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Afghanistan

Les Taliban victimes de crime de guerre ?

L’hebdomadaire américain Newsweek a relancé en début de semaine le débat sur les graves accusations de crimes de guerre qui pèsent depuis plusieurs mois sur l’Alliance du Nord au moment de la chute du régime du mollah Omar. Un charnier aurait été découvert dans le nord de l’Afghanistan dans lequel seraient enterrés les corps d’un millier de Taliban morts asphyxiés. Un rapport confidentiel de l’ONU cité par Newsweek, qui souligne que les faits découverts «suffisent à justifier une enquête criminelle», semble confirmer ces accusations. Le ministre afghan de la Défense, Mohammad Quassim Fahim, a pourtant catégoriquement démenti l’existence d’un tel charnier. Il a toutefois affirmé que son gouvernement était prêt à diligenter une enquête.
C’est une ONG américaine présente depuis des années en Afghanistan, Physicians for Human rights (PHR), qui a découvert en janvier dernier l’existence de fosses communes à Dashte-e-Leili, dans la région de Mazar-e-Charif. Deux de ses experts en médecine légale ont par ailleurs participé entre le 28 avril et le 7 mai dernier à une enquête sur ce site pour le compte de la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA). Ils sont tous les deux formels sur l’existence d’un vaste charnier. L’équipe a en effet étudié une large fosse commune marquée de traces d’engins lourds. Elle a sondé le sol et creusé un trou test dans lequel quinze corps ont été trouvés. Leur état a permis de faire remonter la mort à plusieurs mois, juste après l’offensive d’automne contre les Taliban. Ces experts, qui ont exhumé et autopsié trois corps, estiment par ailleurs que l’asphyxie était sans doute la cause du décès. Ils pensent que la fosse commune qu’ils ont découverte pourraient contenir les corps de plusieurs centaines de personnes, sans doute des prisonniers Taliban capturés par les troupes du chef de guerre ouzbek, le général Abdul Rashid Dostom, membre de l’Alliance du Nord qui, aux côtés des Etats-Unis, a renversé le régime du mollah Omar. Ces prisonniers, arrêtés après la chute de leur bastion de Kunduz, seraient morts asphyxiés dans les containers qui devaient les transporter vers la prison de Shiberghan, située à quelques centaines de mètres à peine des fosses communes découverte par l’ONG américaine.

Un rapport confidentiel de l’ONU, rédigé en mai dernier, affirme par ailleurs que les faits découverts «suffisent à justifier une enquête criminelle officielle». L’idée de cette enquête a toutefois été abandonnée, l’organisation internationale estimant qu’elle ne pouvait protéger les témoins de ce drame d’éventuelles représailles. Malgré le rapport accablant des Nations unies, le ministre afghan de la Défense, Mohammad Quassim Fahim, a catégoriquement démenti l’existence d’un charnier dans le nord du pays. «Je ne crois pas à l’existence d’une grande fosse commune de plusieurs centaines de personnes dans le désert de Dasht-e-Leili», a notamment affirmé ce proche du général Dostom en soulignant que le gouvernement afghan «avait des contacts dans la zone et la province pour faire une enquête précise». Il a également déclaré que l’équipe au pouvoir à Kaboul était «prête à collaborer pleinement avec les organisations de défense des droits de l’homme et d’autres autorités dans l’enquête sur cette affaire ou des affaires similaires».

Un dossier embarrassant

La position afghane rejoint celle de l’administration américaine qui a affirmé avoir insisté auprès de Kaboul pour que des enquêtes sur les soupçons de crimes de guerre soient menées. «Nous avons souligné et nous continuons à souligner, auprès des autorités afghanes, qu’il est important d’enquêter sur les allégations de violations des droits de l’homme», a notamment affirmé un porte-parole du département d’Etat, Philip Reeker. Concernant l’éventuelle existence d’un charnier dans le nord de l’Afghanistan, il s’est refusé à tout commentaire et a juste déclaré que Washington «examinait les circonstances de cet événement».

Cette affaire, qui a été médiatisée au mois de juin dernier avec la diffusion au Parlement européen d’un documentaire réalisé par un journaliste irlandais, n’a curieusement suscité, à l’époque, aucune réaction. L’ONU a certes donné des instructions pour que le site du charnier soit «périodiquement visité afin de s’assurer qu’il n’est pas modifié par une activité humaine délibérée», mais aucune enquête sérieuse n’a été diligentée. Il est vrai que ce dossier très sensible pourrait bien embarrasser les forces spéciales américaines présentes dans la région au moment du drame. L’ONG américaine PHR vient d’ailleurs d’«exiger qu’une enquête criminelle exhaustive et immédiate soit effectuée sous les auspices des Nations unies». Elle a également «condamné le refus des gouvernements américain et afghan et de l’ONU de sécuriser le site du charnier».



par Mounia  Daoudi

Article publié le 22/08/2002