Sénégal
Mandina Mancagne, un village dans la guerre.
Le conflit casamançais qui dure depuis vingt ans a fait des centaines de victimes civiles et militaires, des milliers de personnes déplacées, des villages entiers rasés ou désertés. Parmi ces villages, il y a Mandina Mancagne, situé à environ trois kilomètres à la sortie sud de Ziguinchor, à moins d'une quinzaine de kilomètres de la frontière avec la Guinée Bissau. Village martyr, dévasté, mais aussi village qui vit l'armée sénégalaise connaître ses plus grandes pertes dans ce qu'il est, de fait, le bourbier casamançais.
De notre envoyé spécial en Casamance
Dans la nuit du 19 au 20 août 1997, le petit village de Mandina Mancagne dort paisiblement bercé par la musique soyeuse des feuilles des arbres touffus qui le cachent au regard des étrangers et des curieux. Car Mandina Mancagne, plus qu'un village, c'est une forêt dense traversée de temps à autre par des rizières rendant encore l'accès plus difficile. Pourtant, cette nuit là, un drame se préparait à l'insu des villageois endormis. L'armée sénégalaise avait en effet décidé de donner l'assaut contre une des principales bases du maquis des rebelles séparatistes du MFDC (Mouvement des forces démocratiques de Casamanace) qui y faisait la pluie et le bon temps, lançant à partir de là, des attaques fréquentes contre les quartiers périphériques de Ziguinchor, mais aussi rançonnant les véhicules de transport qui font la navette avec la Guinée Bissau.
Mais ce qui devait être une attaque-surprise se soldera par une des plus grandes défaites de l'armée nationale avec 26 soldats tués et plusieurs autres gravement blessés. Si officiellement on ne l'a pas clamé sur les toits, l'encadrement militaire de la zone militaire sud, reconnaît à demi-mot quelques jours plus tard, que le commando envoyé à Mandina, est tombé sur une embuscade tendue par les rebelles qui, on ignore comment, étaient au courant de l'imminence de l'assaut et s'y étaient préparés. Les rebelles bénéficiaient-ils d’informateurs? L’attaque de l’armée était-elle suffisamment préparée? Toujours est-il qu’une partie du commando qui a pénétré au cœur de la zone rebelle, s'est retrouvée coupée de ses éléments de soutien durant une bonne partie de la nuit. Quand finalement les renforts arrivent le lendemain, c'est pour constater le carnage et les rebelles partis depuis longtemps.
Le village fantôme revient peu à peu à la vie
Mandina fut détruit aux trois quarts, les populations durent s'enfuir vers Ziguinchor ou Bissau, et à leur place l'armée prit ses quartiers. Rizières et vergers furent abandonnés par leurs propriétaires, et plusieurs pistes qui mènent vers le village furent minées par les rebelles dans leur fuite pour empêcher toute poursuite. Mandina Mancagne devint alors un village fantôme et pendant longtemps, son accès fut interdit...
Cinq ans plus tard, le jeudi 12 décembre 2002 dans l'après midi sous un soleil de plomb, nous décidons d'aller voir ce qu'est devenu Mandina qui, depuis ce 19 août 1997, était devenu un mythe, un nom que l'on murmure comme si les fantômes des soldats tués cette nuit là, hantaient encore les lieux. Bien sur, on n'a pas manqué de nous déconseiller le voyage («c'est risqué vous savez»; «l'armée ne vous laissera pas y accéder», etc.). Après des discussions infructueuses avec trois taxis qui ont tous décliné l'offre avec dans le regard un message clair: vous êtes fous de vouloir y aller. Le quatrième taxi, après un quart d'heure de négociations, acceptera à deux conditions: en triplant la course et, faire demi tour au premier barrage militaire qui nous intimera l'ordre de repartir.
A la sortie de Ziguinchor, vous laissez l'imposante route qui mène vers le dernier check-point sénégalais, Mpack, vous prenez une piste sur votre droite qui pénètre brusquement dans la forêt touffue qui annonce le village. Au fur et à mesure que l'on s'approche, nous croisons de temps à autre des femmes, des fagots de bois sur la tête, rentrant des rizières. La piste a été récemment refaite avec de la latérite. Subitement, Mandina Mancagne surgit devant nous. Sous les arbres , au centre du village, militaires en civil et villageois tapent nonchalamment la carte (belote) en buvant du thé.
Un militaire nous fait signe de nous arrêter: contrôle de pièces d'identité et la question fatidique: «Où allez vous? » Réponse: «ici, à Mandina, pour les 20 ans du conflit, on visite certains villages...» Le jeune militaire nous coupe la parole comme si nous avions proféré une incongruité et appelle son chef. pour nous, au mieux le voyage s'arrête là, au pire, c'est un long interrogatoire avec à la clé, qui sait, un tour au quartier général de la zone militaire à Ziguinchor.
Le commandant Saliou Tine, commandant la base installée dans le village va sur ses trente-cinq ans. A cause de la canicule sans doute, le commandant ne porte en tout et pour tout que son pantalon militaire et un tricot de corps. Après les salamalecs, je répète mon laïus et, à ma grande surprise, (heureuse surprise!) le commandant Tine se prête aimablement à nos questions, même si c'est avec des réponses laconiques. «Non, il n'y a plus de problèmes à Mandina; il n'y a plus eu de coups de feu ici depuis cinq ans que nous sommes ici; oui, les villageois commencent à revenir, regardez vous-même les nouvelles cases qu'ils sont en train de construire...»
En effet, nous discutons à quelques mètres d'un énorme dépôt de matériel de construction (fer, ciment, grandes grues etc.). Bien sur, il admet que tout le monde n'est pas encore revenu, mais «qu'au moins la moitié est déjà rentrée au village» et que (leur) «objectif, est de faire en sorte que tout le monde soit revenu dans un an au plus tard». Son assurance, il la fonde sur le fait que tous les jours, certains viennent jeter un coup d’œil à leurs anciennes maisons, ou ce qu'il en reste, et se renseignent sur la sécurité dans le village et dans leurs rizières ou vergers, ou encore les mines. Le commandant rassure tout le monde:«il n'y a plus de danger ici, regardez certains de vos voisins sont déjà rentrés».
Pour bien nous montrer qu'«il n'y a rien à craindre», le commandant Tine nous fait visiter quelques maisons sous le regard soupçonneux des villageois. Ce n'est pas tous les jours qu'ils ont de la visite avec un taxi jaune. Pour la reconstruction des maisons et la réfection de la piste, l'acheminement du matériel de construction, notre guide nous confie que c'est grâce à celui qu'on appelle familièrement à Ziguinchor, «le colonel Boissy», (un colonel à la retraite, originaire du village où habitent en majorité les «Mancagnes» d'où le nom du village, une des ethnies les plus vieilles et les plus importantes de la Casamance, avec les Diolas). Après la brève visite du village, à la question «on peut continuer plus loin?», notre guide nous le déconseille gentiment mais fermement: «à cause des mines; c'est dangereux si on ne connaît pas les pistes».Fin de la visite. retour sur Ziguinchor.
Oui, Mandina Mancagne fait de méritoires efforts pour revire, oublier cette tragique nuit d'août 1997; oublier leur cohabitation pendant des années avec les rebelles qui avaient fait de leur village une base arrière. Il existe des dizaines de Mandina Mancagne en Casamance, des villages qui ont vécu dans leur chair 20 années de guerre qui ont chassé des milliers de villageois de leurs maisons, de leurs rizières, dispersé leur bétail quand les combats n’ont pas tout simplement décimé des dizaines des leurs. Il faudra, la paix revenue, des années pour panser les plaies, revivre à nouveau dans une région qui fut une sorte d'Eldorado du Sénégal, aujourd'hui meurtrie, défigurée, et comble des combles, affamée alors qu'on l'appelait dans une autre vie, le grenier du Sénégal.
Dans la nuit du 19 au 20 août 1997, le petit village de Mandina Mancagne dort paisiblement bercé par la musique soyeuse des feuilles des arbres touffus qui le cachent au regard des étrangers et des curieux. Car Mandina Mancagne, plus qu'un village, c'est une forêt dense traversée de temps à autre par des rizières rendant encore l'accès plus difficile. Pourtant, cette nuit là, un drame se préparait à l'insu des villageois endormis. L'armée sénégalaise avait en effet décidé de donner l'assaut contre une des principales bases du maquis des rebelles séparatistes du MFDC (Mouvement des forces démocratiques de Casamanace) qui y faisait la pluie et le bon temps, lançant à partir de là, des attaques fréquentes contre les quartiers périphériques de Ziguinchor, mais aussi rançonnant les véhicules de transport qui font la navette avec la Guinée Bissau.
Mais ce qui devait être une attaque-surprise se soldera par une des plus grandes défaites de l'armée nationale avec 26 soldats tués et plusieurs autres gravement blessés. Si officiellement on ne l'a pas clamé sur les toits, l'encadrement militaire de la zone militaire sud, reconnaît à demi-mot quelques jours plus tard, que le commando envoyé à Mandina, est tombé sur une embuscade tendue par les rebelles qui, on ignore comment, étaient au courant de l'imminence de l'assaut et s'y étaient préparés. Les rebelles bénéficiaient-ils d’informateurs? L’attaque de l’armée était-elle suffisamment préparée? Toujours est-il qu’une partie du commando qui a pénétré au cœur de la zone rebelle, s'est retrouvée coupée de ses éléments de soutien durant une bonne partie de la nuit. Quand finalement les renforts arrivent le lendemain, c'est pour constater le carnage et les rebelles partis depuis longtemps.
Le village fantôme revient peu à peu à la vie
Mandina fut détruit aux trois quarts, les populations durent s'enfuir vers Ziguinchor ou Bissau, et à leur place l'armée prit ses quartiers. Rizières et vergers furent abandonnés par leurs propriétaires, et plusieurs pistes qui mènent vers le village furent minées par les rebelles dans leur fuite pour empêcher toute poursuite. Mandina Mancagne devint alors un village fantôme et pendant longtemps, son accès fut interdit...
Cinq ans plus tard, le jeudi 12 décembre 2002 dans l'après midi sous un soleil de plomb, nous décidons d'aller voir ce qu'est devenu Mandina qui, depuis ce 19 août 1997, était devenu un mythe, un nom que l'on murmure comme si les fantômes des soldats tués cette nuit là, hantaient encore les lieux. Bien sur, on n'a pas manqué de nous déconseiller le voyage («c'est risqué vous savez»; «l'armée ne vous laissera pas y accéder», etc.). Après des discussions infructueuses avec trois taxis qui ont tous décliné l'offre avec dans le regard un message clair: vous êtes fous de vouloir y aller. Le quatrième taxi, après un quart d'heure de négociations, acceptera à deux conditions: en triplant la course et, faire demi tour au premier barrage militaire qui nous intimera l'ordre de repartir.
A la sortie de Ziguinchor, vous laissez l'imposante route qui mène vers le dernier check-point sénégalais, Mpack, vous prenez une piste sur votre droite qui pénètre brusquement dans la forêt touffue qui annonce le village. Au fur et à mesure que l'on s'approche, nous croisons de temps à autre des femmes, des fagots de bois sur la tête, rentrant des rizières. La piste a été récemment refaite avec de la latérite. Subitement, Mandina Mancagne surgit devant nous. Sous les arbres , au centre du village, militaires en civil et villageois tapent nonchalamment la carte (belote) en buvant du thé.
Un militaire nous fait signe de nous arrêter: contrôle de pièces d'identité et la question fatidique: «Où allez vous? » Réponse: «ici, à Mandina, pour les 20 ans du conflit, on visite certains villages...» Le jeune militaire nous coupe la parole comme si nous avions proféré une incongruité et appelle son chef. pour nous, au mieux le voyage s'arrête là, au pire, c'est un long interrogatoire avec à la clé, qui sait, un tour au quartier général de la zone militaire à Ziguinchor.
Le commandant Saliou Tine, commandant la base installée dans le village va sur ses trente-cinq ans. A cause de la canicule sans doute, le commandant ne porte en tout et pour tout que son pantalon militaire et un tricot de corps. Après les salamalecs, je répète mon laïus et, à ma grande surprise, (heureuse surprise!) le commandant Tine se prête aimablement à nos questions, même si c'est avec des réponses laconiques. «Non, il n'y a plus de problèmes à Mandina; il n'y a plus eu de coups de feu ici depuis cinq ans que nous sommes ici; oui, les villageois commencent à revenir, regardez vous-même les nouvelles cases qu'ils sont en train de construire...»
En effet, nous discutons à quelques mètres d'un énorme dépôt de matériel de construction (fer, ciment, grandes grues etc.). Bien sur, il admet que tout le monde n'est pas encore revenu, mais «qu'au moins la moitié est déjà rentrée au village» et que (leur) «objectif, est de faire en sorte que tout le monde soit revenu dans un an au plus tard». Son assurance, il la fonde sur le fait que tous les jours, certains viennent jeter un coup d’œil à leurs anciennes maisons, ou ce qu'il en reste, et se renseignent sur la sécurité dans le village et dans leurs rizières ou vergers, ou encore les mines. Le commandant rassure tout le monde:«il n'y a plus de danger ici, regardez certains de vos voisins sont déjà rentrés».
Pour bien nous montrer qu'«il n'y a rien à craindre», le commandant Tine nous fait visiter quelques maisons sous le regard soupçonneux des villageois. Ce n'est pas tous les jours qu'ils ont de la visite avec un taxi jaune. Pour la reconstruction des maisons et la réfection de la piste, l'acheminement du matériel de construction, notre guide nous confie que c'est grâce à celui qu'on appelle familièrement à Ziguinchor, «le colonel Boissy», (un colonel à la retraite, originaire du village où habitent en majorité les «Mancagnes» d'où le nom du village, une des ethnies les plus vieilles et les plus importantes de la Casamance, avec les Diolas). Après la brève visite du village, à la question «on peut continuer plus loin?», notre guide nous le déconseille gentiment mais fermement: «à cause des mines; c'est dangereux si on ne connaît pas les pistes».Fin de la visite. retour sur Ziguinchor.
Oui, Mandina Mancagne fait de méritoires efforts pour revire, oublier cette tragique nuit d'août 1997; oublier leur cohabitation pendant des années avec les rebelles qui avaient fait de leur village une base arrière. Il existe des dizaines de Mandina Mancagne en Casamance, des villages qui ont vécu dans leur chair 20 années de guerre qui ont chassé des milliers de villageois de leurs maisons, de leurs rizières, dispersé leur bétail quand les combats n’ont pas tout simplement décimé des dizaines des leurs. Il faudra, la paix revenue, des années pour panser les plaies, revivre à nouveau dans une région qui fut une sorte d'Eldorado du Sénégal, aujourd'hui meurtrie, défigurée, et comble des combles, affamée alors qu'on l'appelait dans une autre vie, le grenier du Sénégal.
par Demba Ndiaye
Article publié le 27/12/2002