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Maroc

Législatives: un test pour la «transition démocratique»

C’est une première: les élections seront transparentes, tout comme les 86 500 urnes commandées pour l’événement. Le renouvellement des 325 sièges de la Chambre des représentants est donc un test important pour le royaume.
De notre correspondante à Casablanca

Un sondage réalisé pour l’hebdomadaire Jeune Afrique, du 16 au 23 août et publié le 17 septembre donne une large avance à l’USFP (Union socialiste des forces de progrès), avec 18% des intentions de vote. Le parti de l’actuel Premier ministre est suivi par le parti conservateur de «l’Istiqlal», issu de l’ancienne coalition gouvernementale. Les islamistes «modérés» du PJD (Parti pour la justice et le développement) arriveraient en troisième position réalisant une percée importante, avec 9% des voix, soit deux fois plus que lors du précédent scrutin. Mais on se méfie d’autant plus des sondages, ici, que la pratique est nouvelle.

Un autre sondage, a été pourtant largement publié et commenté, juste avant le début de la campagne officielle. Le ministère de l’Intérieur a publié ses statistiques, réalisées à partir des listes d’électeurs. Se sont inscrits sur les listes électorales 49% de femmes et 51% d’hommes, ce qui révèle une bonne intégration des femmes dans le processus. Beaucoup plus inquiétant: 62% des électeurs sont analphabètes et 16% n’ont pas dépassé l’école primaire. Pour ces 78% d’électeurs fragilisés, faute d’instruction, les partis ont donc été rendus identifiables par des logos variés. Ils choisiront donc entre un réveil, une voiture, une lampe à pétrole, un chameau assis ou encore un lion ou un cheval. Le bulletin unique ressemble à une carte de loto, révélatrice de la difficulté à conscientiser ceux pour qui la chose politique est ailleurs.

La tâche est d’autant plus ardue que 26 partis sont en lice, ainsi que 6 listes de SAP (Sans appartenance politique), éparpillés sur l’ensemble du territoire. Huit listes refusées ont porté leur cas devant la justice. Cette explosion des partis politiques (ils n’étaient que 16 lors des élections de 1997) est la nouveauté majeure de ce scrutin. Difficile de s’y retrouver dans ce foisonnement qui balaie de gauche à droite, dilue libéralisme, nationalisme et populisme à différentes doses, au point que certains partis ne semblent exister qu’autour de leur leader. Comment faire son choix en l’absence de programmes crédibles de gouvernement? Comment s’y retrouver encore, quand nombre de personnalités pratiquent la «transhumance» d’un parti à un autre, fût-il idéologiquement aux antipodes ?

Un découpage électoral très déséquilibré

Deux partis et deux associations appellent, en revanche au boycott. Il s’agit de «Annahj Addimocrati», socialiste laïque non reconnu et du parti de «l’avant-garde démocratique et socialiste» qui exigent une réforme constitutionnelle estimant les prérogatives du Palais trop grandes. Les islamistes de «Al Adl wal Ihsane», dont le leader, Cheikh Yassine, libéré par Mohammed VI, est toujours étroitement surveillé, boycotteront également le scrutin; ainsi qu’une autre association amazigh, «les Berbères du Maroc», qui estiment ne pas être pris en compte par la législation du royaume. Le ministère de l’Intérieur a fait savoir que si la non-participation aux élections était démocratique, une campagne pour le boycott ne l’était pas, ce qui laisse présager une surveillance étroite de ces empêcheurs de voter en rond.

Côté transparence, rien n’a été laissé au hasard. Le scrutin de liste doit éviter le clientélisme, une liste nationale doit assurer la présence de trente femmes au Parlement, le bulletin unique devrait éviter l’achat de voix et l’encre indélébile (garantie ineffaçable sous 48 heures) apposée sur le doigt de tout votant interdit les votes multiples. De nombreuses associations, issues de la société civile, sont impliquées tant dans la campagne de «sensibilisation» au devoir électoral, que dans la surveillance du bon déroulement de la campagne, du vote, et du dépouillement. Du jamais vu. Le «Collectif associatif pour l’observation des élections», qui regroupe 23 associations, s’appuiera ainsi sur quelque 3000 observateurs impartiaux, mais vigilants. Plusieurs infractions ont déjà été dénoncées, relativement mineures, mais témoignant de la persistance de pratiques indignes d’une démocratie, la plus fréquente étant la distribution d’argent ou de cadeaux. La critique la plus vive du Collectif concerne, à l’heure actuelle, le découpage électoral, puisque le nombre d’électeurs par siège varie considérablement selon les circonscriptions. Un député représentant 64 100 électeurs dans une circonscription casablancaise et 2700 ailleurs, dans le Sud. Des écarts qui concernent plus de la moitié des 91 circonscriptions. Des critiques qui doivent laisser froids les Marocains résidant à l’étranger, exclus de fait du scrutin, puisqu’aucun bureau de vote ne sera ouvert en dehors du territoire national.



par Isabelle  Broz

Article publié le 24/09/2002