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Mozambique

Le dernier refuge des fermiers blancs du Zimbabwe

En moins de deux ans, une cinquantaine de fermiers blancs zimbabwéens se sont installés au Mozambique. Pour ce pays pauvre, les fonds et le savoir-faire que les fermiers amènent avec eux sont une chance. A condition que ces investissements s’intègrent dans la réalité sociale du pays. L’histoire et la tradition de métissage du Mozambique, ajoutées aux mesures préventives prises par le gouvernement, permettront-elles d’éviter que ne se reproduise une dérive à la zimbabwéenne ?
De notre correspondante à Maputo

Dès le début de la crise au Zimbabwe, les autorités mozambicaines ont été sollicitées par des fermiers blancs pour l’attribution de terres. Mais depuis la réélection contestée de Robert Mugabe, les demandes se sont accélérées. A ce jour, quarante fermiers blancs sont d’ores et déjà installés dans la province de Manica, région frontalière avec le Zimbabwe. D’ici deux mois, une vingtaine d’autres fermiers obtiendront quelques milliers d’hectares et les autorités provinciales prévoient qu’une soixantaine de demandes devrait être traitée au cours de l’année à venir. A Maputo, le Centre de Promotion des Investissements (CPI), organisme public d’incitation à l’investissement étranger, recense 50 projets à l’étude émanant d’exploitants agricoles zimbabwéens désireux de faire du Mozambique leur nouveau pays.

Les autorités mozambicaines n’ont jamais caché leur intérêt pour cette arrivée de fonds et de savoir-faire agricole, qui leur font cruellement défaut. Ravagé par une guerre de décolonisation, longue de dix ans - de 1964 à 1975 - puis par une guerre civile qui a duré plus de quinze ans jusqu’aux accords de paix en 1992, le pays est encore largement sous-exploité. Sur 35 millions d’hectares de terres arables, seuls 4 millions sont cultivés. L’agriculture vivrière reste la règle et, malgré l’ouverture récente de quatre facultés d’agronomie dans le pays, les compétences en matière d’agriculture commerciale sont encore faibles. Le gouvernement souhaite donc encourager par tous les moyens l’exploitation agricole commerciale. Les objectifs sont clairs : lutter contre la pauvreté et les risques de famine, priorité du gouvernement depuis le début de l’année, et tenter de réduire autant que possible les importations.

Accueillir des fermiers blancs zimbabwéens est donc une chance que veulent saisir les Mozambicains. Ils sont néanmoins décidés à considérer ces voisins comme n’importe quel investisseur. «Nous considérons les fermiers blancs qui veulent s’installer au Mozambique comme des investisseurs, non pas comme des réfugiés. Leurs demandes sont étudiées dans le cadre de la loi sur l’investissement étranger» déclare José Da Graça, chef de la Direction provinciale de l’Agriculture et du développement rural de Manica. Malgré la crise, le Zimbabwe reste aujourd’hui le sixième investisseur au Mozambique, avec un apport de 2 millions de dollars par an, après avoir été pendant plusieurs années dans le quatuor de tête.

La terre appartient à l’Etat

Mais le gouvernement est conscient que la question de la terre reste politiquement très sensible. Les Mozambicains se souviennent qu’ils ont lutté pour obtenir en 1975 leur indépendance contre les Portugais qui, au-delà du pouvoir politique, avaient la main mise sur l’économie du pays. Ils se souviennent aussi du rôle des gouvernements blancs de la Rhodésie et de l’Afrique du Sud dans la guerre cruelle qui a déchiré leur pays. La crainte du retour des «colons» blancs est perceptible dans le pays. Crainte nourrie par la forte présence économique de l’Afrique du Sud, qui, depuis dix ans, est le premier investisseur étranger dans le pays.

A plusieurs reprises, le Président de la République Joaquim Chissano et le ministre de l’Agriculture, Helder Muteia, ont fait des déclarations destinées à rassurer la population. «Nous n’accepterons pas de colonies blanches» a déclaré publiquement le ministre de l’Agriculture en mars dernier, faisant référence à la demande groupée de 63 fermiers blancs zimbabwéens qui exigeaient 400 mille hectares de terre, soit l’équivalent de trois districts, pour mettre en place leur projet d’exploitation agricole. Les fermiers souhaitaient, en plus des travaux agricoles, construire des infrastructures sociales, notamment des écoles pour leurs enfants, arguant que les systèmes scolaires étaient différents d’un pays à l’autre. «Créer des zones spécifiques pour accueillir des fermiers zimbabwéens n’est viable ni socialement, ni politiquement, et cela entre en contradiction avec notre réalité sociale et avec l’absence de racisme que nous essayons jour après jour de consolider» avait répété le ministre. Le souvenir amer d’une première expérience tentée en 1999 avec l’installation d’une vingtaine de fermiers sud-africains dans la province du Niassa, à l’extrême nord du pays, engage les Mozambicains à la prudence. Les comportements racistes des fermiers et leur vision communautariste du développement avaient créé de nombreux conflits avec les populations locales

Il est vrai que la colonisation portugaise a laissé une forte tradition de métissage et que, dans un pays marqué par un brassage africain, européen, indien, chinois, la question de la couleur de peau n’a jamais été un enjeu aussi sensible que dans les pays voisins. Le gouvernement mis en place par Samora Machel, vainqueur de la lutte de libération et premier président au lendemain de l’Indépendance en 1975, était déjà un gouvernement «arc-en-ciel». Autre héritage historique issu de la période marxiste, au Mozambique, la terre appartient à l’Etat et ne peut être concédée que sous forme de bail temporaire ne pouvant pas excéder cinquante ans. La loi de la terre votée en 1997, et considérée par de nombreux bailleurs de fonds et ONG comme une loi exemplaire en matière de participation de la société civile, a confirmé ce principe. Cette loi impose également que la population soit systématiquement consultée lors de l’attribution de terres. A l’heure où la crise zimbabwéenne et la question de la juste répartition des terres en Afrique australe s’invitent au sommet mondial de Johannesburg, l’expérience mozambicaine pourrait nourrir le débat d’une vision nouvelle.



par Jordane  Bertrand

Article publié le 25/08/2002