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Afghanistan

Brouhaha démocratique à Kaboul

L’ouverture des travaux de la Loya Jirga a été marquée par une confusion qui traduit l’immense espoir des Afghans.
Toutes ces rumeurs en provenance de Kaboul pourraient nous faire douter que l’Afghanistan est bien entrée dans une nouvelle phase de son histoire politique. A en croire les informations qui nous parviennent, la Loya Jirga, qui s’est ouverte mardi, souffrirait d’un très net déficit démocratique de nature à compromettre la confiance qu’elle avait soulevé et, par voie de conséquence, la légitimité de ses décisions. Tout a commencé lundi lorsque nombre de représentants ont compris que l’ex-souverain renoncerait à briguer le poste de chef de l’autorité de transition.

Résultat: les délégués, qui attendaient de Zaher Shah qu’il prenne les affaires en mains, ont manifesté leur déception et l’assemblée a démarré ses travaux avec vingt-quatre heures de retard. Mardi, l’ouverture des débats fut marqué par un quiproquo lorsqu’à l’issue de son discours inaugural, le roi annonça, formellement cette fois, qu’il ne briguait aucune fonction officielle et rendait hommage au travail du chef du gouvernement sortant, Hamid Karzaï, dont il soutenait la réélection. Le tonnerre d’applaudissements qui s’ensuivit fut alors interprété par Hamid Karzaï comme une reconduction pure et simple de son rôle à la tête de l’Etat qu’il proclama hâtivement, à la grande colère de ses opposants qui eurent tôt fait de dénoncer le caractère arbitraire, anti-démocratique et téléguidé de la manœuvre.

Hamid Karzaï a eu beau reconnaître sa méprise, l’absence de débats et le non-respect des procédures démocratiques ont conforté certains délégués dans l’idée que le choix avait déjà été opéré, en coulisse, sous l’égide d’un grand parrain américain soucieux de reconduire une équipe dévouée. L’affaire prenait une mauvaise tournure et menaçait de tourner court. Dans la soirée, l’administration américaine opposait un ferme démenti à sa volonté supposée d’interférer dans les débats, ce qui n’a pas empêché que ce mercredi, à la reprise des travaux, plusieurs dizaines de délégués (entre soixante et soixante-dix, selon l’agence Reuters, sur un total de 1 551) n’avaient pas repris leurs places sous l’immense tente déployée pour les accueillir.

«Ce pays sort du chaos»

C’est un incident très révélateur de l’état d’esprit qui règne actuellement dans ce pays. Il indique l’extrême sensibilité des Afghans pour ces questions de souveraineté et d’ingérence. Il indique également qu’au delà de la grille de lecture ethnique à travers laquelle ont lit l’actualité politique afghane, il existe une véritable quête nationale de dialogue démocratique. Au regard des fortes attentes suscitées par le processus, les réactions initiales de colère et de désappointement enregistrées traduisent aussi l’appréhension d’un échec. Pour leur part, les Afghans de France, qui ne comptent pas bien sûr parmi ceux qui ont enduré le pire des ces vingt-trois dernières années de guerre, jettent sur le travail de leurs compatriotes réunis à Kaboul un regard beaucoup plus bienveillant que les observateurs étrangers.

Selon eux, en dépit de toutes les imperfections relevées sur le mode de désignation, sur les limites de l’assemblée, sur l’incertitude à venir, le résultat est déjà fort honorable. «Ce pays sort du chaos et, pour la première fois depuis vingt-trois ans, ce ne sont plus ni le feu ni le sang qui décident, mais la sagesse», déclare Hossein Sadjad Zafar, membre de la Commission d’organisation de la Loya Jirga en France. A ceux qui ont quitté la conférence il demande quels sont leurs options, maintenant: «y a-t-il encore des Afghans prêts à s’entre-tuer ?». A Kaboul, mercredi soir, les débats se poursuivaient autour de la question de savoir qui dirigera l’autorité de transition au cours de ces deux prochaines années.

Sur place, l’organisation non-gouvernementale Human Rights Watch annonce que les chefs de guerre «essaient de prendre le processus en otage», tandis que le représentant de l’Union européenne estime que si le gouvernement intérimaire parvenait à les intégrer, «ce serait une grande réussite».



par Georges  Abou

Article publié le 12/06/2002