Côte d''Ivoire
Le risque de la guerre civile
Alors que l’emprise des insurgés s’étend au nord du pays, des doutes grandissent quant aux capacités de l’armée loyalistes. Une situation qui fait craindre le pire.
Depuis jeudi le ministre de la Défense a déclaré «zones de guerre» les régions de Bouaké et Korhogo, ouvrant ainsi la perspective très prochaine d’une nouvelle offensive des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI). En l’état, il serait hasardeux de préjuger de l’évolution de la situation militaire à court terme. Nous sommes au neuvième jour de ce que l’on croyait être une mutinerie et, à part Abidjan où l’insurrection a tourné court, force est de constater que les loyalistes n’ont pas l’initiative et que, jusqu'alors, ils n’ont enregistré aucun succès sur le terrain en dépit des violents affrontements du début de la semaine, à Bouaké, pour tenter de chasser les mutins. Pire : ces derniers ont étendu leur contrôle sur le nord du pays en manifestant leur présence dans les localités de Ferkessédougou, Ouangolodougou et Niellé. Mercredi soir, un voyageur rapportait à l’AFP qu’ils étaient «maîtres de la situation» de Korhogo à Pogo, dernière localité ivoirienne avant la frontière avec le Mali. Jeudi soir, selon une source municipale, ils s’étaient emparés d’Odienné, dans le nord-ouest, élargissant ainsi le champ de leur conquête. Autant de bases arrières potentielles au cas où ils devraient céder à la pression militaire loyaliste attendue.
Mais qui sont-ils ? Et quels sont leurs intentions ? Faute de communiquer clairement il faut se contenter de bribes d’informations qu’ils délivrent avec parcimonie. Ils appartiendraient, pour certains d’entre eux en tout cas, à ce contingent d’hommes recrutés par le général Robert Gueï au lendemain du coup d’Etat qui le porta au pouvoir, en décembre 1999. Depuis le début des événements leurs porte-parole sont des sous-officiers qui présentent des revendications catégoriels : ne pas être prochainement démobilisés, comme l’ont décidé les autorités. Parmi eux se trouvent des déserteurs de l’armée, tel ce sergent, Fozié Tuo, qui déclare avoir été contraint d’aller se réfugier dans un pays étranger après avoir été injustement accusé d’avoir attaqué la résidence du général Gueï, en septembre 2000. Mais, dans le contexte ivoirien marqué par la fracture communautaire et les soupçons d’ingérence étrangère, le désordre ambiant est propice au recrutement de tous ceux qui ont un compte à régler avec le personnel politique abidjanais, opportunistes compris. Quant à leurs intentions, au-delà d’une réintégration au sein des forces armées, elles demeurent également floues et cette incertitude est renforcée par l’incapacité des loyalistes, jusqu’à ce jour, à rétablir l’ordre.
La carte montre un Etat divisé
L’évolution du conflit dépend donc maintenant de la disposition des forces armées nationales à mener rapidement à bien la contre-offensive. De toute évidence, les événements de ces derniers jours ont montré que celles-ci font face, non pas à une bande de soudards sans foi ni loi, mais à des hommes déterminés et relativement disciplinés. Ils auraient même réussi à obtenir, lors de manifestations de soutien, l’adhésion d’une partie des habitants des localités qu’ils contrôlent. Pas de pillage ni d’exaction constatés. Les autorités ivoiriennes affrontent des éléments aguerris et bien armés. Ce qui ne semble en revanche pas être le cas des FANCI. Certes la Côte d’Ivoire demeure l’une des principales puissances régionales : premier producteur mondial de cacao, cinquième de café et huitième d’hévéa. Mais de l’aveu même de son ministre de la Défense, s’exprimant au lendemain de la mutinerie sur RFI, les forces armées ne sont pas à leur meilleur niveau. L’effectif militaire de Bouaké ne méritait pas d’être qualifié de «garnison» et sa base aérienne n’accueillait aucun aéronef en état de voler. C’est également le cas de ses hélicoptères et avions de combat, de type Alpha Jet : ils n’ont pas participé aux dernières opérations. Sur le papier, l’armée de terre ivoirienne compte quelque 6 800 hommes et une soixantaine de véhicules blindés, sans compter les effectifs de gendarmerie (8 000 hommes) et une garde présidentielle forte de 1 100 hommes, entièrement recomposée depuis le putsch du général Gueï. Mais les événements de ces derniers jours interrogent sur ses véritables capacités opérationnelles.
Aujourd’hui la carte de la Côte d’Ivoire montre un Etat divisé. Avec, sous réserve d’une évolution rapide de la situation, un Nord hors de contrôle pour l’autorité centrale et un Sud incapable de restaurer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire. A moins qu’il n’obtienne dimanche, à l’issue du sommet de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, qui se tiendra finalement à Accra, un soutien militaire régional. D’ores et déjà le Nigeria a anticipé sur le cours des événements et a déployé les forces aériennes qui font cruellement défaut aux Ivoiriens. Signe qu’il va falloir déployer sur le territoire national des moyens de coercition coûteux et sophistiqués, pour venir à bout de la rébellion, comme ce fut le cas en Sierra Leone voici quelques années. Partition du pays, intervention militaire, assistance étrangère : on pourrait alors évoquer une entrée du pays en guerre civile. A moins que la diplomatie et la négociation ne parviennent à désamorcer la crise.
Ecouter également:
Le témoignage de Frédéric Gassmann, du service des sports de RFI qui est resté bloqué pendant une semaine dans Bouaké
Lire également:
Le cacao ivoirien dans la tourmente, chronique des matières premières de Jean-Pierre Boris (26/09/2002)
La boîte de Pandore de l'ivoirité, éditorial international de Richard Labévière (26/09/2002)
Troubles à Abidjan, hausse du cacao, chronique des matières premières de Jean-Pierre Boris (20/09/2002)
Mais qui sont-ils ? Et quels sont leurs intentions ? Faute de communiquer clairement il faut se contenter de bribes d’informations qu’ils délivrent avec parcimonie. Ils appartiendraient, pour certains d’entre eux en tout cas, à ce contingent d’hommes recrutés par le général Robert Gueï au lendemain du coup d’Etat qui le porta au pouvoir, en décembre 1999. Depuis le début des événements leurs porte-parole sont des sous-officiers qui présentent des revendications catégoriels : ne pas être prochainement démobilisés, comme l’ont décidé les autorités. Parmi eux se trouvent des déserteurs de l’armée, tel ce sergent, Fozié Tuo, qui déclare avoir été contraint d’aller se réfugier dans un pays étranger après avoir été injustement accusé d’avoir attaqué la résidence du général Gueï, en septembre 2000. Mais, dans le contexte ivoirien marqué par la fracture communautaire et les soupçons d’ingérence étrangère, le désordre ambiant est propice au recrutement de tous ceux qui ont un compte à régler avec le personnel politique abidjanais, opportunistes compris. Quant à leurs intentions, au-delà d’une réintégration au sein des forces armées, elles demeurent également floues et cette incertitude est renforcée par l’incapacité des loyalistes, jusqu’à ce jour, à rétablir l’ordre.
La carte montre un Etat divisé
L’évolution du conflit dépend donc maintenant de la disposition des forces armées nationales à mener rapidement à bien la contre-offensive. De toute évidence, les événements de ces derniers jours ont montré que celles-ci font face, non pas à une bande de soudards sans foi ni loi, mais à des hommes déterminés et relativement disciplinés. Ils auraient même réussi à obtenir, lors de manifestations de soutien, l’adhésion d’une partie des habitants des localités qu’ils contrôlent. Pas de pillage ni d’exaction constatés. Les autorités ivoiriennes affrontent des éléments aguerris et bien armés. Ce qui ne semble en revanche pas être le cas des FANCI. Certes la Côte d’Ivoire demeure l’une des principales puissances régionales : premier producteur mondial de cacao, cinquième de café et huitième d’hévéa. Mais de l’aveu même de son ministre de la Défense, s’exprimant au lendemain de la mutinerie sur RFI, les forces armées ne sont pas à leur meilleur niveau. L’effectif militaire de Bouaké ne méritait pas d’être qualifié de «garnison» et sa base aérienne n’accueillait aucun aéronef en état de voler. C’est également le cas de ses hélicoptères et avions de combat, de type Alpha Jet : ils n’ont pas participé aux dernières opérations. Sur le papier, l’armée de terre ivoirienne compte quelque 6 800 hommes et une soixantaine de véhicules blindés, sans compter les effectifs de gendarmerie (8 000 hommes) et une garde présidentielle forte de 1 100 hommes, entièrement recomposée depuis le putsch du général Gueï. Mais les événements de ces derniers jours interrogent sur ses véritables capacités opérationnelles.
Aujourd’hui la carte de la Côte d’Ivoire montre un Etat divisé. Avec, sous réserve d’une évolution rapide de la situation, un Nord hors de contrôle pour l’autorité centrale et un Sud incapable de restaurer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire. A moins qu’il n’obtienne dimanche, à l’issue du sommet de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, qui se tiendra finalement à Accra, un soutien militaire régional. D’ores et déjà le Nigeria a anticipé sur le cours des événements et a déployé les forces aériennes qui font cruellement défaut aux Ivoiriens. Signe qu’il va falloir déployer sur le territoire national des moyens de coercition coûteux et sophistiqués, pour venir à bout de la rébellion, comme ce fut le cas en Sierra Leone voici quelques années. Partition du pays, intervention militaire, assistance étrangère : on pourrait alors évoquer une entrée du pays en guerre civile. A moins que la diplomatie et la négociation ne parviennent à désamorcer la crise.
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par Georges Abou
Article publié le 27/09/2002