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Union africaine

L’Union en chantier

Pour mieux comprendre comment l’Afrique va devoir assurer sa viabilité au projet d’Union africaine, nous avons demandé au juriste et politologue Albert Bourgi (1) son analyse des étapes et du mode de fonctionnement de la future institution.
MFI : Quelles sont les modalités de fonctionnement qui distinguent l’Union africaine de l’OUA ?

Albert Bourgi : Ce qui va changer, c’est essentiellement le secrétariat de l’OUA, qui ne sera plus incarné par un secrétaire général en tant que tel, mais par un président de la Commission de l’Union africaine. C’est-à-dire qu’en lieu et place du secrétariat, il y aura cette Commission de l’Union africaine, un peu à l’image de la commission de l’Union européenne, avec à sa tête un président qui serait, bien sûr, désigné par la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement, mais qui devra surtout, à un moment ou un autre, recevoir aussi la bénédiction d’autres instances. A terme, il faudra aussi mettre en place le Parlement de la nouvelle organisation et définir sa composition et ses attributions.

MFI : Comment envisager les étapes à venir ?

A. B. : Nous sommes en face des premiers organes de l’Union africaine. Je voudrais encore me référer au calendrier de mise en place du modèle européen. Tout ne s’est pas fait en un seul jour. Souvenez-vous, en juin 1965, de la crise du marché commun agricole… on était bien loin d’imaginer ce que deviendrait l’Union européenne 35 ans plus tard… Tout ne sera donc pas réglé lors de la Conférence de Durban. Dans un premier temps, ce qui est surtout prévu et, en tout cas, assigné comme objectif à cette organisation, c’est la représentation que devront avoir les premiers organes inter-étatiques, c’est-à-dire le Conseil de l’Union composé de chefs d’Etat et de gouvernement, le Conseil exécutif qui sera l’ancien Conseil des ministres, la Cour de justice, le Comité des Etats membres mais aussi la Commission de l’Union africaine. Il y a de toute évidence une gradation de cette Union africaine et il faudra nécessairement tenir compte de la volonté des Etats mais aussi des moyens financiers, juridiques et politiques dont sera pourvue l’organisation. Dès l’instant où ces questions sont libellées en des termes très généraux, il y a de toute évidence bien des points qu’il faudra définir, bien des divergences entre plusieurs Etats qu’il faudra régler. Par ailleurs, c’est à cet effet que le secrétaire général a mis en place un comité d’experts de haut niveau chargé de réfléchir justement à ces questions.

MFI : Que peut-on dire sur les chantiers économiques du continent qui attendent l’Union africaine ?

A. B. : C’est assez complexe. Préalablement au traité instituant l’Union africaine, l’objectif d’intégration économique avait été défini dans le traité d’Abuja, qui avait créé la Communauté économique africaine. Ce sont des traités communs. Tout cela a été intégré dans le cadre de la prochaine Union africaine, étant entendu qu’à terme les Africains devraient parvenir à mettre en place un marché commun. Cela suppose des politiques communes, des convergences… on en est bien loin ! Ceci étant, pour faciliter l’intégration économique, il est prévu de mettre en place un Fond monétaire africain, une Banque centrale, de renforcer la Banque africaine de développement en lui donnant d’autres tâches que celles qu’elle exerce actuellement… Mettre en place une Union africaine, cela suppose donc que bien des étapes soient franchies, que bien des obstacles soient surmontés. Je suis convaincu qu’il fallait commencer par quelque chose, et si l’ensemble peut presque paraître utopique, rappelons que les meilleures politiques se font par des desseins plus ou moins ambitieux. Celui-ci en est un, qui rencontre, de surcroît, l’adhésion de toute l’opinion publique africaine.

MFI : Que peut faire l’Union africaine face aux multiples conflits qui continuent de mettre à mal le continent ? Et que va-t-il advenir du mécanisme déjà existant de prévention, de gestion et de résolution des conflits ?

A. B. : C’est le fameux mécanisme de 1993, dont on a beaucoup parlé. Ce mécanisme, au départ, n’avait pas pour ambition de mettre en place un système de sécurité collective à l’échelle régionale. On lui avait assigné des objectifs assez limités. Ceci étant, je crois que dans cette phase de construction de l’Union africaine, il est surtout question d’améliorer le fonctionnement de l’organe central du mécanisme de prévention, de gestion et de résolution des conflits. Il est prévu de renforcer son mode de fonctionnement et peut-être de lui donner plus de latitude. On tourne un peu trop facilement en dérision ce mécanisme, mais on semble oublier que c’est à travers lui qu’a été réglé le différend entre l’Ethiopie et l’Erythrée, et c’est à travers cet instrument de travail, à travers l’organe central, qu’a été traité récemment le conflit entre la République centrafricaine et le Tchad. On peut se référer également aux Comores, rappeler que l’OUA a joué un rôle principal et affiché une grande visibilité dans les multiples crises qui ont frappé l’archipel. Citons encore le cas de Madagascar… On ne peut pas demander à l’OUA ce que l’on attend de l’ONU. Qui peut aujourd’hui affirmer que le Conseil de sécurité des Nations unies s’acquitte pleinement de sa mission de maintien de la paix et de la sécurité collective ? Enfin, il faut ajouter qu’autour de ce mécanisme, autour de l’organe central, une série d’initiatives, une série d’actions, plus ou moins formelles, à travers notamment des envoyés spéciaux, des représentants spéciaux du secrétaire général, à travers des missions de bons office, viennent s’agréger.

MFI : Quelle place l’Union africaine entend-t-elle accorder à la société civile ?

A. B. : Je crois que la société civile africaine veut légitimement participer et trouver une place, et pas seulement dans les organes inter-étatiques de l’Union africaine, comme dans toute organisation intergouvernementale. Il y aura sans doute une place pour la société civile, en particulier à travers le prochain Parlement de l’Union africaine. Il s’agira de constituer un système de représentation, à travers les députés du Parlement panafricain, des députés qui pourraient provenir, comme on l’a vu notamment à l’Union européenne, de la société civile. Et puis, d’autres types de représentation de la société civile sont aussi prévus.


Propos recueillis par Fayçal Bouzennout


(1) Albert Bourgi est directeur du Centre d’études des relations internationales de l’université de Reims.



Article publié le 25/05/2002