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Côte d''Ivoire

Une transition longue et périlleuse

La table ronde de Marcoussis a accouché, tôt vendredi 24 janvier 2003 d’un accord de dernière minute qui officiellement satisfait toutes les parties ivoiriennes. Sans toutefois laisser entrevoir un règlement durable d’une crise qui dure depuis le 19 septembre dernier.
Un texte prévoyant la mise en place d’une «gouvernement de réconciliation nationale» et le maintien à sa place du président Laurent Gbagbo a bien été signé, vers 2h30, dans la nuit de jeudi à vendredi, à Marcoussis (dans la banlieue sud de Paris). Et une fois de plus les différents délégués ivoiriens se sont donné l’accolade et ont sablé le champagne, tout en chantant l’hymne national, à l’issue d’une dernière séance marathon. Ce texte doit être approuvé ce week-end à Paris par la conférence des chefs d’Etats de l’Afrique de l’Ouest, mais celle-ci a d’ores et déjà enregistré l’absence volontaire d’un certain nombre de protagonistes de taille: les présidents nigérian, nigérien et (peut-être) togolais. Autant dire que la période de transition qui s’ouvre pour la Côte d’Ivoire s’annonce à la fois très longue et très périlleuse, car l’accord formel de Marcoussis règle les questions les moins épineuses (code de la nationalité, éligibilité à la présidence de la République, composition du gouvernement), mais renvoie à plus tard la solution des questions militaires: cantonnement de la rébellion du Nord, contrôle réel des rebelles de l’Ouest et la présence désormais avérée de milliers de soldats libériens plus au moins à la dérive.

D’après les premières indiscrétions, cet accord prévoit que le président Laurent Gbagbo reste en place jusqu’à la fin de son mandat (octobre 2005), mais aussi qu’il sera obligé de composer - ou de cohabiter - avec un gouvernement dont la composition n’a pas été précisée mais qui comprendra toutes les délégations présentes à Marcoussis, donc les trois mouvements rebelles (MPCI, MPIGO et MJP). Il sera dirigé par un «Premier ministre de consensus» qui ne pourra pas se présenter à l'élection présidentielle d’octobre 2005 mais «disposera, pour l’accomplissement de sa mission, des prérogatives de l’exécutif». Ce qui ôte d’autant de pouvoir réel au président Gbagbo, sans pour autant l’obliger à ne faire plus que de la figuration.

Cette concession majeure faite par les rebelles et le RDR - qui avaient constamment réclamé le départ de Gbagbo - était attendue depuis le début du «processus de Marcoussis», tout comme le remplacement du Premier ministre N’guessan par une figure de consensus, nécessairement non membre du FPI, le parti de Gbagbo. «Ce que nous n’avons pas eu d’un côté, a dit le porte-parole du MPCI Konaté Siriki, nous l’avons obtenu de l’autre avec un gouvernement fort qui a en mains toutes les clefs de la résolution de la crise». «C’est un accord de compromis entre les revendications des différents parties», a souligné de son côté le Premier ministre sortant Pascal Affi N’guessan, avant d’ajouter que les négociateurs n’avaient pas établi une «liste de premier-ministrables», car la nomination du prochain Premier ministre relève du président Gbagbo.

Quatre candidats (et une candidate) à la Primature

Cela n’a pas empêché les milieux politiques ivoiriens de se livrer au jeu des prévisions: apparemment quatre personnalités politiques très connues, toutes membres ou proches du PDCI - le parti historique (et autrefois unique) créé par Houphouët-Boigny - tiennent la corde. Il s’agit tout d’abord de l’ancien ministre, actuellement président du CES, Laurent Dona Fologo, qui a longtemps été le secrétaire général du PDCI, avant de diriger la délégation gouvernementale, lors les récentes négociations de Lomé. Viennent ensuite trois «barons»: Seydou Diarra, un «sage» qui a dirigé en 2002 le Forum de réconciliation d’Abidjan mais qui auparavant avait accepté de devenir le Premier ministre de Robert Gueï; Charles Konan Banny, actuellement gouverneur de la BCEAO (la Banque d’Afrique occidentale); et l’ancien Premier ministre d’Henri Konan Bédié, Daniel Kablan Duncan, qui a l’avantage de s’être fait quelque peu oublier depuis le fameux «putsch de Noël» 1999 et tous les tragiques événements qui ont ensuite ensanglanté le pays. Mais on ne peut exclure que le 'numero deux' du RDR, Henriette Diabaté, originaire du sud mais mariée à un nordiste, ne coiffe tous les autres candidats sur le poteau.

Il va de soi que le choix du futur Premier ministre est le principal défi auquel fait face dans l’immédiat Laurent Gbagbo. Car son gouvernement aura d’abord la tâche de «préparer les échéances électorales afin d’avoir des élections crédibles et transparentes». Le chef de gouvernement aura donc à diriger, deux années et demi durant, une équipe nécessairement composite et formée de ministres se regardant en chiens de faïence. Autant dire que sa tâche sera des plus difficiles, surtout parce que une si longue «transition» a toutes les chances d’avoir à surmonter de nombreux obstacles, avant la date fatidique d’octobre 2005 (élections présidentielle et législatives). Car il faut d’ici là établir - ou rétablir - des listes électorales, alors que cela ne peut se faire sans l’établissement préalable d’une carte nationale d’identité fiable et acceptée par tout le monde, mais aussi l’établissement des cartes de séjour destinées aux étrangers. Comment va-t-il accomplir ces différentes tâches, dans un pays gangrené par le trafic généralisé des pièces d’identité et dont de nombreux bâtiments publics (dans le nord comme dans l’ouest) ont été récemment pillés et vidés de leurs dossiers ?

Plus délicat encore, la gestion du désarmement et du cantonnement des rebelles, qui a été confiée elle aussi au gouvernement. Les délégués présents à Marcoussis se sont accordés sur «le regroupement de toutes les forces», dans le but de constituer une nouvelle armée, avec l’aide de la France, ainsi que sur une amnistie des mutins ayant participé aux différentes rébellions. Depuis quand, au juste ? Depuis le fameux putsch de Noël 1999 ? Cette question cruciale, véritable pierre d’achoppement dans toutes les négociations intervenues depuis le 19 septembre, n’a apparemment pas fait l’objet d’un accord précis et détaillé à Marcoussis, les délégués préférant la renvoyer au futur gouvernement. Or, les gouvernements dits «de transition» sont non seulement difficiles à mettre en place (voir à ce propos les péripéties des accords de Lusaka signés entre les belligérants du Congo démocratique), mais ils ont également tendance à ne pas tenir longtemps (voir à ce sujet ce qui est arrivé à ceux d’Angola, entre Luanda et l’Unita de Jonas Savimbi).

Cette question est d’autant plus délicate que les rebelles ne forment pas un «front» unique, même si leur collaboration est évidente. En réalité l’implantation géographique (et en partie ethnique), les motivations profondes, comme les «parrainages» extérieures ne sont pas les mêmes, entre d’un côté le MPCI et de l’autre le MPIGO et le MJP. Le premier bénéficie d’un incontestable appui populaire dans le nord, où il entre en concurrence directe avec le RDR d’Alassane Ouattara, ainsi que l’aide en tous genres du Burkina Faso de Blaise Compaoré, qui doit tenir compte des quelques trois millions de Burkinabè vivant en Côte d’Ivoire.

Les deux autres mouvements rebelles ont eux-mêmes indiqué ne pas avoir de programme politique, en dehors du renversement de Laurent Gbagbo, qu’il accusent d’être responsable de l’assassinat de Robert Gueï, l’ancien président originaire du Grand Ouest. Plus grave, il est difficile d’évaluer la représentativité réelle de leurs chefs présents à Paris, mais aussi leur véritable puissance militaire, car, il est désormais prouvé que l’essentiel des combats qui ne cessent de s’étendre à l’Ouest est le fait de soldats libériens visant à contrôler par tous les moyens la «boucle du cacao» ivoirien. L’armée française préfère parler, pour l’heure «d’éléments incontrôlés». Ce qui signifie que nul n’est apparemment en mesure - en dehors de Charles Taylor, qui s’en défend - de peser sur leur comportement. Or, l’histoire récente de la Guinée, du Sierra Léone et surtout du Libéria nous apprend que le Libéria de Charles Taylor est la principale source de conflit et de régression politique en Afrique occidentale. Une menace qui plane toujours sur les voisins. C’est peut-être pour cela que le président libérien a décidé, dans un premier temps, de ne pas se rendre à Paris, où il commence à être montré du doigt. Avant de changer d'avis.



par Elio  Comarin

Article publié le 24/01/2003