Yémen
Sous l’Armée islamique d’Aden-Abyane, l’ombre d’Al-Qaïda
L’Armée islamique d’Aden-Abyane, qui revendique l’attentat contre le Limburg, a déjà à son actif plusieurs attentats violents commis au Yémen contre des Occidentaux.
Au début des années quatre-vingt-dix, on les appelait les «Afghans arabes». Anciens volontaires pour bouter les Soviétiques hors d’Afghanistan au nom de l’islam, ils ne parvenaient pas à admettre que leur tâche avait pris fin après la désastreuse retraite de l’Armée rouge. Les idéaux islamiques pour lesquels ils s’étaient battus, il fallait les mettre en œuvre dans leur propre pays. Cela va sans dire, les gouvernements concernés, qui les avaient soutenus et glorifiés du temps qu’ils étaient dans la montagne afghane aux côtés des moudjahidines afghans, virent d’un très mauvais œil les nouveaux projets de leurs anciens protégés. En Algérie, Égypte, Jordanie, Égypte ou Arabie Saoudite, quand ils n’étaient pas jetés en prison ou exilés, les vétérans d’Afghanistan étaient sous étroite surveillance policière.
Deux pays s’avérèrent un havre pour les anciens d’Afghanistan: le Soudan, où Ben Laden s’établit dès 1992, et le Yémen, où le pouvoir central ne contrôle pratiquement rien en dehors des grandes métropoles.
Tarek Al Fadhli, petit-fils du dernier sultan d’Abyane (province sud-yéménite à l’est d’Aden) dont la famille avait été chassée lors de l’arrivée au pouvoir à Aden des républicains nationalistes et marxistes en 1967, était de ceux-là. En Afghanistan, il avait bien connu Oussama Ben Laden. De retour au Yémen, après l’unification de 1990, tout pétri d’islam wahhabite après son séjour afghan, il ne peut accepter que les anciens marxistes athées qui ont détrôné sa famille et confisqué ses terres soient toujours au pouvoir, qu’ils partagent avec le président nordiste Ali Abdallah Saleh. Al Fadhli est alors le protégé de cheikh Majid Al Zendani, l’un des leaders les plus intégristes du parti islamiste Al Islah, qui contrôle le parlement. Zendani, qui est en contact avec Oussama Ben Laden, facilite l’implantation sur le territoire yéménite de camps d’entraînement pour les «Afghans arabes» de Ben Laden. Devant les plaintes des gouvernements arabes, le gouvernement de Sanaa nie farouchement la présence de tels camps sur son territoire, sans parvenir à convaincre.
Tarek Al Fadhli et ses partisans ne tardent pas à passer aux actes. En 1992, le Jihad islamique qu’il dirige revendique deux attentats à la bombe contre des hôtels d’Aden où séjournaient des marines américains en route vers la Somalie. Les attentats font deux morts. Deux ans plus tard, lorsqu’éclate en mai 1994 la sécession sudiste, les jihadistes d’Al Fadhli mènent l’offensive contre les forces séparatistes et sont les premières à pénétrer dans Aden, mettant la ville à sac. Les hommes du Jihad islamique molestent les femmes non voilées, détruisent la brasserie d’Aden et de nombreux bâtiments, se livrent à des exécutions sommaires.
Le dernier carré d’irréductibles
La victoire acquise, le président yéménite Ali Abdallah Saleh offre le ralliement à ceux à qui il doit cette écrasante victoire sur l’adversaire sudiste. Tarek Al Fadhli accepte et adhère au Congrès général du peuple, le parti du président. En échange, Saleh lui restitue le titre de sultan et les terres familiales et le nomme au Conseil présidentiel qui le conseille. D’autres militants du Jihad islamique le suivent dans son ralliement. Mais une centaine d’irréductibles, menés par Zine el Abidine Abou Bakr Al Mehdar, qui a pris pour surnom Aboul Hassan, refusent de le suivre: le combat pour instaurer l’émirat islamique est loin d’être terminé. Aboul Hassan est, lui aussi, un ancien d’Afghanistan et, tout comme Al Fadhli, il y a côtoyé Oussam Ben Laden.
Cette dissidence commet sa première action d’éclat en décembre 1998, en prenant en otage 16 otages occidentaux. Quelques jours auparavant, Oussama Ben Laden a appelé à attaquer des intérêts britanniques ou américains, à la suite d’un raid contre l’Irak. Ordinairement, les prises d’otages au Yémen se terminent bien et ont pour motivation une revendication tribale à l’égard du gouvernement central. Mais cette fois-ci, la revendication est politico-religieuse: «La fin de l’agression contre l’Irak et le retrait des forces américaines et britanniques de la région du Golfe». L'assaut mené par les forces de sécurité yéménites se termine mal: quatre otages sont tués et plusieurs blessés.
Capturé, Aboul Hassan est condamné à mort en mai 1999 et fusillé en octobre. Durant son procès, Aboul Hassan a mis en garde les autorités contre la vengeance de ses partisans s’il devait être exécuté. Le pouvoir ne tient pas compte de la menace et demande, sans succès, au gouvernement britannique d’extrader un imam vivant à Londres, connu pour ses prêches anti-occidentaux virulents, qui aurait partie liée avec Aboul Hassan.
Le double jeu n’est plus de mise à Sanaa: Ali Abdallah Saleh a deux raisons majeures pour en finir avec ses extrémistes. Ayant emporté la victoire sur ses adversaires socialistes de toujours, il n’a plus besoin des légions islamiques qui s’avèrent désormais un danger pour son régime. En outre, le Yémen, l’un des pays les plus pauvres de la planète, a besoin des subsides du FMI et des gouvernements occidentaux, notamment des États-Unis. Cela passe par une lutte sans concession contre le terrorisme islamiste. En octobre 1998, le Yémen a instauré des visas pour plusieurs pays arabes dans le but de prévenir l’entrée d’islamistes et a retiré les passeports accordés à un certain nombre de non-Yéménites au début des années quatre-vingt-dix; l’an dernier, près de 400 écoles coraniques contrôlées par le parti d’opposition islamiste Al Islah ont été placées sous l’autorité du gouvernement.
Avant même l’exécution d’Aboul Hassan, l’Armée islamique d’Aden-Abyane avait menacé Londres et Washington de représailles «douloureuses pour les ennemis de l’islam» dans un communiqué signé de Aboul Mohsen, probablement le nouvel «émir» du groupe. En octobre 2000, un an après cette exécution, un attentat suicide contre le USS Cole mouillant en rade d’Aden faisait 17 morts parmi les marins américains. L’attentat, dont Oussama Ben Laden s’est réjoui dans un poème, a été attribué à Al-Qaïda. Mais Al-Qaïda n’est que la somme des mouvements qui la composent et l’Armée islamique d’Aden-Abyane, qui s’inscrit sans discussion dans sa mouvance, fait figure de principal suspect dans une enquête qui n’est toujours pas bouclée.
Deux pays s’avérèrent un havre pour les anciens d’Afghanistan: le Soudan, où Ben Laden s’établit dès 1992, et le Yémen, où le pouvoir central ne contrôle pratiquement rien en dehors des grandes métropoles.
Tarek Al Fadhli, petit-fils du dernier sultan d’Abyane (province sud-yéménite à l’est d’Aden) dont la famille avait été chassée lors de l’arrivée au pouvoir à Aden des républicains nationalistes et marxistes en 1967, était de ceux-là. En Afghanistan, il avait bien connu Oussama Ben Laden. De retour au Yémen, après l’unification de 1990, tout pétri d’islam wahhabite après son séjour afghan, il ne peut accepter que les anciens marxistes athées qui ont détrôné sa famille et confisqué ses terres soient toujours au pouvoir, qu’ils partagent avec le président nordiste Ali Abdallah Saleh. Al Fadhli est alors le protégé de cheikh Majid Al Zendani, l’un des leaders les plus intégristes du parti islamiste Al Islah, qui contrôle le parlement. Zendani, qui est en contact avec Oussama Ben Laden, facilite l’implantation sur le territoire yéménite de camps d’entraînement pour les «Afghans arabes» de Ben Laden. Devant les plaintes des gouvernements arabes, le gouvernement de Sanaa nie farouchement la présence de tels camps sur son territoire, sans parvenir à convaincre.
Tarek Al Fadhli et ses partisans ne tardent pas à passer aux actes. En 1992, le Jihad islamique qu’il dirige revendique deux attentats à la bombe contre des hôtels d’Aden où séjournaient des marines américains en route vers la Somalie. Les attentats font deux morts. Deux ans plus tard, lorsqu’éclate en mai 1994 la sécession sudiste, les jihadistes d’Al Fadhli mènent l’offensive contre les forces séparatistes et sont les premières à pénétrer dans Aden, mettant la ville à sac. Les hommes du Jihad islamique molestent les femmes non voilées, détruisent la brasserie d’Aden et de nombreux bâtiments, se livrent à des exécutions sommaires.
Le dernier carré d’irréductibles
La victoire acquise, le président yéménite Ali Abdallah Saleh offre le ralliement à ceux à qui il doit cette écrasante victoire sur l’adversaire sudiste. Tarek Al Fadhli accepte et adhère au Congrès général du peuple, le parti du président. En échange, Saleh lui restitue le titre de sultan et les terres familiales et le nomme au Conseil présidentiel qui le conseille. D’autres militants du Jihad islamique le suivent dans son ralliement. Mais une centaine d’irréductibles, menés par Zine el Abidine Abou Bakr Al Mehdar, qui a pris pour surnom Aboul Hassan, refusent de le suivre: le combat pour instaurer l’émirat islamique est loin d’être terminé. Aboul Hassan est, lui aussi, un ancien d’Afghanistan et, tout comme Al Fadhli, il y a côtoyé Oussam Ben Laden.
Cette dissidence commet sa première action d’éclat en décembre 1998, en prenant en otage 16 otages occidentaux. Quelques jours auparavant, Oussama Ben Laden a appelé à attaquer des intérêts britanniques ou américains, à la suite d’un raid contre l’Irak. Ordinairement, les prises d’otages au Yémen se terminent bien et ont pour motivation une revendication tribale à l’égard du gouvernement central. Mais cette fois-ci, la revendication est politico-religieuse: «La fin de l’agression contre l’Irak et le retrait des forces américaines et britanniques de la région du Golfe». L'assaut mené par les forces de sécurité yéménites se termine mal: quatre otages sont tués et plusieurs blessés.
Capturé, Aboul Hassan est condamné à mort en mai 1999 et fusillé en octobre. Durant son procès, Aboul Hassan a mis en garde les autorités contre la vengeance de ses partisans s’il devait être exécuté. Le pouvoir ne tient pas compte de la menace et demande, sans succès, au gouvernement britannique d’extrader un imam vivant à Londres, connu pour ses prêches anti-occidentaux virulents, qui aurait partie liée avec Aboul Hassan.
Le double jeu n’est plus de mise à Sanaa: Ali Abdallah Saleh a deux raisons majeures pour en finir avec ses extrémistes. Ayant emporté la victoire sur ses adversaires socialistes de toujours, il n’a plus besoin des légions islamiques qui s’avèrent désormais un danger pour son régime. En outre, le Yémen, l’un des pays les plus pauvres de la planète, a besoin des subsides du FMI et des gouvernements occidentaux, notamment des États-Unis. Cela passe par une lutte sans concession contre le terrorisme islamiste. En octobre 1998, le Yémen a instauré des visas pour plusieurs pays arabes dans le but de prévenir l’entrée d’islamistes et a retiré les passeports accordés à un certain nombre de non-Yéménites au début des années quatre-vingt-dix; l’an dernier, près de 400 écoles coraniques contrôlées par le parti d’opposition islamiste Al Islah ont été placées sous l’autorité du gouvernement.
Avant même l’exécution d’Aboul Hassan, l’Armée islamique d’Aden-Abyane avait menacé Londres et Washington de représailles «douloureuses pour les ennemis de l’islam» dans un communiqué signé de Aboul Mohsen, probablement le nouvel «émir» du groupe. En octobre 2000, un an après cette exécution, un attentat suicide contre le USS Cole mouillant en rade d’Aden faisait 17 morts parmi les marins américains. L’attentat, dont Oussama Ben Laden s’est réjoui dans un poème, a été attribué à Al-Qaïda. Mais Al-Qaïda n’est que la somme des mouvements qui la composent et l’Armée islamique d’Aden-Abyane, qui s’inscrit sans discussion dans sa mouvance, fait figure de principal suspect dans une enquête qui n’est toujours pas bouclée.
par Olivier Da Lage
Article publié le 11/10/2002