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Côte d''Ivoire

Vers une rencontre Gbagbo-Compaoré au Mali

Sauf changement de dernière minute, les présidents Blaise Compaoré et Laurent Gbagbo devraient se rencontrer mardi à Bamako. Au menu des discussions les exactions à l’encontre des ressortissants burkinabè en Côte d’Ivoire et les accusations d’Abidjan contre Ouagadougou de soutenir les rebelles. Mais le sujet central sera sans nul doute la nouvelle loi sur le domaine foncier qui risque d’exproprier des milliers d’exploitants agricoles burkinabè, installés depuis des générations en Côte d’Ivoire.
De notre correspondant au Burkina Faso

Annoncée d’abord par le président sénégalais Abdoulaye Wade, la nouvelle a été ensuite confirmée par l’entourage du chef de l’Etat ivoirien. A Ouagadougou, l’ambassadeur de Côte d’Ivoire, le docteur Richard Kodjo a également réaffirmé vendredi au ministère des Affaires étrangères la disponibilité de son président à rencontrer Blaise Compaoré au Mali. A la question de savoir s’il était prêt à rencontrer Laurent Gbagbo, le président burkinabè qui venait de recevoir le ministre français des affaires étrangères Dominique de Villepin avait répondu à la presse «oui naturellement !» Son gouvernement n’a pas cessé de répéter toute sa disponibilité pour une telle rencontre dont le principe a été obtenu par Dominique de Villepin lors de son récent périple dans plusieurs capitales de la région.

Emise depuis le sommet extraordinaire de la CEDEAO sur la Côte d’Ivoire le 29 septembre dernier à Accra, l’idée d’un sommet entre ces deux anciens amis apparaissait de plus en plus improbable à cause de la vive tension entre leurs deux pays. Depuis le 19 septembre, le Burkina dénonce les actes de barbarie dont sont victimes ses ressortissants «de la part des forces de sécurité ivoirienne ou de groupes civils instrumentalisés.»

Pour fuir les exactions, des milliers de burkinabè, estimés à environ 3 millions en Côte d’Ivoire, fuient les zones sous contrôle loyaliste via le Ghana. Blaise Compaoré et son pays font régulièrement l’objet d’attaques dans la presse proche du pouvoir ivoirien. Ils sont accusés d’être derrière le coup de force du 19 septembre à l’origine de la guerre civile. L’escalade verbale entre les deux Etats était à son plus haut sommet. Dans un entretien à l’AFP, le président Laurent Gbagbo avait dénoncé le 24 octobre une «complicité ne serait-ce que passive» du Burkina avec les rebelles du MPCI qui contrôlent la moitié nord la Côte d’Ivoire. Réponse sèche de Blaise Compaoré le lendemain: «l’exclusion, la xénophobie, les élections mal gérées… conduisent à l’instabilité. Il vaut mieux que les Ivoiriens se préoccupent de ce qui constitue les causes réelles de cette instabilité [plutôt] que de regarder vers l’extérieur.»

On a jamais atteint un niveau de tension entre ces deux voisins qui formaient pourtant le même territoire colonial de 1933 à 1947. Depuis 1999, la tension est permanente entre les deux pays qui se soupçonnent de tout. Lors de la tentative de coup d’Etat de janvier 2001 à Abidjan, le gouvernement ivoirien avait pointé du doigt le régime de Compaoré. Et arrivé au pouvoir en octobre 2000, Laurent Gbagbo avait passé plus d’un an sans jamais se rendre au Burkina chez Compaoré qu’il fréquentait régulièrement quand il était dans l’opposition. A son tour, le Burkina accusait la Côte d’Ivoire d’être à l’origine de l’assassinat en août 2002 à Ouagadougou de l’opposant et ancien ministre Balla Kéita.

Outre l’affaire Alassane Ouattara, l’ancien Premier ministre ivoirien et principal opposant des trois derniers régimes en Côte d’Ivoire accusé d’être originaire du Burkina, la pomme de discorde entre Ouagadougou et Abidjan vient principalement de la nouvelle loi sur le domaine foncier rural adopté en 1998 et qui pèse comme une épée de Damoclès sur la tête de milliers d’exploitants agricoles burkinabè installés pour la plupart depuis des générations en Côte d’Ivoire. Cette loi qui n’est pas encore entrée en application dispose que «seuls l’Etat, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes» peuvent être propriétaires des terres rurales. Si cette loi accorde le droit de propriété aux étrangers déjà détenteurs des terres qu’ils cultivent, en revanche ce n’est pas le cas pour leurs héritiers qui ne peuvent que les vendre ou obtenir leur location dans «un délai de trois ans.»

Inquiétude des Burkinabè

Cette insécurité foncière inquiète les autorités burkinabè qui craignent de voir exproprier leurs compatriotes planteurs installés dans les forêts ivoiriennes. Invité de l’émission Afrique presse de RFI et de CFI en juin 2001, Blaise Compaoré avait ouvertement déclaré que cette nouvelle loi sur le domaine foncier en Côte d’Ivoire était pour lui une véritable préoccupation.

«Depuis 1999, plus de 400 000 Burkinabè ont été chassés de Côte d’Ivoire dont plus de 20 000 exploitants agricoles qui sont revenus sans rien du tout en laissant derrière eux un patrimoine acquis de la sueur de leur front», déplorait le ministre burkinabè des Affaires étrangères Youssouf Ouédraogo. Dépêché mardi dernier par Laurent Gbagbo auprès de Blaise Compaoré, le ministre ivoirien de l’Agriculture Dano Djédjé avait déclaré qu’il était venu rassurer le peuple burkinabè sur cette question et que «si une loi est dérangeante, il y a toujours une possibilité de trouver des arrangements.»

Sans doute donc, le président Laurent Gbagbo, en proie à de nouveaux groupes rebelles, va renouveler ces assurances à son homologue burkinabè lors du sommet qui va les réunir à Bamako. Il peut en retour espérer obtenir que ce dernier fasse pression sur les rebelles, dont les principaux chefs militaires étaient réfugiés au Burkina-Faso, pour qu’ils déposent les armes.



par Alpha  Barry

Article publié le 30/11/2002