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Défense

La nouvelle Otan : deux approches, une mission

Outre l’intégration en 2004 de sept nouveaux membres, l’organisation militaire Otan a redéfini ses prochains axes stratégiques. Faute d’avoir pu rassembler autour du projet d’attaque de l’Irak, elle a décidé de concentrer ses efforts dans la guerre contre le terrorisme et d’en dégager les moyens militaires. Une force de réaction rapide verra bientôt le jour. La France ne veut pas que les projets de l’Alliance fassent obstacle à la construction européenne dans les domaines diplomatique et militaire.
Les Américains n'ont donc pas obtenu de leurs alliés de l'Alliance qu'ils endossent le battle-dress pour les accompagner en Irak. L’OTAN n’a pas forcément vocation à constituer le fer de lance de la guerre que prépare Washington pour renverser Saddam Hussein. Mais, avec la disparition de la menace soviétique (contre laquelle elle avait été créée en 1949) l’organisation militaire occidentale traverse une vraie crise d’identité sur la nature de ses missions futures. Et les dernières déclarations de l’Exécutif américain auraient pu laisser penser que le soutien de l’Alliance atlantique, en tant que telle, aurait été le bienvenu dans le dispositif militaire en cours de montage. En dépit des apparences, les manifestations d’euphorie exprimées à l’occasion de l’accueil des nouveaux membres dissimulent mal la furieuse bataille qui a démarré en coulisse, non pas pour le leadership de l’organisation, mais pour redéfinir la place qui lui revient dans ce paysage international transformé. En clair, si tous les Etats-membres sont d’accord pour reconnaître à l’Otan les vertus d’un parapluie militaire protecteur, tous ne sont pas acquis à l’idée d’en faire le bras-armé des Etats-Unis et de consentir à des abandons de souveraineté en se laissant entraîner là où ils ne veulent pas aller. En Irak, en l’occurrence.

La position française est, dans ce dossier, d’une remarquable constance et s’articule autour d’un argument central : il ne faut pas mélanger les genres. La communauté internationale dispose de l’ONU, l’instance ad hoc déjà en charge du problème irakien. Une résolution du Conseil de sécurité est actuellement en cours d’application, la 1441. Elle stipule notamment que les inspecteurs de l’ONU, de retour à Bagdad sur les traces d’armes de destruction massive irakiennes, ont toutes latitudes pour examiner la question et disposent pratiquement, en cas d’obstruction manifeste ou déguisée, du pouvoir de déclencher les hostilités. Toutefois, ce point d’ordre rappelé, rien n’empêche Paris, ni les autres alliés de Washington membres de l’Otan, de rejoindre la coalition que le président américain tente actuellement de rassembler pour attaquer Bagdad. Des contacts sont en cours et les alliés se comptent. Berlin est la seule capitale européenne qui a clairement déclaré qu’elle ne participerait pas à cette guerre.

Face à un ennemi lointain et insaisissable

Jeudi à Prague, l’Alliance atlantique n’est donc pas allée au-delà et n’a pas cherché à forcer la légalité internationale que l’ONU et ses résolutions continuent de représenter. Elle a simplement affirmé la détermination de ses membres «à prendre des mesures efficaces pour aider et soutenir les Nations unies dans leurs efforts visant à faire en sorte que l’Irak respecte intégralement et immédiatement, sans conditions ni restrictions, la résolution 1441», dans la déclaration commune publiée à l’issue du sommet. Mais pas question d’attaquer le 8 décembre, si la réponse de Bagdad n’est pas celle attendue par Washington, comme le laissait entendre le président George W.Bush au cours de ses dernières déclarations. Le 8 décembre étant la date-butoir fixée à l’Irak pour qu’il fournisse l’inventaire des matériaux sensibles dont il dispose pour la fabrication d’armes de destruction massive. Bagdad dément en posséder. Washington ne veut rien d’autre qu’une liste, dont l’absence serait interprétée comme une tentative de dissimulation. Autrement dit : un casus belli, selon l’administration américaine. L’occasion d’un nouveau débat devant le Conseil de sécurité, estime pour leur part les Français.

Pourtant, l’Otan poursuit son adaptation aux évolutions en cours. L’année dernière, pour la première fois de son histoire, les pays-membres de l’Alliance ont activé l’article 5 de son traité fondateur, indiquant que l’attentat que l’Amérique venait de subir était une attaque contre l’ensemble de l’organisation. Après cette déclaration de guerre au terrorisme, restait à évaluer et réunir les moyens d’action pour joindre le geste à la parole dans cette configuration particulière où l’ennemi est à la fois loin et insaisissable. Prague a notamment accouché d’une force de réaction, composée de vingt et un mille hommes et dotée des meilleurs armements. Elle sera opérationnelle en 2004 et pourra intervenir n’importe où dans un délai d’une semaine. Mais c’est un projet qui survient en plein débat au sein de l’Union européenne (UE) sur l’avenir de sa propre Force d’action rapide, et qui renvoie à la faiblesse de ses capacités à adopter une ligne de conduite claire et déterminée sur sa politique extérieure et de sécurité. Le moteur de ce couple, la France et la Grande-Bretagne (les deux principales puissances militaires du vieux continent, toutes deux membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu), n’est pas très convaincant en raison du partenariat stratégique qui unit Londres à Washington, plutôt qu’à Paris.

Néanmoins le projet n’est pas enterré, loin de là, et la France ne renonce pas à doter l’Europe de ses propres capacités diplomatique et militaire. Ainsi le président Chirac a-t-il donné son accord de principe sur la création de la force de réaction de l’Otan, mais à condition que celle-ci n’entrave pas la bonne marche de son homologue européenne, dont les soixante mille hommes seront théoriquement mobilisables dès l’année prochaine. Pour faire bonne mesure, le haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère a proposé d’organiser dès 2003 un exercice militaire conjoint. Car il est évident dans l’esprit de ses concepteurs que les deux forces seront militairement compatibles et que les deux contingents atteindront des niveaux de compétences et d’équipements comparables, qui débouchent déjà sur une compétition euro-américaine quant au choix du matériel (de transport de troupes en particulier). Elles interviendront clairement sur des théâtres d’opérations d’intérêt commun. D’où la question : lequel des deux, en fin de compte, sera assujetti à l’autre ?



par Georges  Abou

Article publié le 22/11/2002