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Maroc

Chasse aux sorcières dans les milieux intégristes

Le Maroc est en train de découvrir ses «fous de dieu», jusqu’alors inconnus dans le Royaume. La situation est suffisamment inquiétante pour que les autorités tentent de reprendre le contrôle des mosquées, y compris par des interventions musclées.
De notre correspondante à Casablanca

Une jeune fille de 17 ans découpée en morceaux, un clerc de notaire égorgé puis jeté dans un puits, un jeune homme lapidé aux cris de «dieu est grand», les faits divers sanglants qui ont fait la une des gazettes cet été soulèvent aujourd’hui de graves inquiétudes.

Plusieurs crimes récents, sans que l’on en connaisse le nombre exact, ont en effet été reconnus par des islamistes intégristes, arrêtés il y a peu. Ces assassinats ont en commun d’avoir été perpétrés sous prétexte de religion, à l’encontre d’individus jugés mécréants par les fanatiques qui les ont commis. On en recenserait une dizaine pour ces derniers mois, rien qu’à Casablanca.

L’opinion publique s’interroge aujourd’hui sur ces dérives intégristes, partagée entre la perspective d’une montée intégriste réelle et la volonté de minimiser ces actes isolés, dans un pays réputé pour son islam tolérant. Ces affaires sont néanmoins prises au sérieux par les autorités, qui entendent reprendre le contrôle des mosquées, après avoir arrêté quelques 80 fondamentalistes, issus de groupuscules divers.

Multiplication de mosquées «privées»

Si les islamistes marocains ont toujours été surveillés, de près ou de loin, par les forces de sécurité, si les militants officiellement recensés ne dépassent pas un millier, il n’en demeure pas moins vrai que l’ampleur du phénomène intégriste est difficilement mesurable.

Les mosquées «privées» se sont multipliées ces dernières années, un véritable tremplin pour les prédicateurs les plus intolérants et les petits groupes d’extrémistes. Construites par des associations de bienfaisance, des particuliers, riches ou repentis, elles recrutent leur propre «personnel». Les prédicateurs, des enseignants arabophones souvent, ne cachent pas leurs sympathies intégristes, sans affiliation directe pour autant. Ils prêchent la Hisba, l’obligation religieuse de «pourchasser le mal», avec le peu de nuance que l’on sait entre le discours et l’incitation à passer à l’acte.

Le succès de ces mosquées non «homologuées» par le ministère des Affaires religieuses tient à l’activisme recruteur de leurs militants et à un terrain social favorable à l’obscurantisme: une misère endémique et une population très majoritairement analphabète. Ces mosquées ne sont pas toujours repérables à leur minaret, nombre d’entre elles se cachent dans une simple maison particulière qu’aucun signe ne distingue et se limitent parfois à un simple garage.

Certains journaux ont avancé qu’elles représenteraient 50% de l’ensemble des lieux de culte, mais la clandestinité rend difficile leur éradication. Le ministre des Affaires religieuses, Alaoui M’Daghri, a déclaré vouloir élargir le contrôle de ces mosquées, en proposant, en particulier, d’intégrer au patrimoine de son ministère toutes celles qui disposent des dépendances nécessaires à leur bon fonctionnement. Il a, en outre, rappelé que les événements qu’a connus le Maroc cet été constituent «des actes criminels isolés, commis par un nombre limité d’individus, identifiés par les services de sécurité». Driss Jettou, le ministre de l’Intérieur, s’est, en revanche, montré plus inquiet. Il a en effet affirmé, le 2 septembre, que la situation était «sous contrôle», mais que ce phénomène, sans être particulier au Maroc, serait «celui des prochaines années» et qu’il faudrait «avoir du souffle».

L’intégrisme marocain ne se limite effectivement pas aux mosquées privées. La mosquée Mekka de Salé, la ville jumelle de Rabat, a été fermée le 23 août après bouclage du quartier par la gendarmerie et la police. Raison officielle: travaux de rénovation. Son prédicateur, Hassan Kettani, pourtant attitré par le ministère des Affaires religieuses est interdit de prêche. Il venait de s’en prendre aux partisans de la laïcité et parle aujourd’hui de «cabale» contre les islamistes pour «plaire aux Américains».

La propagande islamiste ne se cantonne cependant pas aux prêches, elle est diffusée en masse aux portes des mosquées où le commerce des cassettes des prédicateurs a fleuri. Les messages ne rappellent pas seulement que les femmes doivent se voiler et obéir, ils attisent également la haine envers les juifs, demandent que la charia régisse la société et que la mort prévale sur la vie. Un discours que les autorités tentent d’endiguer en chassant désormais les marchands ambulants. Ce commerce illégal fait cependant vivre des familles entières et les vendeurs réapparaissent, ça et là, un peu plus à l’abri des regards.

Le problème est complexe au Maroc où l’islam est religion d’Etat et le roi, commandeur des croyants. Une spécificité qui permet paradoxalement au pouvoir de contrôler les religieux, tout en légitimant le discours islamiste. Ce rapport particulier entre le pouvoir et la religion est amené à se crisper en situation de tensions internationales ou nationales, comme c’est le cas aujourd’hui, à la veille des élections législatives et de l’anniversaire du 11 septembre. Les plus pessimistes évoquent une montée intégriste à l’algérienne ou des dérives sécuritaires à la tunisienne, exacerbées par la situation en Palestine et les menaces contre l’Irak. Les plus optimistes s’en remettent à l’efficacité du «nettoyage» des mosquées.



par Isabelle  Broz

Article publié le 11/09/2002