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Développement durable

L’offensive marketing des multinationales

Les partenariats public-privé sont au centre des stratégies prônées par l’ONU pour assurer un développement durable de la planète. Mais pour les entreprises privées présentes au sommet de la Terre, l’occasion est surtout belle de faire parler d’elles.
De notre correspondante à Johannesburg

Absentes à Rio, il y a dix ans, les grandes entreprises privées s’arrachent aujourd’hui la vedette à Johannesburg. Parmi les principaux sponsors du Sommet mondial sur le développement durable figure Hewlett Packard, un groupe informatique qui a fourni des centaines d’ordinateurs pour les centres de presse et cafés internet des différents sites de la conférence. Daimler Chrysler, de son côté, a gracieusement prêté 1000 berlines de luxe destinées aux délégations officielles, qui seront ensuite revendues. Quant à son concurrent BMW, il a damné le pion à des ONG telles que les Amis de la Terre, qui auraient bien voulu partager avec ce constructeur l’espace offert par Sandton Square, la principale place publique du quartier où se déroule le sommet officiel.

Dans le Village Ubuntu, le centre d’exposition officiel du Sommet, les stands de l’Anglo-American (mines) et autres Murray & Roberts (construction) ou Bayer (biotechnologies) sont bien en vue, parmi les pavillons des pays et des grandes agences internationales. Toutes les multinationales offrent un profil irréprochable en matière de développement durable. Sur le stand de Toyota, dans le pavillon du Japon, des modèles de voitures hybrides fonctionnant à la fois avec de l’essence et de l’électricité ou de l’hydrogène sont présentées. De quelque 15 % plus chères que la moyenne, elles réduisent de moitié les émissions de carbone dans l’atmosphère. Quelque 13000 modèles sont déjà en circulation au Japon, indiquent les ingénieurs. Quid du développement durable? «Notre président d’honneur, Shoichiro Toyoda, est le vice-président de la Conférence mondiale du secteur privé sur le développement durable qui se tient au Hilton».

«Nous sommes une entreprise, pas un œuvre de charité»

Les grands groupes communiquent à l’aide de brochures luxueuses sur leur «responsabilité sociale». Si Shell a reçu lundi le grand prix du “plus grand menteur”, décerné par l’ONG Greenwatch, British Petroleum (BP) ne peut que s’en féliciter. «Regardez nos concurrents, souligne un responsable du groupe pétrolier britannique, ils ne sont pas venus, à l’exception de Chevron Texaco, qui a un tout petit stand». BP a choisi de se présenter comme le leader mondial de la fabrication de panneaux solaires, un aspect méconnu de son activité. Pour ce groupe, les partenariats de «type 2» (public-privé) dont il est tant question aujourd’hui n’ont rien de nouveau. «Nous demandons aux gouvernement de s’inspirer de nos huit projets de développement durable par le biais de l’énergie solaire», affirme Roebyem Heintz, responsable de projets pour BP Solar. Aux Philippines, son groupe a lancé en 1997 un projet d’énergie solaire bénéficiant à des communautés rurales. Aujourd’hui, BP affirme avoir «amélioré la qualité de vie de 700000 personnes», bien qu’il n’ait pas investi un centime. Grâce à un financement australien de 27 millions de dollars, octroyé sous forme de subvention à 35% et de prêt à 65% au gouvernement de ce pays, BP a au contraire élargi les 30 % de parts qu’il détient sur le marché mondial des panneaux solaires (240 millions de dollars de chiffre d’affaires en 2001). «Le projet a tellement bien marché qu’il a incité l’Espagne a en financer un autre aux Philippines, pour 50 millions de dollars», affirme Roebyem Heintz. «Nous sommes une entreprise commerciale, poursuit-elle, et pas une oeuvre de charité. Cela dit, notre PDG est le premier d’un grand groupe pétrolier à s’être fixé un objectif de 5 millions de personnes équipées en énergie solaire d’ici 2010».

L’un des grands débats du Sommet de Johannesburg porte sur l’implication des entreprises dans la mise en oeuvre du développement durable. «Il serait idiot, affirme Claude Martin, directeur général du World Wide Fund for Nature (WWF), de ne pas coopérer avec des firmes comme Lafarge. Ce grand producteur de ciment émet deux fois plus de CO2 que mon pays, la Suisse. Il est d’accord pour réduire ces émissions de 10 %…» D’autres redoutent la dilution de la responsabilité des Etats dans des projets publics-privés de portée trop limitée. «Sans un cadre réglementaire contraignant pour les entreprises, nous aurons beaucoup d’autres Bhopal», affirme un porte-parole de l’ONG Corpwatch groupe, qui rappelle les milliers de morts provoquées en 1984 en Inde par une fuite de gaz.



par Sabine  Cessou

Article publié le 28/08/2002