Afghanistan
Loya Jirga : les «barbes blanches» siègent à Kaboul
L’Assemblée de notables qui se tient cette semaine à Kaboul marque une étape dans le processus de normalisation de la vie politique afghane. Elle devrait aboutir à un rééquilibrage du pouvoir au sein de l’autorité de transition et mesurer la position des différents groupes six mois après la chute des Taliban.
Avec l’ouverture des travaux de la Loya Jirga, les Afghans franchissent une étape fondamentale du processus de normalisation de la vie politique de leur pays. Mille cinq cent un délégués, représentant l’ensemble des trois cent quatre-vingt un districts du pays ainsi que les millions d’Afghans en exil, sont arrivés à Kaboul pour former la toute première assemblée parlementaire de «l’après-taliban». La tenue de cette assemblée atteste que, jusqu’à présent, tout s’est passé conformément aux décisions prises en décembre dernier, à Bonn, lorsque les principales factions afghanes se sont réunies, sous l’égide de leurs parrains internationaux, pour définir objectifs, cadre et calendrier. La formule consistant à réunir une Loya Jirga a été préférée à toute autre, dans un premier temps, en raison des carences dont souffre l’Afghanistan après 23 ans de guerre.
Examinée au prisme des critères démocratiques, cette assemblée souffre de nombreuses imperfections. Il s’agit d’une réunion traditionnelle de notables, de «barbes blanches», dont l’origine remonte au XVIIIème siècle et qui puise davantage sa légitimité dans l’Histoire et la culture afghanes que dans son caractère incontestablement représentatif.
Ses membres sont plutôt désignés qu’élus, selon un mode de cooptation dont la «Commission d’organisation de la Loya Jirga», organe des institutions provisoires, contrôle in fine le dernier verrou. Les provinces proposent, Kaboul dispose. Mais l’étroitesse de la marge de manœuvre de l’Autorité centrale et la nécessité de construire le minimum de consensus indispensable à la sérénité des débats a incité le gouvernement d’Hamid Karzaï à adopter une attitude bienveillante à l’égard des propositions formulées par les districts. Il règne dans ce pays une situation toujours caractérisée par des influences régionalistes très fortes, ethniques surtout (voire tribales), religieuses, militaires, mafieuses.
Une Loya Jirga sous influence, mais pas trop
Toute la subtilité du pouvoir central aura été, au cours de ces dernières semaines, d’intégrer subtilement ces données afin de construire une assemblée capable d’exprimer toutes ces influences, contradictoires parfois, sans pour autant compromettre la recherche de l’équilibre. Une Loya Jirga sous influence, mais pas trop. Y sera-t-il parvenu ? La réponse sera inscrite dans les résultats. Mais il ne faut toutefois pas en attendre grand chose. C’est un premier tour de table, un «tour de chauffe», selon l’un des candidats écartés à la représentation des Afghans de France.
Pour le coup, tous les observateurs s’accordent à penser que sa responsabilité est limitée à la reconduction d’une équipe sortante modifiée et à la transformation du «gouvernement de transition» en «gouvernement provisoire» chargé, d’ici la fin de l’année prochaine, d’organiser de véritables élections et la tenue d’une nouvelle Loya Jirga, assemblée législative et constituante, celle-là, puisqu’elle, supportera la charge symbolique de promulguer une nouvelle constitution.
Au cours de la semaine qui s’annonce, les «barbes blanches», parmi lesquelles on devrait compter cent quatre-vingts femmes (qui disposent d’un minimum de cent-soixante sièges), vont débattre essentiellement de la recomposition de la nouvelle équipe «de transition». Compte tenu de l’extrême sensibilité des Afghans à la question ethnique, il sera beaucoup question de la représentation des différentes communautés au sein du gouvernement. Bien que le président du «gouvernement provisoire» soit des leurs, les Pachtounes, environ 40% de la population du pays, s’estiment sous-représentés et demandent que cette anomalie soit corrigée.
C’est en effet l’Alliance du Nord, dominée par les Tadjiks, qui se taille la part du lion au sein de l’autorité centrale. Les «tombeurs de Kaboul» ont été le fer de lance de toutes les résistances au cours de ces dernières années de guerre et ils consentiront difficilement au sacrifice des privilèges que leur a accordé leur statut de vainqueurs. A ce jour, ils contrôlent les ministères-clefs de l’Intérieur, des Affaires étrangères et, surtout, de la Défense, un poste dont il se dit qu’il n’y renonceront jamais. Ce rééquilibrage est l’un des défis auquel doit répondre la Loya Jirga. Ce n’est pas le seul. Elle doit aussi répondre à la question de savoir quel rôle les Afghans veulent donner à leur roi. Zaher Shah est un vieux souverain, quatre-vingt sept ans, qui rentre de trente ans d’exil et qui ne manifeste apparemment pas d’autres ambitions que d’incarner la figure charismatique du «baba», le père. Il est pachtoune, lui aussi, bien qu’il n’en maîtrise pas la langue. Avec Hamid Karzaï, il est, dit-on, en mesure d’apporter la caution nécessaire à l’indispensable ralliement de sa communauté au projet national.
Dans l’alchimie afghane, le soutien de la communauté internationale au chef du gouvernement, son habilité à gérer la sortie de crise, lui ont valu, bon gré mal gré, le ralliement de l’essentiel des forces vives et occultes du pays. Sans doute sera-t-il conforté dans sa mission et reconduit à la tête du gouvernement de transition avec pour objectif suprême de maintenir les grands équilibres de manière à ancrer son pays dans l’après-guerre et cultiver des usages politiques plus conformes à la situation nouvelle, dans le respect des traditions.
La tâche est néanmoins ardue. L’Afghanistan reste en guerre : des combattants taliban sont encore en activité. C’est un pays sous occupation militaire étrangère. Des millions d’Afghans vivent en exil et il faudra des années de travail acharnées pour réduire les séquelles des années de guerre. L’autorité centrale règne sur Kaboul, exerce une influence plus ou moins importante sur nombre de grandes villes et localités, mais ne contrôle de la totalité du territoire national, loin s’en faut. L’ONU maintient cinq mille hommes à Kaboul pour assurer la sécurité de la capitale et des jeunes institutions du pays, mais le Conseil de sécurité n’a pas accepté un déploiement hors de la ville.
Le pays s’inscrit donc dans un long processus qui demande patience et soutien. La patience des Afghans, face à l’épreuve du temps et des contradictions qui agitent leur société, entre nationalisme et tribalisme. Le soutien de la communauté internationale qui devra, tout au long de la convalescence, scrupuleusement veiller à ne pas maltraiter la dignité de cette vieille dame fatiguée. L’engagement afghan pourrait s’avérer exemplaire de la guerre qui a démarré le 11 septembre. Dans ce contexte l’Assemblée qui s’ouvre est un laboratoire politique qui suscite autant d’intérêt que de réserve de la part des Afghans. Personne n’oublie que c’est une Loya Jirga convoquée à l’initiative de l’ancien président Babrak Karmal qui avait, en 1985, approuvé l’intervention soviétique en Afghanistan.
Examinée au prisme des critères démocratiques, cette assemblée souffre de nombreuses imperfections. Il s’agit d’une réunion traditionnelle de notables, de «barbes blanches», dont l’origine remonte au XVIIIème siècle et qui puise davantage sa légitimité dans l’Histoire et la culture afghanes que dans son caractère incontestablement représentatif.
Ses membres sont plutôt désignés qu’élus, selon un mode de cooptation dont la «Commission d’organisation de la Loya Jirga», organe des institutions provisoires, contrôle in fine le dernier verrou. Les provinces proposent, Kaboul dispose. Mais l’étroitesse de la marge de manœuvre de l’Autorité centrale et la nécessité de construire le minimum de consensus indispensable à la sérénité des débats a incité le gouvernement d’Hamid Karzaï à adopter une attitude bienveillante à l’égard des propositions formulées par les districts. Il règne dans ce pays une situation toujours caractérisée par des influences régionalistes très fortes, ethniques surtout (voire tribales), religieuses, militaires, mafieuses.
Une Loya Jirga sous influence, mais pas trop
Toute la subtilité du pouvoir central aura été, au cours de ces dernières semaines, d’intégrer subtilement ces données afin de construire une assemblée capable d’exprimer toutes ces influences, contradictoires parfois, sans pour autant compromettre la recherche de l’équilibre. Une Loya Jirga sous influence, mais pas trop. Y sera-t-il parvenu ? La réponse sera inscrite dans les résultats. Mais il ne faut toutefois pas en attendre grand chose. C’est un premier tour de table, un «tour de chauffe», selon l’un des candidats écartés à la représentation des Afghans de France.
Pour le coup, tous les observateurs s’accordent à penser que sa responsabilité est limitée à la reconduction d’une équipe sortante modifiée et à la transformation du «gouvernement de transition» en «gouvernement provisoire» chargé, d’ici la fin de l’année prochaine, d’organiser de véritables élections et la tenue d’une nouvelle Loya Jirga, assemblée législative et constituante, celle-là, puisqu’elle, supportera la charge symbolique de promulguer une nouvelle constitution.
Au cours de la semaine qui s’annonce, les «barbes blanches», parmi lesquelles on devrait compter cent quatre-vingts femmes (qui disposent d’un minimum de cent-soixante sièges), vont débattre essentiellement de la recomposition de la nouvelle équipe «de transition». Compte tenu de l’extrême sensibilité des Afghans à la question ethnique, il sera beaucoup question de la représentation des différentes communautés au sein du gouvernement. Bien que le président du «gouvernement provisoire» soit des leurs, les Pachtounes, environ 40% de la population du pays, s’estiment sous-représentés et demandent que cette anomalie soit corrigée.
C’est en effet l’Alliance du Nord, dominée par les Tadjiks, qui se taille la part du lion au sein de l’autorité centrale. Les «tombeurs de Kaboul» ont été le fer de lance de toutes les résistances au cours de ces dernières années de guerre et ils consentiront difficilement au sacrifice des privilèges que leur a accordé leur statut de vainqueurs. A ce jour, ils contrôlent les ministères-clefs de l’Intérieur, des Affaires étrangères et, surtout, de la Défense, un poste dont il se dit qu’il n’y renonceront jamais. Ce rééquilibrage est l’un des défis auquel doit répondre la Loya Jirga. Ce n’est pas le seul. Elle doit aussi répondre à la question de savoir quel rôle les Afghans veulent donner à leur roi. Zaher Shah est un vieux souverain, quatre-vingt sept ans, qui rentre de trente ans d’exil et qui ne manifeste apparemment pas d’autres ambitions que d’incarner la figure charismatique du «baba», le père. Il est pachtoune, lui aussi, bien qu’il n’en maîtrise pas la langue. Avec Hamid Karzaï, il est, dit-on, en mesure d’apporter la caution nécessaire à l’indispensable ralliement de sa communauté au projet national.
Dans l’alchimie afghane, le soutien de la communauté internationale au chef du gouvernement, son habilité à gérer la sortie de crise, lui ont valu, bon gré mal gré, le ralliement de l’essentiel des forces vives et occultes du pays. Sans doute sera-t-il conforté dans sa mission et reconduit à la tête du gouvernement de transition avec pour objectif suprême de maintenir les grands équilibres de manière à ancrer son pays dans l’après-guerre et cultiver des usages politiques plus conformes à la situation nouvelle, dans le respect des traditions.
La tâche est néanmoins ardue. L’Afghanistan reste en guerre : des combattants taliban sont encore en activité. C’est un pays sous occupation militaire étrangère. Des millions d’Afghans vivent en exil et il faudra des années de travail acharnées pour réduire les séquelles des années de guerre. L’autorité centrale règne sur Kaboul, exerce une influence plus ou moins importante sur nombre de grandes villes et localités, mais ne contrôle de la totalité du territoire national, loin s’en faut. L’ONU maintient cinq mille hommes à Kaboul pour assurer la sécurité de la capitale et des jeunes institutions du pays, mais le Conseil de sécurité n’a pas accepté un déploiement hors de la ville.
Le pays s’inscrit donc dans un long processus qui demande patience et soutien. La patience des Afghans, face à l’épreuve du temps et des contradictions qui agitent leur société, entre nationalisme et tribalisme. Le soutien de la communauté internationale qui devra, tout au long de la convalescence, scrupuleusement veiller à ne pas maltraiter la dignité de cette vieille dame fatiguée. L’engagement afghan pourrait s’avérer exemplaire de la guerre qui a démarré le 11 septembre. Dans ce contexte l’Assemblée qui s’ouvre est un laboratoire politique qui suscite autant d’intérêt que de réserve de la part des Afghans. Personne n’oublie que c’est une Loya Jirga convoquée à l’initiative de l’ancien président Babrak Karmal qui avait, en 1985, approuvé l’intervention soviétique en Afghanistan.
par Georges Abou
Article publié le 09/06/2002