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Chypre

Kofi Annan propose son plan

Après avoir été politiquement et militairement coupée en deux trente années durant, l’île de Chypre pourrait retrouver une certaine unité - à la belge ou à la suisse - juste avant que l’Union européenne ne se prononce sur son éventuelle adhésion, grâce à un plan mis au point par Kofi Annan. Un projet qui a tout l’air d’un compromis honorable pour les deux communautés chypriotes (grecque et turque) et leurs «parrains» : la Grèce et la Turquie, sans oublier la Grande Bretagne, dernière puissance coloniale.
C’était le 15 juillet 1974. En plein été, la garde nationale chypriote renverse le président de la République, l’archevêque grec-orthodoxe Makarios, véritable icône d’une île géographiquement proche de la Turquie mais peuplée en majorité de Grecs. Car Mgr Makarios, quoique plus théocrate que démocrate, est toujours très populaire, parce qu’il a su malgré tout assurer l’indépendance d’une île convoitée de tous côtés mais aussi refuge discret de toute sorte de «hors-la-loi» européens comme proche-orientaux. A l’instar du Beyrouth multi-culturel de l’avant-guerre civile libanaise, situé juste en face.

Les militaires ultra-nationalistes chypriotes, pâles émules des fameux colonels grecs qui ont installé une dictature militaire à Athènes, comptent d’abord rattacher Chypre à la Grèce. Ils remplacent Mgr Makarios par un politicien presque inconnu, mais qui se dit ennemi déclaré des Turcs : Nicolas Sampson. Le tout dans le sang d’au moins deux cent Chypriotes-grecs. Cinq jours plus tard, le ministre turc Bulent Ecevit - le même qui vient de se faire écarter lors des élections du 3 novembre dernier - envoie ses troupes occuper le nord de l’île.

Les putschistes chypriotes sont renversés quelques jours plus tard, en même temps que les colonels grecs à Athènes, et Glafco Cleridès assume le pouvoir dans la partie sud de Chypre. L’année suivante, le nord de l’île proclame son indépendance et crée un «état autonome, laïc et fédéré» que nul ne reconnaît en dehors de la Turquie. Depuis, une ligne de démarcation, gardée par les troupes de l’ONU, sépare la capitale Nicosie et Chypre en deux «secteurs», et toutes les tentatives de réunification ont échoué.

Une île, deux Etats et trois «parrains»

C’est un peu à la surprise générale que, lundi dernier, l’ONU a remis aux dirigeants chypriotes, ainsi qu’à la Grèce, à la Turquie et à la Grande Bretagne, un nouveau plan pour mettre fin à la division de l’île, un mois seulement avant le sommet européen de Copenhague où devrait être entérinée l’adhésion de la République de Chypre à l’UE, toujours prévue pour 2004. Ce document, qui n’a pas encore été rendu public dans son intégralité, tente de résoudre un véritable casse-tête : faire coexister un Etat chypriote représentatif de toute l’île, et deux autres «Etats» représentant les deux communautés qui l’habitent. S’agit-il d’une fédération ou d’une confédération ? A New York, au siège de l’ONU, on parle plutôt de «modèle suisse», tandis qu’à Nicosie, c’est le «modèle belge» qui semble l’emporter.

Dans ce plan, qui a tout l’air d’une ébauche de proposition, Kofi Annan parle d’un «Etat de Chypre indépendant qui prend la forme d’un partenariat indissoluble entre le gouvernement d’un «Etat commun» et deux «Etats constituants», l’un Chypriote grec, l’autre Chypriote turc avec chacun leur propre Constitution. Ce plan proclame également qu’il «y a une seule citoyenneté chypriote» dont l’attribution sera définie par une loi spéciale de «l’Etat commun» et limite à moins de 10 000 les effectifs militaires grecs et turcs qui pourront stationner dans l’île après son entrée en vigueur.

Les Chypriotes ont sept jours pour se prononcer pour ou contre ce plan, qui a d’ores et déjà enregistré l’approbation de l’Union européenne et des Etats-Unis. Quant aux principaux intéressés, ils semblent soucieux de prendre leur temps mais aussi quelque peu soulagés. Le côté turc a demandé un temps de réflexion avant de se prononcer, mais apprécie que ce plan ait pris en considération des choses aussi importantes que «l’égalité politique et souveraineté». Ce qui constitue des «points en notre faveur» selon le leader de la communauté turque Rauf Kentash. Du côté des chypriotes grecs, le président Cléridès prend aussi son temps, mais on a bien enregistré que souhait de Kofi Annan de «ne pas rejeter a priori» un plan en grande partie nouveau.

On enregistre aussi un certain soulagement chez les «parrains». Du côté du gouvernement turc, ce plan «instaure une atmosphère propice à la reprise des négociations» a dit le ministre sortant des Affaires étrangères. Alors que le gagnant des élections du 3 novembre dernier Recep Tayyip Erdogan a estimé qu’une solution du problème chypriote accélérerait l’intégration de la Turquie à l’UE et aiderait les différents gréco-turcs.

Athènes a pour sa part exprimé son «optimisme» : la Grèce parie sur ce plan pour résoudre un problème, par ce qu’il comprend «une nouvelle dynamique» et aussi parce que «pour la première fois, il y a une proposition globale de l’ONU, un point de départ pour le problème de Chypre qui était sans solution depuis des décennies», selon le gouvernement grec.

Après avoir été colonisée ou administrée successivement par les Perses, les Grecs, les Egyptiens, les Romains, les Byzantins, les Vénitiens, les Ottomans et enfin les Britanniques, Chypre a la chance cette fois-ci de retrouver une certaine stabilité ainsi qu’une indépendance relative mais réelle. A condition que les Chypriotes sachent résister aux tentations extrémistes du passé.



par Elio  Comarin

Article publié le 13/11/2002