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Sida

Quand les gouvernants s’en mêlent

Pour lutter contre le sida, la mobilisation internationale est indispensable mais elle n'est pas suffisante. Les pays africains doivent aussi engager toutes leurs forces pour obtenir des résultats. Et à ce niveau, il est aujourd'hui reconnu que le rôle des chefs d'Etat est fondamental pour initier et dynamiser les efforts nationaux.
Depuis deux ans, la plupart des chefs d’Etat et de gouvernement africains ont pris conscience de l’importance de leur rôle. Lors des dernières grandes réunions internationales, ils ont apporté des signes de leur bonne volonté. Ainsi, à l'occasion du sommet de l'Organisation de l'unité africaine sur le VIH à Abuja, au Nigeria, en avril 2001, il se sont engagés à consacrer «au moins 15 %» des budgets nationaux à «l'amélioration du secteur de la santé». Vœu pieux ou signe d’une détermination sans faille à prendre la mesure du problème, à dépasser les tabous et les non-dits qui ont longtemps empêché des réactions adaptées ?

Peter Piot, le directeur exécutif d'Onusida, estime qu'il y a eu un véritable changement dans l'attitude de la majorité des gouvernants africains face au sida. «La résistance pour s'occuper du sida a complètement disparu à ce niveau… Il y a deux ans, il y a eu le débat sur le sida au Conseil de sécurité des Nations unies. Cela a eu un impact sur la prise de conscience de l’enjeu du sida de la part des chefs d’Etat et de gouvernement.» D’ailleurs, lors de la session spéciale de l’Assemblée générale des Nations unies consacrée à cette maladie, en juin 2001, une vingtaine de dirigeants africains ont fait le déplacement et marqué ainsi leur intérêt grandissant pour cette question.

Si la mobilisation est internationale -la création, début 2002, d’un Fonds spécial pour lutter contre le sida, le paludisme et la tuberculose en est une des preuves les plus évidentes- elle est aussi de plus en plus africaine. Et les associations, très actives dans le domaine de la lutte contre le sida, trouvent plus et mieux qu’avant le soutien des dirigeants.

Les précurseurs : Ouganda et Sénégal

L’Ouganda est le pays qui fait figure d’exemple en Afrique. En jouant à fond la carte de la prévention, il a réussi à stopper la progression du fléau. Et c’est en grande partie grâce à l’implication personnelle de son président, Yoweri Museveni, qu’il a été possible d’obtenir un tel résultat. Dès son arrivée au pourvoir, en 1986, il prend la mesure de l’enjeu du sida dans son pays où les premiers cas ont été décelés en 1984. Il crée très rapidement un comité national de prévention et lance une campagne médiatique sans tabou pour informer la population sur les dangers et les moyens d’éviter la transmission du virus. Des distributions de préservatifs sont aussi organisées à grande échelle. Le président participe à ce vaste programme de lutte en donnant l’impulsion politique indispensable pour mettre en œuvre des actions mais aussi en s’engageant pour faire évoluer les moeurs et vaincre les tabous.

Les résultats sont probants. Le taux de prévalence global est en baisse. Il est aujourd’hui de 5 % alors qu’il était de 8,3 % en 1999. Et dans certaines catégorie de populations, cette chute est très importante. Chez les femmes enceintes de la région de Kampala, il est passé de 29,5 % en 1992 à 11, 25 % en 2000.

Le Sénégal est, en Afrique, l’autre pays de référence. Il a réussi à éviter l’explosion de la contamination. Avec moins de 1 % de la population infectée par le sida, le Sénégal a l’un des taux de prévalence les plus bas sur le continent. Cette performance n’est pas due au hasard. Les pouvoirs publics n’ont pas attendu que le fléau ravage le pays pour engager une politique de lutte efficace. La rapidité d’Abdou Diouf, alors président, à prendre le problème à bras le corps est l’une des explications de la qualité des résultats obtenus. Au Sénégal aussi, les premiers efforts ont porté sur la sensibilisation et la prévention. Campagnes d’information et programmes de diffusion du préservatif ont été menés de front. La variante sénégalaise vient du soutien que les politiques ont été chercher du côté des chefs religieux du pays. La stratégie du gouvernement d’Abdou Diouf a été d’élargir au maximum le débat pour toucher tous les niveaux de la société et dépasser le cadre de l’interdit religieux très puissant en Afrique.

En parallèle, le Sénégal a rapidement mis en œuvre une politique pour faciliter l’accès au traitement des personnes infectées. Dans ce domaine, Abdoulaye Wade a poursuivi les efforts de son prédécesseur. Et le Sénégal a été le premier pays à signer, en 2000, un accord avec les grandes firmes pharmaceutiques internationales pour bénéficier d'une réduction sur les prix des antirétroviraux. Il a aussi mis en place et installé, en personne, un Conseil national de lutte contre le sida dont l’objectif est de maintenir le taux de prévalence au niveau le plus bas possible.

Le cas à part : l’Afrique du Sud

Le président sud-africain, Thabo Mbeki s’est illustré à de nombreuses reprises en exprimant une opinion très personnelle sur la question du sida. Il a d’abord remis en cause le lien entre le VIH et le sida, au mépris des travaux des chercheurs de la communauté internationale. Il a ensuite poursuivi une politique marquée par une sousestimation flagrante de l’impact de l’épidémie et un refus répété de mettre à la disposition des malades sud-africains les médicaments antirétroviraux disponibles sur le marché. Dernier incident révélateur en date, le procès intenté par une association de défense des malades, Treatement Action Campaign (TAC), pour obliger le gouvernement à distribuer la Névirapine, qui réduit le risque de transmission du virus de la mère à l’enfant, auprès des femmes enceintes. Malgré les injonctions de la cour constitutionnelle, ce dernier s’est refusé plusieurs fois à obtempérer. Thabo Mbeki, lui-même, s’est exprimé pour dire que les antirétroviraux étaient «dangereux».

Dans un pays qui détient le triste record du nombre de personnes infectées (près de cinq millions), Thabo Mbeki a longtemps minimisé l'importance de la maladie. Le président a, en effet, remis en cause les statistiques selon lesquelles le sida est la principale cause de mortalité dans le pays. Les prises de position de Thabo Mbeki et de sa ministre de la Santé, Manto Tshabalala-Msimang, heurtent les nombreuses ONG sud-africaines qui luttent activement contre le sida et réclament la généralisation de l'accès aux antirétroviraux. D’ailleurs, Nelson Mandela, lui-même, a pris position publiquement contre la politique du gouvernement sur ce sujet.

Tous les chefs d'Etat s'y mettent

Les gouvernants africains agissent aujourd'hui à plusieurs niveaux. Ils participent à la lutte contre la stigmatisation en se rendant auprès des malades mais aussi en prenant position publiquement. Laurent Gbagbo, le président de la Côte d’Ivoire, l’un des pays d’Afrique de l’Ouest les plus touchés par l’épidémie, a ainsi expliqué lors de la Conférence d’Abuja sur le sida qu’il «est très important que les dirigeants africains démythifient le sida et aident à changer les mentalités». Blaise Compaoré a, pour sa part, marqué les esprits au Burkina Faso en posant sur une affiche, à l’occasion de la journée contre le sida, avec une jeune femme séropositive et en expliquant qu'il était nécessaire de «porter une attention spéciale aux personnes vivant avec le VIH».

Certains chefs d’Etat comptent d’ailleurs sur l’aide active de leurs épouses très impliquées auprès des associations et des personnels soignants. Pour Pierre Mpelé, chef d’équipe inter-pays pour l’Afrique de l’Ouest et centrale : «Les premières dames sont bien placées pour lutter contre les tabous [liés au sida] car elles sont aussi des mères». Simone Gbagbo fait partie des femmes de président les plus actives. Elle a participé notamment au lancement d’une grande campagne de sensibilisation dans le pays. Mesdames Obasanjo (Nigeria), Kérékou (Bénin), Biya (Cameroun), Bongo (Gabon) se sont aussi beaucoup impliquées dans la lutte contre le sida.

Au-delà des discours, c’est aujourd’hui au niveau des actes et de la mise en œuvre de politiques concrètes que les gouvernants agissent. Tous les pays disposent de comités nationaux en charge de la lutte contre l’épidémie. Certains sont présidés par le président lui-même, comme au Burkina Faso avec Blaise Compaoré. Olusegun Obasanjo, le président du Nigeria, assure quant à lui la coordination du suivi du Sommet d’Abuja sur le sida, à l’occasion duquel les chefs d’Etat africains s’étaient engagés à consacrer d’ici 5 ans, 15 % de leurs budgets à la santé. D’autres pays ont même été jusqu’à créer un ministère en charge de la lutte contre le sida comme la Côte d’Ivoire ou le Burundi.

Les gouvernants africains, conscients de l’urgence sanitaire dans laquelle se trouvent leurs pays, commencent aussi à prendre des décisions politiques significatives. Ils débloquent des fonds pour favoriser l’accès aux traitements et décident d’importer des médicaments génériques (copies) en provenance d’Inde ou du Brésil, malgré les accords conclus dans le cadre de l’Organisation mondiale du Commerce sur la propriété intellectuelle (Adpic) qui protègent les brevets des firmes pharmaceutiques qui ont développé les molécules anti-sida.

Le président Kabila a, par exemple, débloqué récemment deux millions d’euros pour l’achat d’antirétroviraux génériques. Le Burkina a annoncé son intention d’en faire autant. Et un programme pilote d’importation de médicaments génériques a été lancé fin 2001 au Nigeria, à la suite d’une négociation du gouvernement avec le laboratoire indien Cipla pour une valeur de 4 millions de dollars. Le Cameroun a passé un accord avec la même société pharmaceutique par assurer l’approvisionnement du pays en trithérapies à bas prix. Le ministre zambien des Finances a annoncé, en mars 2002, que son gouvernement allait consacrer 312 000 dollars à l’achat de médicaments antirétroviraux.

A lire également :
Sida : pour bien parler du mal
Edito économique de Norbert Navarro

A écouter :
Reportage en Inde : évolution de la maladie et accès aux médicaments (Magazine Reporteur de Marina Mielzareck, le 08/07/2002)

Liens utiles :
Onusida
Conférence internationale de Barcelone sur le sida



par Valérie  Gas

Article publié le 08/07/2002