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Turquie

Vaste coup de balai politique en Turquie

Le scrutin législatif de dimanche a chamboulé profondément le paysage politique, amenant les islamistes modérés seuls au pouvoir. Toutes les autres formations politiques disparaissent de la scène. Malgré quelques craintes sur la politique du parti de la Justice et du Développement, le pays est satisfait.
De notre correspondant à Istanbul

Ce qui devait arriver arriva, mais pas comme attendu… Un vote de ras-le-bol par 41,5 millions d’électeurs turcs lassés des intrigues politiques, de la paralysie des gouvernements de coalition à répétition et de la corruption quasi-généralisée s’est traduit dimanche par un grand coup de balai au Parlement. Du jamais vu: les 8 formations parlementaires - dont les 3 partis au pouvoir – ont disparu d’un seul coup d’un seul, «jetées à la poubelle de l’Histoire», résume le quotidien libéral Radikal.

Ce «tremblement de terre» électoral amène au pouvoir le parti de la Justice et du Développement (AKP, islamiste modéré), fondé il y a à peine plus d’un an et qui engrange pas moins de 34,2% des voies. Il ramène également au Parlement le parti historique fondé par Ataturk mais absent lors de la dernière législature, le parti républicain du Peuple (CHP), qui recueille 19,4% des suffrages populaires. Renouvellement du personnel politique: 100%!

Conséquence: dès dimanche soir, le leader du parti de l’Action nationale (MHP, ultranationaliste), l’ancien vice-Premier ministre annonçait la convocation du congrès de son parti sans se présenter à sa propre succession. Lundi matin, c’était au tour de Mme Tansu Çiller, chef du parti de la Juste Voie (DYP) et ancienne Premier ministre, de suivre le même chemin. Dans l’après-midi, le vice-Premier ministre Mesut Yilmaz, leader du parti de la mère Patrie adoptait la même attitude. Reste le Premier ministre sortant Bulent Ecevit, qui dirige avec sa femme depuis 30 ans et sans partage le parti de la Gauche Démocratique (DSP), littéralement anéanti par un score de 1,2% de votants. Il a remis, naturellement sa démission au Président de la République qui lui a demandé de gérer les affaires courante, mais annoncé qu’il conservait «pour un temps» son poste de président du parti.

Islamiste de centre-droit

Pour la première fois depuis 87, la Turquie se retrouve donc avec un gouvernement monopartite, et c’est manifestement ce que tout le monde attendait. La bourse a réagi positivement (+ 6,14% pour la journée de lundi), après des mois de crise politique se rajoutant à une profonde dépression économique, et les analystes financiers saluent le retour de la stabilité, ainsi que l’affichage de perspectives claires par les vainqueurs du scrutin. Dès sa première apparition publique en effet, le leader de l’AKP Recep Tayyip Erdogan a tenu à rassurer «tous azimuts». Son opinion publique, celle du moins qui ne l’a pas plébiscité, en affirmant que le mode de vie de chacun serait respecté – au cas où certains croiraient qu’il est animé de la volonté d’instaurer la Chariah en Turquie. Les militaires et l’establishment laïc aussi, en affirmant que le problème du port du voile pour les étudiantes d’Université et les fonctionnaires «n’était pas une priorité». Les partenaires étrangers de la Turquie, enfin, en promettant d’accélérer le processus d’intégration de la Turquie à l’Union Européenne et de poursuivre le programme de redressement économique mis en place l’an dernier avec le FMI.

Si ce grand nettoyage politique d’automne sonne opportunément le glas d’une classe politique fossilisée et vénale la plupart du temps, après une crise politique de plusieurs mois et à un moment crucial pour les relations du pays avec l’Europe notamment, l’avenir demeure incertain. Tout d’abord M. Erdogan lui-même ne peut être Premier ministre, en raison d’une interdiction de se présenter à un mandat électif prononcée par la Cour constitutionnelle une semaine avant le scrutin. Le parti AK ne sait donc pas qui sera son candidat à la fonction de Premier ministre, dont l’initiative revient de toute façon au chef de l’Etat, et à lui seul. Ensuite, malgré toutes ses précautions et dénégations, l’ancien dauphin du Premier ministre Necmettin Erbakan – poussé à la démission par les militaires et banni de politique pour «incitation à la haine religieuse» – demeure prisonnier d’une étiquette «islamiste» dont il a encore tenté de se défaire mardi en affirmant appartenir au «centre droit». Le pays cette fois n’a pas le choix de chercher des formules alternatives de coalition, il ne peut que tester à l’usage la sincérité de son nouveau leader. C’est aussi comme cela qu’ont réagi les voisins et partenaires européens de la Turquie, exprimant un a priori favorable qui ne fait que renforcer sa reconnaissance au plan intérieur.



par Jérôme  Bastion

Article publié le 05/11/2002