Bosnie
Les Bosniaques toujours en quête de la paix
Le 6 avril marque un triste anniversaire pour la Bosnie-Herzégovine. Le 6 avril 1992, en effet, les pays de l’Union européenne reconnaissaient l’indépendance du pays, tandis que ce même jour, des «snipers» serbes embusqués dans l’hôtel Holiday Inn de Sarajevo ouvraient le feu sur une manifestation pacifiste. Le siège de la ville commençait.
i>De notre correspondant dans les Balkans
Depuis vendredi, les habitants de Sarajevo font pourtant fête à leur nouvel héros. Danis Tanovic, le réalisateur du film «No man’s land», couronné par l’oscar du meilleur film, est triomphalement revenu dans sa ville natale pour recevoir le prix du 6 avril, une récompense spéciale créée depuis la guerre.
D’autres cérémonies ainsi que le vernissage d¹expositions consacrées aux années de guerre et de siège devaient commémorer cet événement. Pourtant, le coeur des Bosniaques n’est guère à la fête.
Sept ans après le retour à la paix, l’infrastructure politique compliquée prévue par les accords de paix de Dayton (automne 1995) ne fonctionne toujours pas. Officiellement, la Bosnie-Herzégovine existe en tant qu’Etat, mais cet Etat est divisé en deux «entités», la Fédération croato-bosniaque et la Republika Srpska. La Fédération est elle-même de facto divisée en cantons croates et bosniaques musulmans.
Au printemps 2001, les principales menaces séparatistes semblaient venir de l’Herzégovine occidentale contrôlée par les nationalistes croates. Le parti de la Communauté démocratique croate (HDZ), pendant local de la formation de Franjo Tudjman, n’a pas été affecté par les changements démocratiques intervenus à Zagreb. Aux élections législatives de novembre 2001, ce parti a confirmé son emprise totale sur la communauté croate de Bosnie-Herzégovine, et a profité de la tenue du scrutin pour organiser un référendum dénoncé par la communauté internationale d’autodétermination des régions croates de Bosnie. Le HDZ entendait obtenir un statut comparable à celui de la Republika Srpska pour les régions où les Croates sont majoritaires.
Les tentatives d’imposer une nouvelle direction réformiste aux Serbes de Bosnie ont, par ailleurs, lamentablement échoué, et le Parti démocratique serbe (SDS) a été plébiscité par les électeurs en novembre 2000. Le gouvernement du réformateur Ivanic, à la tête de la RS, ne tient qu’à un fil, car il est très nettement minoritaire dans l’opinion. Certes, les dirigeants du parti prétendent que le SDS a changé et n’est plus comparable au parti que dirigeait Radovan Karadzic et, cette semaine, le Parlement de la Republika Srpska a enfin voté
une loi garantissant les droits des populations non-serbes de cette entité.
Mais les Serbes de Bosnie se croient forts du soutien de Belgrade, et surtout du Président fédéral yougoslave Vojislav Kostunica.
Malaise de la population
Le SDS a entamé une partie de bras de fer au Parlement pour bloquer les lois de privatisation souhaitée par l'administration internationale. Cette opposition serait liée aux intérêts particuliers de certains dirigeants du parti, notamment dans la compagnie de télécoms de Republika Srpska et dans la raffinerie de pétrole de Modrica. Dans le même temps, les militants du SDS parvenaient à déclencher les plus importants mouvements sociaux que la Bosnie ait connus ces dernières années. Le même scénario se rencontre aussi dans les régions croates, où le HDZ s'oppose à toute privatisation du combinat d’aluminium de Mostar, qui se retrouve complètement sous sa coupe.
Les nationalistes peuvent encore une fois surfer sur le malaise croissant de la population : en août dernier, le salaire moyen s’élevait en Bosnie à 446 DM et il fallait 429 DM pour subvenir aux seuls besoins alimentaires d’une famille de quatre personnes, selon les études d’organismes indépendants. Ce qui veut dire qu’avec un salaire moyen, il était impossible de louer un appartement, d’acheter des vêtements ni de faire face aux dépenses d’électricité et de chauffage. Par ailleurs, la Bosnie comptait officiellement 40% de chômeurs à la fin de l¹année 2001. Ces derniers ne perçoivent presque aucune aide de l’Etat, et dépendent des organisations humanitaires internationales qui sont toujours moins nombreuses dans le
pays.
Seul petit facteur d’espoir, les organismes internationaux signalent de forts mouvements de retour de réfugiés dans le pays, mais ces réfugiés reviennent encore essentiellement dans les régions où leur communauté est dominante, tandis que la catastrophique situation pousse sans cesse les jeunes gens à prendre le chemin de l’exil. Dix ans après la guerre, la Bosnie-Herzégovine n’arrive toujours pas à fonctionner comme un Etat viable, les populations restent traumatisées par le souvenir de la guerre et de ses 200 000 victimes, et l’avenir du pays reste assombri par la détérioration constante de son économie.
Depuis vendredi, les habitants de Sarajevo font pourtant fête à leur nouvel héros. Danis Tanovic, le réalisateur du film «No man’s land», couronné par l’oscar du meilleur film, est triomphalement revenu dans sa ville natale pour recevoir le prix du 6 avril, une récompense spéciale créée depuis la guerre.
D’autres cérémonies ainsi que le vernissage d¹expositions consacrées aux années de guerre et de siège devaient commémorer cet événement. Pourtant, le coeur des Bosniaques n’est guère à la fête.
Sept ans après le retour à la paix, l’infrastructure politique compliquée prévue par les accords de paix de Dayton (automne 1995) ne fonctionne toujours pas. Officiellement, la Bosnie-Herzégovine existe en tant qu’Etat, mais cet Etat est divisé en deux «entités», la Fédération croato-bosniaque et la Republika Srpska. La Fédération est elle-même de facto divisée en cantons croates et bosniaques musulmans.
Au printemps 2001, les principales menaces séparatistes semblaient venir de l’Herzégovine occidentale contrôlée par les nationalistes croates. Le parti de la Communauté démocratique croate (HDZ), pendant local de la formation de Franjo Tudjman, n’a pas été affecté par les changements démocratiques intervenus à Zagreb. Aux élections législatives de novembre 2001, ce parti a confirmé son emprise totale sur la communauté croate de Bosnie-Herzégovine, et a profité de la tenue du scrutin pour organiser un référendum dénoncé par la communauté internationale d’autodétermination des régions croates de Bosnie. Le HDZ entendait obtenir un statut comparable à celui de la Republika Srpska pour les régions où les Croates sont majoritaires.
Les tentatives d’imposer une nouvelle direction réformiste aux Serbes de Bosnie ont, par ailleurs, lamentablement échoué, et le Parti démocratique serbe (SDS) a été plébiscité par les électeurs en novembre 2000. Le gouvernement du réformateur Ivanic, à la tête de la RS, ne tient qu’à un fil, car il est très nettement minoritaire dans l’opinion. Certes, les dirigeants du parti prétendent que le SDS a changé et n’est plus comparable au parti que dirigeait Radovan Karadzic et, cette semaine, le Parlement de la Republika Srpska a enfin voté
une loi garantissant les droits des populations non-serbes de cette entité.
Mais les Serbes de Bosnie se croient forts du soutien de Belgrade, et surtout du Président fédéral yougoslave Vojislav Kostunica.
Malaise de la population
Le SDS a entamé une partie de bras de fer au Parlement pour bloquer les lois de privatisation souhaitée par l'administration internationale. Cette opposition serait liée aux intérêts particuliers de certains dirigeants du parti, notamment dans la compagnie de télécoms de Republika Srpska et dans la raffinerie de pétrole de Modrica. Dans le même temps, les militants du SDS parvenaient à déclencher les plus importants mouvements sociaux que la Bosnie ait connus ces dernières années. Le même scénario se rencontre aussi dans les régions croates, où le HDZ s'oppose à toute privatisation du combinat d’aluminium de Mostar, qui se retrouve complètement sous sa coupe.
Les nationalistes peuvent encore une fois surfer sur le malaise croissant de la population : en août dernier, le salaire moyen s’élevait en Bosnie à 446 DM et il fallait 429 DM pour subvenir aux seuls besoins alimentaires d’une famille de quatre personnes, selon les études d’organismes indépendants. Ce qui veut dire qu’avec un salaire moyen, il était impossible de louer un appartement, d’acheter des vêtements ni de faire face aux dépenses d’électricité et de chauffage. Par ailleurs, la Bosnie comptait officiellement 40% de chômeurs à la fin de l¹année 2001. Ces derniers ne perçoivent presque aucune aide de l’Etat, et dépendent des organisations humanitaires internationales qui sont toujours moins nombreuses dans le
pays.
Seul petit facteur d’espoir, les organismes internationaux signalent de forts mouvements de retour de réfugiés dans le pays, mais ces réfugiés reviennent encore essentiellement dans les régions où leur communauté est dominante, tandis que la catastrophique situation pousse sans cesse les jeunes gens à prendre le chemin de l’exil. Dix ans après la guerre, la Bosnie-Herzégovine n’arrive toujours pas à fonctionner comme un Etat viable, les populations restent traumatisées par le souvenir de la guerre et de ses 200 000 victimes, et l’avenir du pays reste assombri par la détérioration constante de son économie.
par Jean-Arnault Dérens
Article publié le 07/04/2002