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«Oui, Zola a été assassiné !»

«A la fin du mois de septembre 1902, il y avait des travaux de réfection de la toiture d’une maison voisine de l’immeuble où habitait Zola. Quand nous avons su qu’il allait rentrer de Médan à Paris, selon son habitude, nous sommes montés sur le toit voisin et nous avons bouché la cheminée en question. Et le lendemain de son retour, le matin tôt, nous sommes remontés sur le toit et nous avons débouché la cheminée. Personne ne nous a remarqués». Entre temps Emile Zola était mort, asphyxié dans la nuit par l’oxyde de carbone dégagé par la cheminée de sa chambre qui, officiellement, «tirait mal». Voici le témoignage clé qui, aux yeux de Jean Bedel, un journaliste de Radio France aujourd’hui à la retraite, nous permet de ne plus douter que Zola a bel et bine été assassiné pour avoir fait éclater la vérité sur l’affaire Dreyfus, quatre ans après la publication à la ‘une’ de L’Aurore du fameux «J’accuse!».
Dès 1953, en réalité, la version officielle commence à se lézarder. Une toute autre version circule peu à peu dans les milieux «bien informés» à Paris. Car, le commissaire Cornette en charge de l’enquête sur la mort de Zola, avant de mourir, a dit à l’un de ses proches : «Oui, Zola est mort dans des conditions très suspectes… Je crois que si on avait cherché davantage, on aurait découvert qu’il ne s’agissait peut-être pas tellement d’un accident ; mais à ce moment, la France sortait à peine de l’affaire Dreyfus. L’autorité supérieure ne tenait pas à avoir un autre sujet d’agitation».

La crainte d’une autre «guerre civile»

En fait, l’enquête menée au lendemain de la mort d’Emile Zola est visiblement entachée de graves négligences et de conclusions hâtives et incohérentes, dans le but évident de conforter la thèse de l’accident et d’étouffer une éventuelle nouvelle «affaire Zola» qui ne pourrait que relancer «l’affaire Dreyfus». Mais, revenir sur cette enquête cinquante ans plus tard n’a été guère facile, car «le dossier d’instruction a disparu», dit aujourd’hui Jean Bedel. Celui-ci a été obligé de travailler uniquement sur des pièces des archives de l’affaire Dreyfus : des pièces qui confirment «l’incroyable docilité au gouvernement des juges». Car, les rapports des experts laissaient ouverte cette possibilité. «Zola avait-il pu être victime d’un acte criminel ? a écrit un grand biographe de Zola, Frédérick Brown. Le juge d’instruction écarta apparemment toute hypothèse allant dans ce sens, de crainte que la guerre civile ne reprenne».

Mais c’est surtout le témoignage inattendu d’un certain Pierre Haquin, recueilli en 1953 par Jean Bedel, qui parle ouvertement pour la première fois d’assassinat. Dans un livre paru aux éditions Flammarion et intitulé Zola assassiné, Pierre Bedel relate sa rencontre avec Pierre Haquin, qui avait recueillis les propos de son ami Henri Buronfosse, originaire de Sarcelles. Celui-ci, quelques semaines seulement avant sa mort, décide de lui raconter comment «ils» avaient éliminé Zola. Sans toutefois parler d’éventuels commanditaires ni d’autres couvreurs qui l’ont vraisemblablement aidé à boucher et ensuite à déboucher la fameuse cheminée de la chambre d’Emile Zola.

Une chose est sure : les assassins de Zola sont des antidreyfusards ultra-nationalistes qui n’ont jamais pardonné à l’écrivain d’avoir tout fait pour disculper le capitaine juif condamné à la réclusion à perpétuité dans l’Ile du Diable (près de Cayenne, Guyane française) pour une «trahison» montée de toutes pièces.

Selon Jean Bedel, Zola était devenu «l’homme à abattre» pour la Ligue antisémite, dirigée par un certain Jules Guérin, dont les cris étaient sans ambiguïté : «Mort à Zola !, Zola à la potence !, Mort aux Juifs !». Désormais la cause commune de Dreyfus et de Zola se confond dans le même combat. L’antisémitisme est à son comble : «ce cochon de Zola» est un «crapaud», un «fils d’immigrés». La Croix, quotidien catholique, lui consacre un éditorial intitulé : «Etripez-le !». Pas étonnant, dans ces conditions, que des extrémistes antisémites soient tentés de passer aux actes.

Pierre Haquin donne également des informations sur la personnalité de Buronfosse, l’assassin présumé de Zola qui avait créé une association appelée «Pot-au-feu» : «A Sarcelles, il avait un peu le rôle d’un agent électoral pour le compte de l’Union républicaine. Il avait toujours de l’argent sur lui, au moins 10 000 francs, ce qui était une somme importante à l’époque. Il devait recevoir cet argent, mais de qui ? et pour quoi faire ? Certains amis disaient de Buronfosse : ‘c’est un roussin’, autrement dit un indicateur au service de la police. Je savais qu'il avait à Paris des activités militantes dans les milieux d’extrême-droite. Je crois qu’il avait aussi des relations étroites avec les militaires nationalistes. Il m’a toujours étonné en me racontant que dans le dépôt de la rue Mornay il gardait comme une relique le poteau d’exécution de la prétendue espionne Mata Hari… En tout cas, ma conviction est faite : la mort de Zola est bien un assassinat politique dont Buronfosse a été l’exécutant».



par Elio  Comarin

Article publié le 25/11/2002