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Afghanistan

Washington révise sa stratégie militaire

La guerre anti-terroriste pourrait prendre un nouveau visage. Suite aux dernières bavures enregistrées, les Américains s’interrogent sur leur mode d’action et s’achemineraient vers un soutien plus politique que militaire aux autorités de Kaboul.
Il s’est produit la semaine dernière en Afghanistan deux événements majeurs dont les états-majors, politique et militaire, devront tirer les conclusions. Il y eut tout d’abord la tragique méprise de l’armée de l’air américaine, avec le bombardement de la province d’Uruzgan et notamment du village de Kakrakaï, dans le centre du pays au cours de la nuit du 30 juin au 1er juillet. Les victimes (48 morts, 118 blessés) étaient, pour la plupart, réunies pour célébrer un mariage. Puis, samedi, l’un des vice-présidents afghans, également ministre des Travaux publics, est tombé sous les balles d’un commando, en plein Kaboul, où plus de cinq mille hommes, membres d’une force multinationale sont censés assurer la sécurité de la capitale. Les deux événements n’ont rien à voir l’un avec l’autre, sinon qu’ils posent tous deux, la question des modalités de la poursuite de la guerre anti-terroriste engagée depuis le 11 septembre.

Dans le premier cas on est frappé par l’énormité de la «bavure» commise, sur la foi de renseignements erronés, par les forces armées de la coalition la plus puissante que l’on puisse imaginer. Outre l’action précipitée sur la base de fausses indications, il y a manifestement eu disproportion entre la menace et l’attaque. Et ce qui était admissible il y a quelques mois encore, au titre d’inévitables dommages collatéraux, ne l’est manifestement plus. Depuis la réunion de la loya jirga, au mois de juin à Kaboul, et la mise en place d’un gouvernement de transition, depuis la libération de la parole et la manifestation d’une volonté de débats, le terrain des luttes afghanes s’est sensiblement déplacé vers le champ politique.

En conséquence, à mesure que s’installe les règles d’une nouvelle vie publique, la brutalité des guerriers semble de moins en moins bien supportée. Les Américains, pour ce qu’ils représentent en terme d’hyperpuissance globale et de force d’intervention principale sur ce terrain-là, sont désormais les cibles des plus vives critiques. En l’état, leur soutien au régime afghan, dont on les soupçonne d’en être les inspirateurs, pourrait même se montrer contre-productif, l’impopularité des uns rejaillissant sur l’autre. De toute évidence, Kaboul n’exerce pas sa souveraineté sur l’ensemble du pays. Mais la guerre de reconquête du territoire national est terminée en dépit d’une insécurité qui n’est pas que résiduelle, en raison de la capacité des Taliban à opposer une certaine résistance armée aux changements en cours.

A la fois «libérateurs» et «envahisseurs»

Dix mois après le début de la guerre, les parrains américains de l’armada anti-terroriste ont pris la mesure de la situation. Le commandant des forces de la coalition, le général américain Dan MacNeill, est allé dimanche dans cette région endeuillée par le bombardement d’il y a huit jours et il a évoqué, avec ses interlocuteurs afghans, «un éventuel remplacement des forces de la coalition dans ce secteur et le démarrage d’opérations civiles et humanitaires», selon son porte-parole. Cette déclaration illustre parfaitement la tendance qui pourrait bien se dessiner à Washington où des responsables, cités par le Washington Post, estiment qu’il faut en revenir à des actions moins spectaculaires, comme lorsqu’au tout début du conflit des commandos des forces spéciales et des services secrets travaillaient en étroite collaboration avec des combattants afghans. L’idée n’est pas encore de désengager les sept mille soldats américains présents sur place, mais que leur rôle devienne progressivement moins militaire et plus politique. Bien que le soutien du régime d’Hamid Karzaï ne soit pas, non plus, un exercice militaire dénué de risques.

Qui que soient les commanditaires du meurtre du vice-président Haji Abdul Qadir, samedi à Kaboul, c’est à un symbole de l’autorité centrale que s’en sont pris les exécuteurs. Ce qui, dans le même mouvement, conforte les Américains dans la posture d’une installation durable, mais pas forcément militaire au sens strict, dans les régions dans lesquelles ils interviennent, au titre du devoir de consolidation du pouvoir central. Comment le faire, et le faire discrètement, sans susciter le ressentiment mais l’adhésion, en restant des «libérateurs» plutôt que des «envahisseurs» ?

C’est le principal défi d’une nouvelle doctrine américaine en voie d’élaboration, à mesure que les Etats-Unis s’impose de façon incontestable dans le rôle de gendarme du monde. C’est un cas d’école qu’il faudra résoudre d’urgence : d’autres fronts sont en cours ou attendus, des Philippines à l’Irak.



par Georges  Abou

Article publié le 07/07/2002