Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Côte d''Ivoire

Kadhafi pompier pyromane?

Quel est le rôle exact du colonel libyen dans la rébellion en cours en Côte d’Ivoire ? Ses rêves unionistes sont connus depuis longtemps. Aujourd’hui il dénonce des «complots contre l’Afrique» auxquels il n’est probablement pas tout à fait étranger.
Soupçonné de plus en plus d’avoir financé la rébellion, via son allié de toujours Blaise Compaoré, le colonel libyen Mouammar Kadhafi a fait une sortie inattendue et inhabituelle sur la crise ivoirienne, lundi soir, à la télévision du Burkina Faso, à l’issue d’une visite officielle de deux jours à Tripoli du président burkinabé. «Il se pourrait qu’il y ait une sorte de malédiction ou de complot contre les Africains. Je suis vraiment peiné et consterné par ce qui se passe dans l’ouest africain», a-t-il déclaré. Pour Kadhafi, c’est parce que cette «région est très prometteuse et très riche» qu’il y a «beaucoup d’actes de sapes, de puissances qui la convoitent et qui veulent voler et piller ses ressources». >«Toutes les fois qu’on essaie d’éteindre un feu, il y a un incendie qui resurgit quelque part, a-t-il ajouté. A peine nous étions sortis de la crise sierra-léonnaise, on a en face cette crise ivoirienne».

Avant de partir à Tripoli, Compaoré avait pour sa part reconnu, dans une interview au Monde que des «déserteurs» ivoiriens avaient bien séjourné à Ouagadougou, avant de partir à l’assaut du régime ivoirien: «Les déserteurs sont repartis les uns après les autres: le mouvement a dû s’étaler sur plusieurs mois. Il en reste encore quelques-uns à Ouagadougou. Certains n’ont aucune envie de repartir en Côte d’Ivoire. On les accueille, c’est naturel».

Presque au même moment, Soir Info, un quotidien privé ivoirien, publiait une interview d’un officier du renseignement burkinabé, qui a confirmé avoir mis au courant ses collègues d’Abidjan des va-et-vient des «déserteurs» à Ouaga et de l’état de préparation de la rébellion; mais aussi que, contrairement aux dires de Blaise Compaoré, le tribunal militaire d’Abidjan avait officiellement demandé au gouvernement du Burkina l’extradition de huit «déserteurs», parmi lesquels figurent tous les principaux leaders, à savoir: Ousmane Chérif, «Zaga Zaga», Tuho Fozié et Zacharia Koné. Ce que les autorités d’Ouaga ont refusé.

Cet officier du Burkina a dit également que les vraies «têtes» de la rébellion étaient, selon lui, le colonel IB (Ibrahima Koulibaly, qui demeure toujours à Ouagadougou), Balla Keita, un ancien ministre ivoirien assassiné à Ouagadougou quelques semaines avant le déclenchement de l’insurrection, mais aussi le général Palenfo, autrefois membre influent de la junte de Robert Gueï.

«Deux millions de dollars pour les rebelles»

Cette interview évoque aussi ouvertement l’implication du colonel Kadhafi, qui aurait fourni la coquette somme de deux millions de dollars (environ deux milliards de francs CFA) «pour payer les rebelles». Ce qui expliquerait pourquoi les rebelles payaient cash tous leurs achats, pour le moins au début de l’insurrection. Auparavant, l’hebdomadaire français le Canard Enchaîné avait écrit que Kadhafi avait financé la rébellion ivoirienne, mais aussi qu’il avait donné plus qu’un coup de main sur le plan financier au Togo du général Eyadéma. Or, c’est aussi le colonel libyen qui a très officiellement mis la main récemment sur le grand hôtel togolais du «2 Février», qui, après avoir été rénové, accueille depuis une dizaine de jours toutes les délégations ivoiriennes qui participent aux négociations de Lomé: les rebelles comme les loyalistes, mais aussi les envoyés spéciaux de la presse internationale et les différents «honorables correspondants» chargés de «couvrir» cet événement.

En réalité, le colonel libyen est plus que jamais tourné vers l’Afrique, depuis ses déboires avec les frères de la Ligue arabe (qu’il a décidé de quitter avec fracas la semaine dernière). Il est parvenu quelque peu à ses fins en obtenant la disparition de l’OUA au profit de l’UA (Union africaine), même si celle-ci ne va pas aussi loin qu’il le souhaite dans l’intégration du continent. Mais ce sont les pays sahariens et sahéliens qui ont toujours la préférence du colonel libyen. Islam et géographie obligent.

Dès 1997, lorsque la Libye est toujours soumise à l’embargo aérien imposé par l’ONU, le colonel tente de nouveau de convaincre ses voisins à mettre sur pied les Etats-Unis du Sahara, comprenant notamment le Burkina, le Mali, le Niger, le Tchad et même le Nigeria. Cette fois-ci en tenant un langage d’homme d’Etat à la fois prudent et raisonnable, intéressé par la mise sur pied d’une communauté basée sur des intérêts communs urgents, tels que les routes, les chemins de fer. Quatre chefs d’Etat répondent positivement à cette proposition de Communauté économique à l’image de l’Union européenne ou de la Fédération indienne: Idriss Déby, Alpha Oumar Konaré, Ibrahima Baré Mainassara et Blaise Compaoré. Bien entendu, cet énième projet unioniste à la Kadhafi ne verra jamais le jour, mais le colonel parvient peu à peu à rompre l’encerclement de son pays et à rendre caduque un embargo que nul n’osait officiellement remettre en cause. Même s’il commence à provoquer un élan de solidarité vis-à-vis d’un colonel qualifié autrefois de terroriste, mais toujours très courtisé en raison de ses pétrodollars et de ses cadeaux.

Aujourd’hui Kadhafi poursuit sa croisade unioniste, en soutenant toute sorte de régimes africains. «L’Islam nous unit, disait-il en 1997. Nous voulons la paix et le développement de nos pays. Nous voulons permettre à nos frères des pays (du Sahara et du Sahel) privés de débouchés sur l’océan de respirer. A partir d’aujourd’hui les ports libyens sont ouverts à nos frères africains et à leurs marchandises». Cinq ans plus tard le même colonel peut se permettre de dénoncer des «complots contre l’Afrique» qu’il a vraisemblablement financé lui-même. Tandis que ces mêmes pays enclavés sont plongés dans une grave crise économique et alimentaire, en raison de la sécession de fait du nord de la Côte d’Ivoire, par où passait l’essentiel des marchandises.

«Il n’y a plus d’échanges commerciaux à proprement parler avec les voisins comme le Mali et le Burkina Faso. Avec l’avènement de la crise, tous ceux qui se livraient à la corruption et au racket sur l’axe Abidjan-Ouagadougou (douaniers, policiers, gendarmes, agents des Eaux et Forêts) ont perdu leur paradis», écrit l’Indépendant, le journal du regretté Norbert Zongo, à Ouagadougou. Le trafic s’est déporté sur le Ghana voisin. Pour celui-ci «la crise ivoirienne s’apparente à une manne céleste: douaniers et policiers ghanéens ne vont pas de main morte en matière de racket, précise-t-il. La cupidité des agents du Ghana amène désormais les camionneurs à regretter sérieusement les racketteurs ivoiriens», qui se contentaient d’une dîme par convoi de plusieurs camions. Pas par camion de coton ou de céréales.



par Elio  Comarin

Article publié le 06/11/2002