Turquie
Europe cherche partenaire exemplaire pour adhésion
Le leader du parti islamiste au pouvoir en Turquie effectue une large tournée des capitales européennes dominée par la question de l’adhésion d’Ankara à l’Union Européenne. A quelques jours du sommet de l’Union, les 12 et 13 décembre, cette offensive diplomatique souligne l’impatience de la Turquie à obtenir un calendrier d’intégration. Un dossier qui relance le débat au sein de l’Union sur l’identité de l’Europe.
Paris est la dernière capitale visitée par Recep Tayyip Erdogan, au terme d’une longue tournée entamée peu après la victoire de son parti aux élections législatives du 3 novembre et qui l’a mené à Rome, Chypre, Athènes, Berlin, Madrid, Londres, Bruxelles et Strasbourg. Une liste dont Paris était initialement absente, curieusement pour une tournée préparatoire de toute première importance dans la perspective du prochain sommet européen, capital en l’occurrence.
Pourtant le président Jacques Chirac et le leader turc ne manquent pas de thèmes de discussions communs, à commencer par l’examen de la demande d’un calendrier d’adhésion d’Ankara à l’Union Européenne. Le président français a déjà eu l’occasion de manifester une position pragmatique vis à vis de cette question : seul compte le respect des critères politiques et économiques tels qu’ils ont été définis lors du sommet de Copenhague en 1993. C’est à dire que l’Union doit avoir des assurances sur la solidité de la démocratie turque et sur sa capacité à affronter le marché commun. De leur côté les Turcs se sont déjà mis au travail. Ils ont annoncé une série de loi visant à rapprocher leur législation à celle des autres pays européens, notamment dans le domaine du respect des droits de l’homme. L’entreprise avait d’ailleurs démarré l’été dernier lorsque la peine de mort a été abolie et l’enseignement des langues nationales autorisé, malgré l’hostilité d’une armée à la fois laïque, conservatrice et traditionnellement impliquée dans la vie politique du pays.
La dimension française de grande puissance, membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu, devait également prendre sa part des entretiens. Les deux hommes devraient le dossier chypriote, que le secrétaire général des Nations-unies veut régler sans délai. Ils parleront des obstacles élevés par la Turquie au sein de l’OTAN contre la volonté européenne d’assurer la relève militaire en Macédoine. Sur le plan bilatéral, enfin, la France et la Turquie entretiennent au moins un gros contentieux sur le génocide des Arméniens, en 1915, que le parlement français a reconnu et sur lequel Ankara reste campé dans une posture de dénégation. Toutefois, on notera la tournée parallèle effectuée en ce moment même par le patriarche arménien d’Istanbul et de Turquie. De passage mercredi à Paris, avant de se rendre à Berlin, Londres, Rome et au Vatican, Mesrob II a plaidé pour que l’Europe entende le message de la Turquie. Pendant ce temps, des membres de la communauté arménienne de France appelait à la vigilance lors d’un rassemblement aux abords de l’Assemblée Nationale.
La question identitaire
Cette visite s’inscrit donc dans le cadre d’une véritable offensive diplomatique, à laquelle vient de se livrer le leader turc. Et le premier paradoxe de ce marathon est qu'il n'est pas couru par un membre du gouvernement turc, mais par un chef de parti. Recep Tayyip Erdogan, reçu dans toute l'Europe, reste le vainqueur d'un scrutin législatif dans un pays où il demeure un citoyen inéligible à cause d'une condamnation pour «incitation à la haine religieuse». Pourtant, justement en raison de sa qualité d'«islamiste», le chef du Parti de la justice et du développement (AKP), qualifié aujourd'hui de «modéré», est à certains égards le meilleur ambassadeur pour soutenir le dossier de la Turquie pour l'adhésion à l'Union Européenne (UE). Recep Tayyip Erdogan se présente aujourd’hui comme un «conservateur musulman». Il est en tout cas certainement le mieux placé pour faire la démonstration qu'il n'y a pas d'incompatibilité entre l'Islam, tel qu'il le conçoit désormais, et l'Europe. Car, dans ce domaine aussi, l’AKP a opéré sa révolution culturelle. Le parti islamiste a bien pris la mesure de l’obsession européenne ancienne de la Turquie et de son peuple. Et dorénavant lui aussi la revendique. Le raz de marée AKP au parlement n’aurait pas pu avoir lieu sans l’engagement de son état-major à poursuivre la marche vers l’Union entamée par ses prédécesseurs.
A moins que les réticences ne viennent de la partie européenne. Celles-ci ont commencé à apparaître au grand jour depuis que l’ancien chef de l’Etat français, Valéry Giscard d’Estaing, aujourd’hui président de la Convention sur l’avenir de l’Europe, a lancé le débat sur l’identité du vieux continent. Pour conclure en fin de compte que ni son histoire, ni sa géographie, ni sa culture (chrétienne, selon lui), ne militait dans le sens de l’adhésion d’Ankara au club. A ce jour, aucun responsable européen n’a suivi Valéry Giscard d’Estaing sur ce terrain-là. Certes on peut entendre, ça et là, des commentaires hostiles à l’adhésion turque. Mais ils sont davantage l’expression d’une classe politique nationale, soucieuse de ménager son électorat, que les propos de chefs d’Etats ou de responsables européens. Il semble au contraire qu’un large consensus est donc en train de se dessiner pour ne pas désespérer les Turcs : «Nous ne pouvons pas dans le même temps appeler à la constitution d’Etats musulmans séculiers et dire non à la Turquie», estime notamment le commissaire européen chargé des relations extérieures, Chris Patten. Et, sur le papier, le projet d’une intégration de la Turquie ne manque pas d’atouts. A la fois trait d’union avec les richesses de l’Orient, du Caucase et d’Asie Centrale et barrage contre leurs excès.
Au sein du club occidental, Ankara dispose d’alliés sûrs. En premier lieu, et c’est un autre paradoxe apparent : les Etats-Unis, dont la Turquie est un partenaire stratégique dans l’OTAN depuis qu’elle a verrouillé la frontière sud de l’Union Soviétique, à l’époque de la guerre froide. La Turquie qui, depuis 1989 et l’effondrement du mur de Berlin, voit aujourd’hui un certain nombre de pays-membres de l’ancien pacte de Varsovie, l’ennemi d’hier, rentrer dans l’Union. Ce soutien américain constitue d’ailleurs l’une des réserves exprimées au sein de la classe politique française, notamment chez les communistes qui redoutent d’avoir à composer avec un «sous-marin» américain au sein de la communauté. On constate en tout cas que dans la famille européenne, les plus ardents défenseurs d’une intégration d’Ankara sont également les plus fervents alliés de Washington : Grande-Bretagne, Italie, Espagne.
Pourtant le président Jacques Chirac et le leader turc ne manquent pas de thèmes de discussions communs, à commencer par l’examen de la demande d’un calendrier d’adhésion d’Ankara à l’Union Européenne. Le président français a déjà eu l’occasion de manifester une position pragmatique vis à vis de cette question : seul compte le respect des critères politiques et économiques tels qu’ils ont été définis lors du sommet de Copenhague en 1993. C’est à dire que l’Union doit avoir des assurances sur la solidité de la démocratie turque et sur sa capacité à affronter le marché commun. De leur côté les Turcs se sont déjà mis au travail. Ils ont annoncé une série de loi visant à rapprocher leur législation à celle des autres pays européens, notamment dans le domaine du respect des droits de l’homme. L’entreprise avait d’ailleurs démarré l’été dernier lorsque la peine de mort a été abolie et l’enseignement des langues nationales autorisé, malgré l’hostilité d’une armée à la fois laïque, conservatrice et traditionnellement impliquée dans la vie politique du pays.
La dimension française de grande puissance, membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu, devait également prendre sa part des entretiens. Les deux hommes devraient le dossier chypriote, que le secrétaire général des Nations-unies veut régler sans délai. Ils parleront des obstacles élevés par la Turquie au sein de l’OTAN contre la volonté européenne d’assurer la relève militaire en Macédoine. Sur le plan bilatéral, enfin, la France et la Turquie entretiennent au moins un gros contentieux sur le génocide des Arméniens, en 1915, que le parlement français a reconnu et sur lequel Ankara reste campé dans une posture de dénégation. Toutefois, on notera la tournée parallèle effectuée en ce moment même par le patriarche arménien d’Istanbul et de Turquie. De passage mercredi à Paris, avant de se rendre à Berlin, Londres, Rome et au Vatican, Mesrob II a plaidé pour que l’Europe entende le message de la Turquie. Pendant ce temps, des membres de la communauté arménienne de France appelait à la vigilance lors d’un rassemblement aux abords de l’Assemblée Nationale.
La question identitaire
Cette visite s’inscrit donc dans le cadre d’une véritable offensive diplomatique, à laquelle vient de se livrer le leader turc. Et le premier paradoxe de ce marathon est qu'il n'est pas couru par un membre du gouvernement turc, mais par un chef de parti. Recep Tayyip Erdogan, reçu dans toute l'Europe, reste le vainqueur d'un scrutin législatif dans un pays où il demeure un citoyen inéligible à cause d'une condamnation pour «incitation à la haine religieuse». Pourtant, justement en raison de sa qualité d'«islamiste», le chef du Parti de la justice et du développement (AKP), qualifié aujourd'hui de «modéré», est à certains égards le meilleur ambassadeur pour soutenir le dossier de la Turquie pour l'adhésion à l'Union Européenne (UE). Recep Tayyip Erdogan se présente aujourd’hui comme un «conservateur musulman». Il est en tout cas certainement le mieux placé pour faire la démonstration qu'il n'y a pas d'incompatibilité entre l'Islam, tel qu'il le conçoit désormais, et l'Europe. Car, dans ce domaine aussi, l’AKP a opéré sa révolution culturelle. Le parti islamiste a bien pris la mesure de l’obsession européenne ancienne de la Turquie et de son peuple. Et dorénavant lui aussi la revendique. Le raz de marée AKP au parlement n’aurait pas pu avoir lieu sans l’engagement de son état-major à poursuivre la marche vers l’Union entamée par ses prédécesseurs.
A moins que les réticences ne viennent de la partie européenne. Celles-ci ont commencé à apparaître au grand jour depuis que l’ancien chef de l’Etat français, Valéry Giscard d’Estaing, aujourd’hui président de la Convention sur l’avenir de l’Europe, a lancé le débat sur l’identité du vieux continent. Pour conclure en fin de compte que ni son histoire, ni sa géographie, ni sa culture (chrétienne, selon lui), ne militait dans le sens de l’adhésion d’Ankara au club. A ce jour, aucun responsable européen n’a suivi Valéry Giscard d’Estaing sur ce terrain-là. Certes on peut entendre, ça et là, des commentaires hostiles à l’adhésion turque. Mais ils sont davantage l’expression d’une classe politique nationale, soucieuse de ménager son électorat, que les propos de chefs d’Etats ou de responsables européens. Il semble au contraire qu’un large consensus est donc en train de se dessiner pour ne pas désespérer les Turcs : «Nous ne pouvons pas dans le même temps appeler à la constitution d’Etats musulmans séculiers et dire non à la Turquie», estime notamment le commissaire européen chargé des relations extérieures, Chris Patten. Et, sur le papier, le projet d’une intégration de la Turquie ne manque pas d’atouts. A la fois trait d’union avec les richesses de l’Orient, du Caucase et d’Asie Centrale et barrage contre leurs excès.
Au sein du club occidental, Ankara dispose d’alliés sûrs. En premier lieu, et c’est un autre paradoxe apparent : les Etats-Unis, dont la Turquie est un partenaire stratégique dans l’OTAN depuis qu’elle a verrouillé la frontière sud de l’Union Soviétique, à l’époque de la guerre froide. La Turquie qui, depuis 1989 et l’effondrement du mur de Berlin, voit aujourd’hui un certain nombre de pays-membres de l’ancien pacte de Varsovie, l’ennemi d’hier, rentrer dans l’Union. Ce soutien américain constitue d’ailleurs l’une des réserves exprimées au sein de la classe politique française, notamment chez les communistes qui redoutent d’avoir à composer avec un «sous-marin» américain au sein de la communauté. On constate en tout cas que dans la famille européenne, les plus ardents défenseurs d’une intégration d’Ankara sont également les plus fervents alliés de Washington : Grande-Bretagne, Italie, Espagne.
par Georges Abou
Article publié le 27/11/2002