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Afghanistan

Avec nos vélos chez les Afghans

L’entrée du pont de l’Amitié n’est qu’à quelques mètres. De l’autre côté, l’Afghanistan. Mais un douanier ouzbek s’apprête à briser tout net notre rêve de rejoindre Kaboul sur nos vélos, mon frère et moi…
Juillet 2002. Je regarde le soleil descendre dans ce désert du nord de l’Afghanistan. La nuit va tomber dans moins de deux heures. Il faut pousser nos vélos le plus vite possible. Nous les portons par-dessus les bancs de sable qui recouvrent la route par endroit. Des camionneurs lancent des billets de quelques centaines d’afghanis à des enfants ou des vieillards qui repoussent les dunes de sable avec de petites pelles. Nous approchons lentement de Mazar-e-Sharif sur une route toute droite. Aucun virage. Rien de plus déprimant. «Est ce qu’on avance ? me lance mon frère Benoît, j’ai l’impression de faire du sur-place».

Nous avons pourtant beaucoup avancé depuis six jours. Contre toute attente nous sommes en Afghanistan. L’ambassade de France en Ouzbékistan avait tout tenté pour nous décourager quelques jours plus tôt. «La situation est très instable dans le nord de l’Afghanistan. On entend encore parler de combats», nous avait dit l’attaché consulaire. «Et puis si vous arrivez à la frontière afghane, les douaniers ne vous laisseront pas passer», ajoutait-il. Après 600 kilomètres à vélo en Ouzbékistan et des cols tous les jours, les douaniers ouzbeks me criaient dans les oreilles: «niet!». Refus catégorique, malgré passeports et visas parfaitement en règle, nous n’avions pas l’accréditation obligatoire pour passer la frontière. Seuls les diplomates, membres d’ONG et journalistes dont les noms figurent sur une liste établie par l’ONU peuvent passer.

Les douaniers ouzbeks contrôlent l’accès du pont de l’Amitié, seul passage entre les deux pays. Une clôture de barbelés s’étend sur toute la frontière. Des antennes satellites tournent leurs grandes oreilles vers l’Afghanistan. L’entrée du pont, une double porte grillagée électrifiée, est gardée par des hommes en arme. Il fait 45 degrés et les gardes frontières se penchent sur des téléphones sans cadran pour savoir qui peut ou ne peut pas entrer en Afghanistan. Je passe une heure à m’expliquer dans un russe approximatif avec les douaniers. Notre projet de vélo vers Kaboul ne les intéresse pas. A la première tentative, nous ne passons pas.

«Vous êtes Français, alors vous êtes mes frères»

Il nous faudra une semaine pour décrocher une accréditation. L’ONG Solidarité acceptera d’inscrire nos noms sur la liste de l’ONU. Quand nous nous représentons devant les douaniers avec tous les papiers en règle, tout le monde s’amuse maintenant de nous voir franchir le pont. Avec ses impressionnantes poutres métalliques, il enjambe l’Amou Darya. Deux heures plus tard, après six ou sept points de contrôle, la fouille de nos vélos, nous sommes de l’autre côté. Les Afghans nous accueillent avec des verres de thé bouillants, et une question un peu étrange: «est-ce que vos vélos roulent dans le sable ?».

Nous comprenons dès le premier soir que ce voyage n’est pas aussi dangereux qu’on nous le prédisait. Arrivés à trente kilomètres de Mazar, nous nous arrêtons devant quelques bâtiments sous le portrait rassurant du commandant Massoud. Je commence timidement à parler russe avec les quelques Afghans présents. Ils nous font partager la traditionnelle hospitalité afghane en nous accueillant pour la nuit. Avec eux depuis quelques minutes seulement, le chef local nous avertit: «nous avons chassé les talibans il y a huit mois. Vous êtes Français, alors vous êtes mes frères…»

Un vent terrible souffle sur les trente derniers kilomètres jusqu’à Mazar-e-Sharif. Nos vélos restent plaqués au sol à 17 km/h. On se sent vite enivré par l’agitation de Mazar, sa circulation désordonnée où chacun se bat pour trouver une place. Mazar est d’abord magnifique pour sa mosquée Bleue et les centaines de palombes qui s’envolent tout autour. Nous nous baladons dans le bazar qui s’étend autour de la mosquée. Les femmes en burqa voyagent assises dans le coffre des voitures. Elles détournent les yeux quand elles nous aperçoivent. Nous sommes constamment assaillis par des hordes d’enfants intrigués par nos deux visages pâles…

Mais très vite nous repartons pour une longue route vers Kaboul. Nous allons découvrir la beauté des paysages dans les magnifiques montagnes et ferons la connaissance des commandants locaux, attirant de plus en plus la curiosité…



par NICOLAS  DUBOST

Article publié le 19/11/2002