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Indonésie

La difficile identification des victimes

Alors que l’enquête démarre, les familles tentent toujours d’identifier leurs proches parmi les corps déchiquetés ou carbonisés.
De notre envoyé spécial à Bali

L’explosif utilisé par les auteurs des attentats du 13 octobre serait du C4. La déclaration a été faite par la police indonésienne qui avait annoncé au départ que la voiture était piégé au TNT. Le C4 est un pain de plastic surpuissant très souvent utilisé par l’armée ou les entreprises de démolition. Mais, coïncidence troublante, on le retrouve aussi dans trois affaires pouvant être liées à la nébuleuse Al Qaïda. Il garnissait les chaussures de Richard Reid, qui a tenté de faire exploser le vol Paris-Miami ; on en trouva des traces sur les lieux de l’attentat qui fit trente morts à Kaboul le mois dernier et il remplissait le coffre d’une voiture piégée lors d’un attentat déjoué l’année dernière à Singapour et attribué par la police de la ville-Etat à la Jamiah Islamya.

Les enquêteurs ont également annoncé l’interpellation de deux individus sans donner plus de détail. L’expertise des décombres, qui a commencé hier en fin d’après midi, permettra peut être d’y voir bientôt un peu plus clair. Les fouilles sont menées conjointement par la police indonésienne et par deux équipes d’experts australiens dépêchées par Canberra. L’arrivée d’une troisième équipe, américaine cette fois-ci, est prévue pour mercredi. Pour le reste, les premiers éléments du dispositif de sécurité renforcée, promis par le gouvernement indonésien, sont désormais visibles. L’armée a été redéployé autour des ports et des aéroports tandis qu’à Kouta Beach, des voitures de police sont postés en permanence au coin des artères principales et des sites touristiques les plus fréquentés.

Après les virulentes critiques essuyées lundi dans la presse indonésienne, le gouvernement de Megawati Soekarnoputri a voulu donner des signes augurant d’une plus grande fermeté. La présidente a déclaré qu’elle souhaitait l’adoption rapide d’un décret anti-terroriste donnant aux policiers et aux militaires les moyens de lutter efficacement contre de nouvelles menaces d’attentats. Elle répond ainsi favorablement aux multiples pressions que lui imposent les États-Unis mais aussi l’Australie. Au cours de sa visite des lieux de la catastrophe, effectuée mardi dans la matinée, le ministre des Affaires étrangères australien a déclaré «que Canberra se réservait désormais un droit de regard sur toutes les mesures qui seront adoptées par Djakarta en ce qui concerne le terrorisme». Un droit justifié selon lui par le fait que «80 % des victimes» de l’attentat soient australiennes. Le chiffre, plausible, est toutefois à prendre au conditionnel car les trois quarts des cadavres n’ont toujours pas été identifiés.

Identifié par la clé de son appartement

Une identification qui est aujourd’hui la priorité dans les hôpitaux de Bali. Le temps presse car depuis dimanche les victimes sont entreposés dans des chambres non-réfrigérés. Or la chaleur moite qui enveloppe constamment l’île accélère la décomposition des cadavres. Les cernes creusés par quarante-huit heures de travail non-stop, le responsable d’une ONG américaine chargé de veiller à la conservation des corps, reconnaît néanmoins que « la situation s’est améliorée grâce à la livraison par l’Australie de cinq camions frigorifiques». Reste maintenant identifier les victimes. Le travail sera difficile car beaucoup sont morts carbonisés dans les incendies ou déchiquetés par l’explosion de la voiture piégée. Difficile aussi car les disparus proviennent d’une quinzaine de pays différents. «Tant que nous n’aurons pas reçu les données anatomiques ou génétiques des ressortissants de chaque pays, nous ne pourrons pas procéder une expertise sérieuse » résume le professeur Idriono.

En attendant, les familles des disparus, déjà sur place, consultent la peur au ventre, la liste des objets ou des effet personnels retrouvés sur chacun des cadavres. Une méthode rudimentaire mais qui a déjà permis d’identifiés plusieurs victimes. Un jeune Australien, brûlé à 80 %, a été reconnu grâce au bracelet qu’il portait au poignet. Un autre, dont la tête a été broyé par un bloc de béton, avait gardé dans sa poche les clefs de son appartement de Melbourne. Les familles accablées trouvent parfois un peu de réconfort auprès de la population locale. Depuis deux jours, les Balinais multiplie en effet les actes de solidarité aux victimes étrangère de l’attentat. Des dizaines d’étudiants se sont portés volontaires pour être au chevet des blessés. Ils leurs apportent du réconfort et les aident à communiquer avec le personnel des hôpitaux qui souvent ne parle anglais. Les centres de transfusions sanguines ne désemplissent pas et l’association des femmes balinaises livre régulièrement gâteaux et confiserie. D’autres associations ont même organisé une collecte de fond pour payer les notes d’hôtels de ceux qui ont tout perdu, cartes de crédit ou argents liquides, dans l’explosion.

Les Balinais, qui vivent principalement du tourisme, sont soucieux de donner une image positive de leur île. Mais les initiatives sont individuelles et spontanée et on ressent un élan sincère de compassion. Les balinais comptent d’ailleurs eux-mêmes plusieurs dizaines de victimes. Et sur les ruines de l’explosion, ou s’improvisent chaque jour des cérémonies du souvenir, on assiste parfois à des scènes poignantes de Balinais et de touristes en larmes et enlacés.



par Jocelyn  Grange

Article publié le 15/10/2002