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Mexique

A qui bénéficie l’Alena ?

Depuis dix ans, les gouvernements imposent aux Mexicains un modèle libéral à travers la mise en place de l’Alena qui ne semble pas le meilleur chemin. Le Mexique souffre d’hésitations chroniques quant à la voie à suivre pour réussir son entrée dans la modernité.
De notre correspondant au Mexique

George Bush (père) et Carlos Salinas de Gortari ont jeté, il y a juste dix ans, les bases de l’Alena, un accord qui a joué un rôle central dans la restructuration idéologique et politique du Mexique en contribuant à débloquer les contraintes qui pesaient sur l’économie et la société mexicaine. Mais, cet accord n’a-t-il pas, dans le fond, été pensé pour le bien être des États-Unis ? Au début des années 90, l’industrie nord-américaine est en retard par rapport à l’Europe ou au Japon, dans la modernisation de ses industries traditionnelles, elle est coincée par des lois écologiques sévères, et peu compétitive en matière de salaires. Aux yeux de George Bush, la combinaison du capital et de la technologie des États-Unis, des ressources naturelles du Canada et de la main d’œuvre et des ressources énergétiques du Mexique peuvent permettre la construction d’une zone de grande prospérité. L’Alena est donc la solution.

Un fabuleux libre-marché sur le papier mais qui est totalement asymétrique : le Produit National Brut des États-Unis est de 7 795 milliards de dollars, celui du Mexique de 392 milliards de dollars. Autant additionner des pommes et des poires, en faisant croire qu’il existe, avec l’Alena, un marché de 351 millions de personnes ayant un PIB supérieur à 5 000 milliards de dollars.

Maquiladoras : une «petite Corée» au Mexique

Avec l’Alena, les États-Unis se sont donc construits, sur la frontière mexicaine, une véritable « petite Corée ». 3500 usines de montage que l’on appelle maquiladoras, produisent à bas prix : textiles, chimie et agrochimie, électronique, et automobiles, grâce au gouvernement mexicain qui ferme les yeux sur les dégâts environnementaux, sur les abus en matière de droit du travail ou des droits de l’Homme. Les bas salaires mexicains incitent à la délocalisation des capitaux nord-américains qui, en s’investissant au Mexique, permettent aux maquiladoras d’accroître leurs ventes et leurs productivité. Les salaires représentent l’avantage essentiel du Mexique: ils sont 6 à 10 fois moins élevés qu’aux États-Unis et un tiers plus bas qu’en Corée ou qu’à Taiwan. Un avantage auquel il faut rajouter les faibles coûts de transport d’un pays à l’autre et l’intégration de processus de gestion semblables, du fait de la proximité.

La justification du système de la maquiladora est bien sûr la création de milliers d’emplois pour développer le Mexique. Les estimations donnent un chiffre théorique de 600 000 emplois par an et une croissance annuelle de 11,2% des exportations. Ces emplois mal payés permettent juste de survivre mais surtout l’individu ne semble plus compter : les rapports sociaux qu’engendre cet type d’économie sont en passe de modifier les comportements humains. Dans la ville de Ciudad Juarez par exemple, où travaille une population essentiellement féminine, âgée de 14 à 24 ans, les jeunes femmes venues de la campagne, (sans mari, puisque les maquiladoras n’embauchent pas d’hommes), ne sont plus respectées. Drogue, prostitution, solitude, absence de lois sociales et de justice, en dix ans, plus de 300 d’entre elles ont été assassinées et la liste ne cesse d’augmenter. A force de n’avoir aucune considération pour ces ouvrières, la maquiladora est en train de façonner un nouveau moule social : elle rend ses travailleuses jettables, comme les produits qu’elles fabriquent. C’est une réalité terrible que les sociologues commencent à prendre en compte, d’autant plus que l’Alena semble vouloir transformer le Mexique en une vaste maquiladora.

En 2001, le Mexique a exporté 159 milliards de dollars de marchandises et en a importées 169 milliards. 600% de plus en 8 ans mais avec un déficit commercial en hausse, financé par les entrées de capitaux attirés par les conditions intéressantes qu’offre la Banque du Mexique, par une politique de taux de change fort, avec un peso mexicain plutôt sur-évalué. Le modèle économique donne la priorité aux exportations, mais 8 ans après l’entrée en vigueur de l’Alena, on commence à en mesurer les limites : le nombre de pauvres est passé de 40 à 60 millions, des millions d’entreprises ont fermé, les prix ont tous augmentés, les subventions ont été arrêté et les marchandises américaines arrivent beaucoup plus vite que les capitaux. Le Mexique est envahi par le made in USA. Problème : l’essor des exportations se heurte aux capacités d’absorption du marché américain : le Mexique est donc tributaire de son voisin du nord comme on le mesure avec la morosité de la croissance américaine qui a entraîné, depuis le 11 septembre, la fermeture de nombreuses maquiladoras.

Sur le plan intérieur, cette politique de soutien aux entreprises exportatrices a entraîné un effondrement des industries traditionnelles mexicaines (PME et PMI) qui se trouvent confrontées à une concurrence insoutenable: les produits américains sont souvent subventionnées (agro-alimentaire, acier), mais surtout, aux États-Unis, le crédit est accessible à des prix raisonnables alors qu’au Mexique, les banques ne prêtent pas à moins de 25 %. Un handicap qui empêche toute industrie mexicaine d’investir, ce qui entraîne sa faillite. Le modèle libéral estime que c’est excellent pour la concurrence et la satisfaction des consommateurs, mais il est facile d’imaginer le moment où le Mexique ne produira plus rien, où tout sera acheté aux États-Unis, il y aura alors un chômage et un déficit commercial insupportable.

L’avenir n’est donc pas radieux pour le Mexique. Le maintien des bas salaires que le gouvernement prône, implique une stagnation du marché intérieur et du niveau de vie des Mexicains et engendre une inégalité dans la répartition de la richesse. Un système qui aura permis aux gouvernements néo-libéraux de démanteler à jamais ce qui constituait l’Etat de bien-être issu de la Révolution, tout en préparant le lit de l’Alca, l’Accord de Libre Echange Américain que George W. Bush voudrait étendre de l’Alaska jusqu’en Terre de Feu.

Ecouter également : Patrick Bard, Photographe reporter qui vient de publier aux éditions du Seuil, «la frontière». Il s'agit de la somme de cinq années de clichés pris autour de la frontière américano-méxicaine et les conséquences sociales de l'Alena.



par Patrice  Gouy

Article publié le 12/08/2002