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Proche-Orient

Bethléem prépare Noël sous couvre-feu

Depuis trois semaines, les habitants de la cité de la Nativité sont enfermés chez eux. Avec deux tiers de la population au chômage et les soldats qui campent en centre ville, les célébrations de fin d’année seront réduites au minimum.
De notre correspondant dans les Territoires palestiniens

Le 4 décembre 1999, Bethléem avait ouvert les festivités du Jubilé en fanfare. Devant les caméras du monde entier, la ville restaurée grâce aux dollars de la communauté internationale, commençait une nouvelle vie. Les officiels rêvaient d’en faire le carrefour du tourisme en Palestine, les familles retrouvaient des parents perdus de vue depuis des décennies, les pèlerins et les VIP affluaient. L’avenir appartenait à Bethléem. C’était il y a trois ans. Autant dire une éternité.

Aujourd’hui, la cité de la Nativité dépérit en silence. A peine sait-on en dehors qu’un couvre-feu y est imposé jour et nuit en représailles à l’attaque suicide qui a fait onze morts le 21 novembre dernier à Jérusalem. Selon l’armée israélienne, le kamikaze aurait transité par la ville sainte avant de commettre son attentat. C’est la sixième fois que Bethléem est envahi par les blindés de Tsahal depuis le mois d’octobre 2001.

Et Noël alors ? On le célèbrera parce que le calendrier le veut. Sous la botte de l’armée israélienne. «Noël est l’identité de Bethléem et aucune armée au monde ne pourra l’effacer», affirme Hanna Nasser, le maire de la ville. Selon lui, les soldats devraient se retirer autour du 20 décembre. «La ville du Christ sous couvre-feu à Noël ? Ce serait un tollé médiatique et Israel en est conscient».

La tradition liturgique sera donc au moins respectée : la procession du Patriarche latin Michel Sabbah depuis la tombe de Rachel, à l’entrée de la ville, les vêpres puis la messe de minuit dans l’église Sainte Catherine qui jouxte la basilique de la Nativité. Autre certitude : Yasser Arafat n’y sera pas. Comme l’année dernière, le gouvernement israélien l’empêchera de quitter Ramallah. «En revanche, pour tout ce qui est célébration civile, en dehors des lieux saints, c’est l’inconnu», dit Amjad Sabbara, le curé de la paroisse.

Une vie de peu, accaparée par une idée fixe : survivre


Le programme risque d’être minimal. En déficit de 3 millions d’euros, le budget municipal n’a pas permis de payer les salaires des fonctionnaires pour les mois d’octobre et de novembre. Ainsi la mairie a déjà fait savoir qu’elle ne pourrait pas illuminer la ville. Christiane Nasser, la responsable du comité des fêtes, s’accroche pourtant : «J’essaie de faire venir une soprano japonaise, dit-elle. Pour l’instant, on fait comme si ça marchait. S’il faut annuler au dernier moment, on annulera. C’est comme cela qu’on bosse depuis deux ans. Mentalement, c’est épuisant».

Autre inconnue: les check points. Les autorités israéliennes ouvriront-elles la ville aux Palestiniens de l’extérieur ? «Mes enfants qui sont en France et aux Etats-Unis ne sont pas venus depuis deux ans et demi, dit Christiane Nasser. J’ai peur qu’il n’ait pas les papiers à temps. J’ai peur aussi qu’ils restent bloqués ici s’ils finissaient par arriver. J’ai envie de leur dire que c’est moi qui vient. Mais est-ce que l’on me laissera revenir ?».

Quoiqu’il arrive, que la ville soit évacuée ou sous couvre feu, ouverte ou bouclée, l’esprit de Noël ne sera pas là. Derrière leurs volets clos, les habitants sombrent dans l’apathie. Les rondes des soldats, la misère galopante, les confinent dans une vie de peu, un quotidien fruste accaparé par une idée fixe: survivre. Selon la mairie, près de 70% de la population est au chômage. Quand l’armée lève le couvre-feu pour quelques heures, les files d’attente s’allongent aussitôt devant les points de distribution de nourriture.

A elle seule, la Société des femmes arabes, un organisme de charité local, vient en aide à 700 familles. «Noël est un message de création, de renouvellement, d’espérance et ici en Terre Sainte, nous vivons exactement le contraire, dit Bernard Sabella, un responsable du Conseil des Eglises du Moyen-Orient. J’ai beau être contre les attentats-suicide, absolument contre, je ne comprends pas comment l’armée israélienne se permet de punir toute une ville».

Dans ce contexte, les chrétiens qui disposent souvent davantage de passerelles vers l’étranger que les musulmans, sont confrontés à un douloureux dilemme. «Partir ou résister, on vit tous ce conflit dans notre tête», dit Iyad Abou Rudeineh, un jeune chercheur de 25 ans. D’après la mairie, près de 2000 habitants de confession chrétienne sur les 20.000 que compte le district de Bethléem, ont déjà fait leurs valises. L’inaction des pays européens face à l’asphyxie des Territoires redouble le traditionnel sentiment d’abandon des chrétiens d’Orient. Bernard Sabella s’inquiète : «Si ça continue comme ça, il y aura des messes, mais plus de communauté pour leur donner vie. Les églises vont se transformer en musée».



par Benjamin  Barthe

Article publié le 15/12/2002