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Indonésie

Bali, entre deuil et tristesse

Alors que l’enquête peine à démarrer, les touristes fuient massivement l’île paradisiaque transformée en enfer par l’explosion de samedi. Reportage.
De notre envoyé spécial à Bali

Le Sari Club a été littéralement pulvérisé par l’explosion. De ce bâtiment de deux étages, il ne reste plus qu’un amoncellement de taule et de débris calcinés. Les petits immeubles mitoyens n’ont guère mieux résisté à la voiture bourrée de TNT qui a explosée à moins de deux mètres de l’entrée du night club. Ils tiennent à peine debout et dessinent un paysage de chaos. Les premiers signes du drame, vitrines brisées et poteaux électriques arrachés, sont visibles à plus de 200 mètres du lieu de la déflagration. Un restaurateur d’une rue voisine ne retient pas ses larmes lorsqu’il raconte cette nuit d’horreur : «L’explosion a provoqué comme un tremblement de terre. J’ai senti les murs du restaurant bouger et toutes mes vitres se sont brisées. Je me suis précipité dehors, j’ai marché une centaine de mètres et j’ai vu des torches humaines sortir de la discothèque. Les gens qui étaient à l’extérieur hurlaient mais nous étions tous impuissants».

Les secours sont arrivés rapidement sur place mais les hôpitaux de l’île n’étaient pas préparé à affronter une telle catastrophe. A l’hôpital de Denpassar, la capitale provinciale, la petite équipe médicale, une cinquantaine de personnes au total, a été rapidement débordée par l’afflux des centaines de blessés. Et comme souvent dans pareil cas, le sang a manqué malgré les dons d’une population qui s’est rapidement mobilisée. Les blessés soufrent principalement de brûlures, causées par les incendies qui se sont propagées après l’explosion, mais aussi de fractures et de divers traumatismes, provoqués par l’écroulement du bâtiment.

Lundi, le directeur de l’hôpital estimait pourtant que le plus dur était passé : «Une partie des grands brûlés ont été emmenés vers les hôpitaux de Singapour, mieux équipés, et l’Australie, qui compte un très grand nombre de victimes, a dépêché deux avions de transport militaire pour rapatrier ses ressortissants blessés». Les recherches pour exhumer les cadavres se sont achevées dans la nuit de dimanche, avant de reprendre brièvement lundi matin après qu’un policier ait signalé la découverte de deux nouveaux corps. Mais quarante-huit heures après le drame, le bilan ne devrait plus guère évolué. Reste maintenant à identifier les victimes. Le travail sera long et pénible car beaucoup d’entre elles ont été déchiquetées par l’explosion ou brûlées dans les incendies. Des familles des disparus commencent d’ailleurs à arriver à l’aéroport. Elles feront le tour des hôpitaux et, dans le pire des cas, des morgues, souvent improvisées dans des salles de spectacles ou des gymnases de Depassar.

Un flot continu de départs

A Kouta Beach, l’ambiance est aussi à la tristesse et au deuil. Toute la journée, des anonymes, balinais comme étrangers, sont venus se recueillir sur les décombres. Beaucoup sont en larmes et déposent des gerbes de fleurs. Dans le reste de la ville, l’atmosphère est tout aussi morose. Les terrasses des cafés, habituellement bondées du matin au soir, sont presque vides et beaucoup de restaurant ont gardé porte close faute de clients. Quelques touristes arpentent les marchés de rue mais le cœur n’y est pas : «On ne peut pas s’empêcher de penser à tous ces morts», explique ce couple de jeunes Australiens qui se trouvaient à «moins de 500 mètres» de la discothèque au moment de l’explosion. «Malgré l’angoisse et les cauchemars» qui les «réveillent plusieurs fois par nuit». ils ont décidé de rester car «la plus belle des récompenses que l’on pourrait offrir aux terroristes serait de fuir».

C’est pourtant ce choix qu’on fait la plupart des touristes. Un flot continu de départ, commencé dès dimanche et qui s’est prolongé toute la journée de lundi malgré les appels au calme lancés par les autorités locales qui assurent que l’île est désormais sécurisée. Mais la manière, très étrange, dont a été conduite pour l’instant l’enquête n’est guère rassurante. Sur le site de l’attentat les premières équipes d’experts, épaulé par plusieurs agents du FBI américain et chargés de retrouver d’éventuelles indices, ne sont en effet arrivés qu’hier en fin d’après-midi. La zone, théoriquement fermée au publique, était jusque là accessible à tous les bedeaux que l’ont voyaient déambulé sur les ruines sous le regard indifférent d’une vingtaine de militaires assis par terre. Que les auteurs de l’attentat, ou des complices, aient pu revenir sur les lieux pour détruire des indices matériels ne semble pas avoir inquiété outre mesure une police indonésienne qui déclare que «l’enquête avance» sans pourtant apporter aucun nouvel élément. Des carences qui attiseront sans doute les critiques déjà très virulentes de la presse indonésienne qui accuse le gouvernement d’avoir nier, contre toute évidence, l’existence de menaces terroristes dans l’archipel.



par Jocelyn  Grange

Article publié le 14/10/2002