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Cuba

Crise entre Fox et Castro

Fidel Castro a décidé de se brouiller avec son allié historique, le Mexique, qui a voté contre lui à l’ONU. Pour se venger, le président cubain a révélé une conversation téléphonique confidentielle qu’il a eue avec Vicente Fox le 19 mars.
De notre correspondant au Mexique

Tout a commencé à Monterrey, en mars dernier, lors de la Conférence sur le Financement du Développement organisée par l’ONU. Fidel Castro, qui à l’origine ne devait pas venir, décide au dernier moment de faire le voyage. Après un discours au vitriol contre le capitalisme et les institutions internationales, il sort de sa poche une feuille de papier pliée en quatre et lit un message pour dénoncer les pressions intolérables qui l’obligent à abandonner la Conférence et a rentrer à Cuba. Le président Fox et son ministre des Affaires Extérieures Jorge Castañeda, nient qu’il y ait eu des pressions, déclarant que le Vieux lion se faisait du cinéma pour braquer les projecteurs sur lui.

La semaine dernière, à Genève, au siège des Droits de l’Homme, le gouvernement mexicain soutient une proposition présentée par l’Uruguay demandant à ce qu’un visiteur de l’ONU se rende à Cuba pour faire un rapport sur les droits de l’homme. C’est la première fois que le Mexique, qui traditionnellement s’abstenait, vote une résolution contre Cuba. Fidel Castro, mécontent, estimant que son allié se range du coté des Etats-Unis, a décidé de révélé la raison de son départ précipité de Monterrey : des pressions ont bel et bien été exercées par le président Fox, l’enregistrement d’une conversation téléphonique entre les deux chefs d’État en est la preuve. Cette révélation permet à Fidel Castro de souligner «la position servile du Président mexicain vis-à-vis de Washington» et de semer la dissension dans les affaires internes mexicaines. L’opposition, très opportuniste, s’indigne aussitôt du mensonge de Vicente Fox et lui demande des explications.

Voir venir sans s’énerver

Habilement, plutôt que de rompre les relations diplomatiques avec Cuba, ce qui aurait pu être interprété comme un alignement sur les positions Etats-Unis, Vicente Fox a préféré la modération. Il a élevé la voix, sermonné Castro sur sa manière bien peu diplomatique de divulguer une conversation amicale entre chefs d’Etat, et a finalement opté pour maintenir en place les ambassadeurs. Cuba n’est pas d’une grande importance économique pour le Mexique : les échanges commerciaux sont d’environ 300 millions de dollars (contre 450 milliards avec les Etats-Unis) et la relation entre les deux pays était plutôt basée sur des liens culturels et fraternels. Vicente Fox utilise donc cette crise pour s’attaquer au symbole que représente Fidel Castro. Le vote négatif à Genève a pour premier objectif de montrer au monde entier que la politique extérieure du Mexique a changé et que son gouvernement entend jouer un rôle dans le concert des nations.

En second lieu, il envoie un signal clair au Parlement mexicain où l’opposition est majoritaire, pour l’avertir que le président considère la doctrine Estrada de non intervention comme obsolète et hypocrite, et qu’elle n’a servi, dans le fond, qu’à empêcher les autres pays de venir voir ce qui se passait au Mexique. Une manière de dénoncer la corruption et le manque de démocratie de l’ancien régime.

Enfin, cette condamnation à Genève veut brouiller l’image idyllique de Cuba qui permet encore au Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), - première force politique du Mexique , soutien inconditionnel de Fidel Castro), de faire croire qu’il est toujours un parti révolutionnaire.

Vicente Fox qui a beaucoup de mal à faire passer ses réformes au Parlement, tente, dans le domaine réservé de la politique extérieure, de donner une nouvelle identité au Mexique sachant très bien que les considérations géopolitiques ne lui donnent pas une grande marge de manoeuvre. Il sait qu’à terme le pays sera intégré dans l’Amérique du Nord mais il voudrait que ce soit comme partenaire à part entière. La tentative de se rapprocher des Etats-Unis en privilégiant le bilatéral est d’autant plus douloureuse que le puissant voisin, pragmatique, ne regarde que ses intérêts. Le Mexique vient encore d’en faire l’expérience : le Congrès a pris des mesures contre les travailleurs illégaux mexicains, en leur niant des droits fondamentaux, ce qui ne fait qu’apporter de l’eau au moulin de l’opposition qui réclame une plus grande défense de la souveraineté.



par Patrice  Gouy

Article publié le 25/04/2002