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Maroc

Manifestation monstre à Rabat pour les Palestiniens

Des centaines de milliers de Marocains ont défilé dans les rues de Rabat dimanche en soutien au peuple palestinien. Une ambiance bon enfant, malgré quelques slogans extrémistes.
De notre correspondante à Rabat

Le fait le plus marquant de la manifestation de Rabat, outre son succès populaire, sera probablement le désaveu infligé au gouvernement Youssoufi, qui n’a pu se joindre aux manifestants.
A dix heures du matin, début officiel de la marche organisée à l’appel de «l’Association de soutien à la lutte du peuple palestinien», le Premier Ministre, Abderrahmane Youssoufi, entouré de plusieurs de ses ministres et de parlementaires, se tenait sur les marches du Parlement, prêt à rejoindre le cortège déjà dense des protestataires. L’arrivée des officiels a immédiatement déclenché des slogans hostiles aux régimes arabes, en général, et au gouvernement marocain, en particulier, vite répétés par la foule.

«C’est une manifestation du peuple marocain, les partis politiques n’ont pas à y défiler sous leur bannière», précisait une militante de l’association organisatrice. Plus pragmatique, un jeune adhérent de l’USFP (Union socialiste des forces de progrès), le parti du Premier ministre, affirmait que ministres et parlementaires, allaient se replier un moment dans la cour du Parlement, et rejoindraient le cortège une fois les esprits calmés. Ce qui ne s’est pas produit. «Ils ont pris le train en direction de Casablanca à onze heures, sous bonne garde policière», affirme un photographe de presse, qui se trouvait à bord et a pu photographier ce repli précipité.

Impatiente, la rue a donc manifesté sa colère face aux dirigeants arabes et marocains, accusés de «laisser-faire», de tergiverser au lieu de s’engager pour défendre la Palestine. Un proche du Premier ministre, contacté par RFI la veille de la manifestation, avait avoué : «Cette manifestation a commencé par des attroupements, dans tous les secteurs, toutes les catégories, par solidarité avec les représentants palestiniens. La rue arabe est immense, il faut l'accompagner, la juguler, il était impossible d'interdire la marche. C'est tout le Maroc qui va défiler, il faut prendre le train en marche Monsieur Youssoufi sera là en tant que Premier ministre, en tant que chef de l'USFP et de la Koutla» [coalition gouvernementale :NDLR].

Des avenues trop étroites pour contenir la foule

Le cortège de Rabat s’est cependant mis en marche sans véritable encadrement institutionnel. Des hommes, mais également de nombreuses femmes, des mères de familles venues avec leurs enfants, ont défilé, dans une ambiance plutôt bon enfant, pour dire simplement que le massacre du peuple palestinien devait cesser et qu’il fallait agir pour la paix au Moyen-Orient. Les slogans ont désigné les coupables, Sharon et Bush, l’étoile de David était brandie assortie de la croix gammée, on a brûlé des représentations du drapeau israélien et de la bannière étoilée, sous les applaudissements, mais sans que la tension ne monte jamais vraiment. Les gens de condition modeste ont ainsi accompagné les militants d’horizons divers, davantage rompus à l’exercice. A deux pas de l’ancien opposant Abraham Serfaty, un manifestant déclarait : «Nous ne sommes pas antisémites, nous sommes antisionistes. La paix ne peut se faire qu’à deux». Tandis qu’une ménagère en djellaba, venue de Casablanca ajoutait qu’elle avait fait le déplacement parce que c’est humain, simplement. La délégation d’ATTAC Maroc, reconnue légale il y a peu, manifestait «pour une paix juste et équitable» et revendiquait de «faire tomber les dettes, pas les bombes».

Si les avenues de la ville semblaient trop étroites pour contenir la foule, la police et les forces auxiliaires de sécurité laissaient passer le temps et les manifestants, attentifs, mais plutôt débonnaires. Noyés dans la masse, les fondamentalistes musulmans, et en particulier ceux du mouvement «Al Adl wal Ihssane» de Cheikh Yassine expliquaient de façon relativement modérée leur présence : «On manifeste contre l'oppression que vit le peuple palestinien, qui est un peuple frère. Malgré les frontières imposées par la colonisation, il existe un lien de cœur entre nous. Nous sommes unis, malgré l'histoire qui nous a fragmentés. Ce que vivent les Palestiniens est une horreur, un génocide, qui se déroule au vu et au su de tout le monde. Les peuples ne peuvent pas grand-chose, sinon crier leur colère profonde, même si cela n'a pas de poids face aux gouvernements américain et israélien. Cette manifestation, c'est l'expression d'une colère profonde devant l'horreur. Ce sont tous les Marocains qui descendent dans la rue.» Ce qui n’a pas empêché les propos extrémistes de leurs sympathisants. On a applaudi des enfants munis de pistolets en plastique et appelant au jihad, on a repris le nom d’Oussama Ben Laden, hurlé par un vieillard enturbanné muni lui aussi d’un pistolet en plastique. Des «débordements» qui n’étaient pas sans rappeler les sorties de stade. Les islamistes les plus organisés ont en revanche brandi les drapeaux jaunes du Hezbollah et les portraits de palestiniennes kamikazes. «Gloire à toi, honte aux États-Unis», pouvait-on lire sous ces derniers.

Ce que des sympathisants extrémistes commentaient : «Il n’y a plus qu’une seule solution, le Jihad. Nous sommes prêts à sacrifier nos enfants, nos femmes, pour libérer la Palestine des juifs qui ont sali les lieux saints. Il faut ouvrir les frontières, que nous puissions rejoindre nos frères musulmans».

Sans être dominants, les islamistes se sont, cependant, montrés bien organisés : plusieurs petits groupes en rangs serrés, relayés au long du cortège par d’autres, mobiles sur les côtés, et incitant, ça et là, les manifestants emportés par le mouvement, à chanter un verset du Coran ou à reprendre des appels à la guerre sainte.

Hormis la bousculade qui a empêché les membres du gouvernement de se joindre à la marche, la manifestation n’a donc pas dégénéré, la pluie achevant de disperser les derniers manifestants vers 15 heures. La crainte des mouvements de foule non contrôlés a placé, ce 7 avril, la ville de Casablanca, réputée plus frondeuse que la paisible Rabat, sous contrôle des forces de sécurité. Des commissariats, habituellement fermés le dimanche, y étaient non seulement ouverts, mais les forces auxiliaires y étaient en renfort. Un dispositif qui faisait logiquement suite à la décision de fermer les écoles marocaines trois jours avant la date arrêtée pour les vacances de printemps, les lycéens étant les premiers à investir les rues de façon spontanée, à la moindre anicroche au Proche-Orient. Une décision officiellement justifiée par des besoins d’équilibre pédagogique, qui n’a cependant trompé personne au Maroc.



par Isabelle  Broz

Article publié le 08/04/2002