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Maroc

Le soldat anticorruption libéré

Condamné à cinq ans, puis finalement à deux ans et demi de prison pour avoir dénoncé la corruption dans l’armée marocaine, le capitaine Mustapha Adib retrouvera sa liberté samedi matin. Il aura vainement attendu une grâce royale les dernières semaines de sa détention avant de finalement purger sa peine jusqu’au bout. Un signe, selon de nombreux observateurs, qui montre tout le poids politique pris par l’armée depuis l’avènement du roi Mohammed VI en juillet 1999.
Les ennuis de Mustapha Adib ont commencé en 1998 lorsque cet officier de l’armée de l’air marocaine a transmis un rapport détaillé au futur Mohammed VI –à l’époque prince héritier et numéro 2 des Forces armées royales- sur un trafic de carburant à la base d’Errachidia où il servait. Le jeune capitaine, qui avait «à cœur de servir son pays», y expliquait notamment comment son supérieur, un lieutenant-colonel, détournait le carburant affecté à l’unité de surveillance du radar pour le revendre à une station service des environs. Mohammed VI avait alors fait diligenter une enquête qui avait abouti à la radiation du lieutenant-colonel et de ses complices. Mais l’armée, qui n’a pas supporté que l’un des siens brise le silence sur sa corruption, s’est acharnée à faire regretter à Mustapha Adib son initiative. Humiliations quotidiennes, mauvais traitements, arrêts de rigueur, mutations abusives, le jeune officier, accablé, tentera une nouvelle fois de se faire entendre de Mohammed VI en demandant à quitter l’armée. Ces courriers n’étant jamais parvenus à destination, il s’est donc résolu à se confier en décembre 1999 au quotidien français Le Monde.

Conscient que son acte ne resterait pas sans sanction, le jeune officier était toutefois confiant dans le nouveau régime. Mohammed VI venait en effet de succéder à son père quelques mois auparavant et à travers plusieurs discours avait annoncé son intention d’instaurer un Etat de droit au Maroc. Mais ses supérieurs ne l’ont pas entendu de cette oreille et il s’est retrouvé, huit semaines après son interpellation, condamné au cours d’un procès expéditif à cinq ans de prison et à la radiation de l’armée. Le jeune officier a cependant repris espoir lorsque la Cour suprême, la plus haute juridiction du pays, a cassé le jugement du tribunal militaire le condamnant. Une première dans l’histoire du pays au point que certains y ont vu un signal fort du Palais royal annonçant l’avènement d’une ère de changements. Mais l’armée aura tout de même le dernier mot puisque Mustapha Adib verra sa peine certes diminuée de moitié en appel mais au cours d’un procès tout aussi expéditif où ni lui, ni les témoins de la défense ne seront autorisés à s’exprimer.

Un symbole de la lutte contre la corruption

Le combat du capitaine Adib a très vite été assimilé par les Marocains à celui de David contre Goliath. Mais contre toute attente, le jeune officier, qui a pourtant cru jusqu’à la dernière audience en la justice de son pays, a dû payer pour son acte de civisme. «Adopté» par l’organisation Transparency international qui lutte contre la corruption, il a obtenu le 30 septembre 2000 le «prix international de l’intégrité », devenant du même coup un symbole pour ses compatriotes. Amnesty International l’a également inscrit sur sa liste de prisonniers d’opinion et a réclamé à maintes reprises, mais en vain, sa libération aux autorités marocaines. La commission des droits de l’ONU, réunie à Genève, jugera en outre son incarcération arbitraire. Elle réclamera également, en vain, sa libération.

Alors que de nombreux Marocains espéraient qu’une grâce royale mettrait un terme à la détention du jeune officier, Mustapha Adib aura purgé sa peine jusqu’au bout. Pour de nombreux observateurs, cette situation ne s’explique que par le poids politique pris par l’armée depuis l’avènement du roi Mohammed VI. Une armée qui a voulu frapper fort pour que d’autres officiers ne soient pas tentés comme le capitaine Adib de dénoncer la corruption qui gangrène ses rangs. D’ailleurs au cours des deux procès du jeune officier, qui a été condamné pour «outrage à l’armée et violation des consignes militaires», le fléau de la corruption ne sera à aucun moment évoqué.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 17/05/2002