Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Irak

Comment Washington a fait main basse sur le rapport irakien

Si Washington s’est octroyé le droit de récupérer dans son intégralité la déclaration de l’Irak sur ses programmes d’armes de destruction massive, c’est officiellement pour des raisons techniques. L’administration américaine, selon un porte-parole du département d’Etat, étant la seule capable d’en faire des tirages rapides dans des conditions de sécurité stricte avant de les distribuer aux membres permanents du Conseil de sécurité. Mais cette attitude a fait grincer les dents de plus d’un diplomate en poste à New York, créant notamment des tensions avec certains membres non permanents du Conseil, qui n’obtiendront qu’une version expurgée du document. Bagdad, qui a voulu jouer la carte de la coopération avec les Nations unies en faisant parvenir son rapport dans les délais prévus, a, par ailleurs, dénoncé mardi «un racket sans précédent dans l'histoire des Nations unies», à un moment où le travail des experts en désarmement prend enfin tout son sens avec l’étude sur le terrain de la déclaration irakienne.
Hans Blix, le chef des inspecteurs en désarmement de l’ONU, avait vendredi dernier, à l’issue d’un réunion du Conseil de sécurité, affirmé qu’aucun de ses membres ne devait avoir accès à la déclaration irakienne avant les autres. Pourtant les Etats-Unis ont été le seul pays à obtenir ce document dans la nuit de dimanche à lundi, soit trois heures à peine après son arrivée à New York. Trois diplomates –un Américain, un Britannique et un Colombien– se sont en effet présentés dimanche vers minuit, heure locale, dans les bureaux de New York de la mission onusienne chargée du désarmement irakien. Arguant de sa qualité de président du Conseil de sécurité, l’ambassadeur colombien Alfonso Valdivieso s’est ainsi fait remettre le document de Bagdad qu’il a ensuite immédiatement remis au diplomate américain, son collègue britannique s’étant présenté comme le «coordinateur du groupe des cinq membres permanents du Conseil de sécurité». Devant le tollé suscité par la main basse de Washington sur la déclaration irakienne –un diplomate a sous couvert de l’anonymat déclaré que la Russie et la France avaient été «outrées par ce tour de passe-passe»–, l’administration américaine a assuré avoir agi de la sorte pour des raisons techniques.

Le porte-parole du Département d’Etat, Richard Boucher, a ainsi justifié cette décision américaine en affirmant que seuls les Etats-Unis avaient la capacité technique de faire du document irakien des tirages rapides dans des conditions de sécurité strictes. Cet argument a fait grincer les dents de plus d’un diplomate, certains estimant notamment que «les Etats-Unis n’étaient pas les seuls à savoir se servir d’une photocopieuse». Mais seul l’ambassadeur de Syrie, seul pays arabe à siéger au Conseil de sécurité de l’ONU, a ouvertement critiqué Washington. Pour Mikhaïl Wehbe, en effet, «cette décision est en contradiction avec toute la logique, tous les principes du Conseil et va à l’encontre de son unité». Visiblement furieux, il a en outre estimé que l’ambassadeur colombien n’était pas habilité à pendre une telle décision sans le consentement des autres membres du Conseil.

Bagdad dénonce un «racket» de Washington

Le représentant syrien avait en outre une autre raison de se plaindre, Alfonso Valdivieso ayant annoncé dès lundi matin avoir décidé que le document irakien ne serait remis qu’à «ceux des membres du Conseil qui ont une expertise dans l’évaluation des risques de prolifération» des armes de destruction massive. Il faisait allusion aux cinq membres permanents du Conseil, excluant ainsi les dix autres qui n’obtiendraient eux qu’une version expurgée de cette déclaration. Pour justifier cette décision, qui prend le contre-pied de celle qu’il avait pourtant lui-même annoncé vendredi selon laquelle aucun pays n’obtiendrait le document avant un autre, l’ambassadeur colombien a affirmé que le souci d’éviter que des informations pouvant permettre la fabrication d’armes de destruction massive ne soient rendues publiques avait dominé son choix. Seules la France et la Grande-Bretagne ont pour l’instant obtenu une copie de la déclaration irakienne. Moscou a affirmé attendre la sienne au courant de la journée de mardi tandis que Pékin n’a pour l’instant fait aucun commentaire.

Silencieux jusqu’à mardi, le régime de Saddam Hussein a accusé mardi les Etats-Unis de s'être livrés à «un racket» en s'emparant dimanche de son dossier sur les armements au siège de la mission des Nations unies sur le désarmement irakien à New York. «Il s'agit d'un racket sans précédent dans l'histoire des Nations unies», a notamment affirmé le ministère des Affaires étrangères irakien. Constamment accusé par Washington de ne pas respecter les résolutions de l’ONU, l’Irak contre-attaque donc aujourd’hui en dénonçant «un comportement qui fait fi de la Charte de l’Organisation et des droits inaliénables des dix pays membres non-permanents du Conseil de sécurité». Il est vrai que cette décision de l’administration américaine donne du grain à moudre au moulin de la propagande irakienne qui peut désormais justifier aux yeux notamment des opinions arabes que les Américains cherchent bien des prétextes pour couvrir une agression contre le régime de Bagdad. Un quotidien du Qatar a d’ailleurs d’ores et déjà dénoncé «un acte de piraterie» de la part de Washington.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 10/12/2002