinée à démanteler un réseau terroriste. Pour comprendre cela, il nous faut des experts militaires, membres à part entière de la commission». Kofi Annan se dit prêt à ajouter des experts à son équipe mais ne semble pas disposé à les élever au même rang que le triumvirat. Il refuse également de discuter le choix des membres de son équipe. Selon plusieurs sources, les Israéliens voient d’un mauvais oeil la présence du Suisse Cornélio Sommaruga du CICR, une organisation dont se méfie l’Etat hébreu.

L’autre divergence principale porte sur le mandat de l’équipe d’enquête, chargée par le Conseil de sécurité «d’établir les faits». Les Israéliens voudraient corseter le travail de l’équipe, en le limitant à Jénine et en précisant les contours exacts de sa mission. Kofi Annan a par avance rejeté cette demande, incompatible selon lui avec la résolution du Conseil de sécurité, mais il a accepté la venue aujourd’hui d’envoyés du gouvernement israélien venus déposer leurs doléances.

Le Conseil de sécurité s’est pour l’instant contenté de réaffirmer son soutien à Kofi Annan, en demandant aux Israéliens de coopérer pour «une mise en oeuvre rapide» de la mission d’enquête. Il s’agit d’une simple mise en garde, mais si Israël persiste dans son refus de laisser travailler les enquêteurs, le ton risque de monter. Le Conseil de sécurité pourrait percevoir comme un affront à son unanimité des tergiversations israéliennes indéfinies. D’ores et déjà, des officiels américain et britannique ont condamné l’attitude israélienne.

Quelles sont les intentions réelles des Israéliens ? Les diplomates sont partagés. Beaucoup évoquent des divergences au sein du gouvernement israélien, entre le ministre des affaires étrangères Shimon Peres, plutôt favorable à l’enquête, et le chef du gouvernement Ariel Sharon dont un des conseillers, Dore Gold, a employé l’expression de «Frankenstein diplomatique» pour décrire la mission onusienne. Les Palestiniens sont eux sans illusion. «Au mieux, les Israéliens opèrent un chantage pour miner l’intégrité de la mission d’établissement des faits, au pire, ils se préparent à une vaste opération de dissimulation du massacre qu’ils ont perpétré à Jénine» affirme Nasser Al-Kidwa, observateur de la Palestine à l’ONU. Le temps joue désormais contre Israël.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 24/04/2002