Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Droits de l''Homme

La «rupture» du 11 septembre

Selon Francis Perrin, président d’Amnesty international France, de nombreux pays sacrifient le respect des droits et des libertés au nom de la lutte contre le terrorisme. Le rapport 2002 de l’organisation de défense des droits de l’homme publié mardi 28 mai dénonce une dérive dangereuse.
RFI : Les attentats contre les Etats-Unis ont-ils créé une situation radicalement nouvelle en matière de droits de l’homme ?
Francis Perrin : Le 11 septembre constitue effectivement, même s’il n’est guère original de le dire, une rupture dans l’ordre international. Il y a un «avant» et il y a un «après» 11 septembre. Et il en va de même dans le domaine des droits de l’homme. Lorsque de nombreux gouvernements de la planète mettent l’accent essentiellement, parfois quasi exclusivement, sur la lutte contre le terrorisme, le risque est grand que d’autres aspects essentiels, dont le respect des droits de l’homme, soient négligés, voire oubliés. Et l’on voit ces risques se profiler depuis le 11 septembre dans différents pays. Les États-Unis sont directement concernés, bien sûr, mais l’Europe occidentale n’est pas épargnée, notamment la Grande-Bretagne. Sont concernés également l’Asie centrale, l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient, où l’on observe une nette tendance à sacrifier le respect des droits de l’homme au nom de la lutte contre le terrorisme.

RFI : Concrètement, que reprochez vous aux États-Unis, par exemple ?
FP : D’abord, Guantanamo, cette base américaine des Caraïbes où sont emprisonnés les détenus capturés en Afghanistan. Ceux-ci sont dans un vide juridique extrêmement inquiétant. Les États-Unis leur refusent le statut de prisonnier de guerre, ce qui est une remise en cause du droit international humanitaire.

«C’est vrai qu’il y a de bonnes nouvelles»
Par ailleurs, pour la première fois depuis la Seconde guerre mondiale, l’administration Bush a annoncé la création de tribunaux spéciaux, appelés commissions militaires, qui jugeraient certains de ces prisonniers, alors que les États-Unis ont un système judiciaire qui fonctionne, y compris d’ailleurs sur le plan militaire avec des cours martiales. Mais là, on a créé pour l’occasion des commissions qui ne permettent pas l’indépendance et l’impartialité de la justice. Les autorités américaines, et particulièrement le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, ont reconnu devant la presse que dans un certain nombre de cas, les États-Unis n’avaient pas d’éléments suffisants pour aboutir à une condamnation judiciaire de certains des détenus de Guantanamo. Mais pour autant, on ne va pas les libérer, parce qu’on estime qu’ils sont dangereux. Ils seront donc gardés prisonniers dans cette base pour une période indéterminée, sans inculpation et sans procès. Voici quelques exemples de la façon dont un pays démocratique, qui a une longue tradition en matière de respect des droits de la personne, peut remettre en cause plusieurs éléments fondamentaux sur lesquels repose la protection des droits de l’homme au plan international.

RFI : Selon vous, peut-on concilier d’une part la lutte contre le terrorisme et le nécessaire durcissement de certaines mesures de sécurité, et d’autre part la préservation des libertés et des droits fondamentaux ?
FP : Sur ce point, notre position est très claire. Nous considérons que les États et la communauté internationale ont le droit et le devoir de protéger leurs populations contre les attaques telles que celles du 11 septembre, qu’Amnesty a condamné très nettement en les qualifiant de crimes contre l’humanité. Mais nous sommes intimement persuadés qu’il n’y a pas d’opposition entre le respect des droits de l’homme, la lutte contre les activités terroristes et la mise en place de mesures de sécurité en faveur des populations. Si c’était le cas, ce serait un constat assez désespérant. Tous les textes juridiques concernant les droits de l’homme reconnaissent que l’État a la possibilité de prendre des mesures pour protéger ses citoyens, mais qu’en tout état de cause, il y a des garanties qui doivent être respectées. Et cela a toujours été le message délivré par les Nations-unies et la communauté internationale depuis au moins la fin de la Seconde guerre mondiale. Donc, à Amnesty, nous continuons à croire à ce message, et à rappeler aux États qu’ils ne sont pas libres de faire ce qu’ils veulent au nom de la lutte contre le terrorisme. Car dans droits de l’homme, il y a droit, et le droit implique des obligations auxquelles les États doivent rester fidèles.

RFI : Pour la première fois, le rapport d’Amnesty contient une rubrique «bonnes nouvelles» ? Quelles sont les principaux progrès que vous avez relevés ?
FP : C’est vrai qu’il y a de bonnes nouvelles. Et depuis 1961, date de la fondation d’Amnesty, notre expérience montre que l’action, la sensibilisation, la mobilisation de l’opinion peuvent faire la différence. Nous relevons en particulier le fait qu’en 2001, pour la première fois dans l’histoire, un chef d’État, Slobodan Milosevic, a été transféré à La Haye, pour y comparaître devant le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. C’est une véritable révolution juridique. Dans le même ordre d’idées, il faut saluer l’avènement prochain de la Cour pénale internationale, malgré l’opposition des États-Unis. Ce sont des progrès considérables dans la lutte contre l’impunité. Je peux aussi évoquer le recul, même s’il est beaucoup trop lent à notre gré, de la peine de mort aux États-Unis. Pour la deuxième année consécutive en 2001, il y a eu moins d’exécutions sur le territoire américain que les années précédentes. C’est loin de nous satisfaire, la route est encore longue, mais c’est un point positif.



par Propos recueillis par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 28/05/2002