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Côte d''Ivoire

La Cedeao dans l’impasse

Quatre mois après le début de la rébellion, la Cedeao a été contrainte à avouer officiellement son impuissance. Les chefs d’Etat membres du groupe de contact sur la Côte d’Ivoire ont déclaré lundi soir à Lomé (Togo) qu’ils ne pourront pas s’exprimer lors du sommet régional prévu à Paris les 25 et 26 janvier. Cet aveu d’échec intervient au moment où la situation ne cesse de se dégrader à l’ouest du pays, où les «enfants soldats» fidèles à Charles Taylor, déjà tristement célèbres au Sierra Léone, sont désormais à l’œuvre, sous la direction du fameux «général Mosquito», l’inventeur de la fameuse pratique dite «manches longues ou manches courtes».
«La Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest ne sera pas en mesure de s’exprimer en tant qu’organisation lors des assises de Paris», dans la mesure où les chefs d’Etat qui la composent «n’ont pas encore rendu compte à la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao des activités» du groupe de contact que dirige le Togo et qui comprend également le Ghana, la Guinée-Bissao, le Mali, le Niger et le Nigeria. Pour cela, les participants à la réunion de Lomé ont aussitôt demandé «la convocation d’un sommet extraordinaire de la Cedeao le plus tôt possible afin de permettre au groupe de contact de haut niveau de rendre compte de ses activités».

Cet aveu intervient à quelques jours seulement du sommet de Paris, prévu pour réunir les responsables africains directement concernés par la crise ivoirienne, et traduit les profondes divisions qui traversent, depuis le début de la crise, une organisation régionale qui a déjà connu des crises comparables, notamment lors des guerres du Libéria et du Sierra Leone, lorsque l’intervention de l’Ecomog dirigée par le Nigéria avait été vertement critiquée par d’autres états de la région.

Cette fois-ci, dès le début de la rébellion ivoirienne, le Nigéria - qui s’était aussitôt porté au secours de Laurent Gbagbo - avait été peu à peu écarté du dossier et même obligé de rappeler les avions Alphajet qu’il avait aussitôt mis à la disposition de l’armée ivoirienne. Une humiliation que le président Obasanjo n’a sûrement pas oublié lorsqu’il s’est rendu, dimanche dernier, à Lomé pour la réunion du groupe de contact.

De plus, le président sénégalais Abdoulaye Wade - également président en exercice de la Cedeao - n’a jamais pardonné à ses pairs d’avoir été exclu du groupe de contact en charge de la crise ivoirienne ; il a ensuite doublé les initiatives diplomatiques de celui-ci, en engageant, via son ministre des Affaires étrangères Cheikh Gadio, une négociation qui a tout même abouti au premier cessez-le-feu. Une âpre polémique - plus personnelle que politique - s’en était ensuivie entre le togolais Eyadéma et le sénégalais Wade. Ce qui n’est sans doute pas étranger à l’échec des récentes négociations de Lomé qui n’ont abouti qu’à des cessez-le-feu aussitôt violés.

Les «enfants soldats» libériens à Man

On assiste ainsi à l’émergence d’une grave crise régionale, à l’image de ce qui se passe depuis une dizaine d’années en Afrique occidentale, lorsque la guerre civile a commencé au Libéria, à l’initiative de Charles Taylor, soutenu à l’époque par la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny, le Burkina Faso de Blaise Compaoré et certains milieux économiques européens. Mais cette crise ne se résume pas à la rivalité traditionnelle entre le Sénégal et le Togo, ni même à la «revanche» tragique que serait tenté de prendre le Nigéria sur ses échecs au Liberia, au Sierra Leone, et aujourd’hui même en Côte d’Ivoire.

Le rôle trouble joué ces dernières années par deux «pompiers pyromanes» aussi déterminés et puissants que Charles Taylor et Blaise Compaoré, d’abord au Sierra Leone et ensuite en Côte d’Ivoire, a poussé l’ONU a mettre au ban des nations le Libéria et à simplement dénoncer la complicité burkinabè dans tous les trafics en armes et en diamants qui profitent aux bailleurs de fonds de Charles Taylor et Blaise Compaoré.

Mais il y a pire. Aujourd’hui, tous les témoignages en provenance du Grand Ouest ivoirien, et notamment de la ville clé de Man tenue par les rebelles du Mpigo et/ou du MJP (tous deux aidés par le Libéria), confirment que désormais Monrovia conditionne ouvertement l’issue de la crise ivoirienne. Même si Charles Taylor continue d’affirmer le contraire. Selon notre correspondant à Monrovia Zoom Dosso, Sam Bockarie, alias «le général Mosquito», le chef du RUF sierra-léonais connu pour ses atrocités, est désormais en Côte d’Ivoire et terrorise la population ivoirienne, notamment à Guiglo. Une information indirectement confirmée par les autorités libériennes, qui ont déclaré avoir «expulsé Sam Bockarie du Libéria», en ajoutant qu’il n’y a avait plus aucun élément du RUF sur le territoire libérien. Sans ajouter que «le général Mosquito» et ses «enfants soldats» sont désormais dans l’ouest ivoirien, et contrôlent les principales villes tenus officiellement par le Mpigo ou le MJP. «Ils pillent, saccagent et brutalisent les civils», selon des habitants qui ont dû se réfugier en Guinée.

Le président Taylor a officiellement fermé la frontière de son pays avec la Côte d’Ivoire au moment de l’apparition des deux mouvements rebelles de l’ouest (fin novembre). Pour se justifier, il affirme aujourd’hui ne pas être en mesure d’empêcher les infiltrations : «mon gouvernement n’a pas les moyens de voir qui passe les postes frontières en direction de la Côte d’Ivoire, mais fera tout son possible pour empêcher les armes de transiter». A voir.

De son côté le président du Burkina Blaise Compaoré, qui a reconnu avoir accueilli à Ouagadougou la plupart des rebelles qui occupent le Nord ivoirien, a une nouvelle fois accusé le président Gbagbo de «travailler à détruire la cohésion nationale». Lors d’une rencontre avec un journaliste du Parisien, il a déclaré mardi que «le minimum, ce sont des élections anticipées et le départ de Gbagbo» qui, selon lui, «finira comme Milosevic, c’est-à-dire devant le Tribunal pénal international» à cause des nombreuses exactions commises par ses partisans. Des déclarations en forme d’ingérence qui pourraient se retourner contre lui, étant donné qu’il est arrivé au pouvoir après avoir fait assassiner son président - et ami - Thomas Sankara, avant de faire exécuter ses autres amis sous-officiers (Lingani et Zongo).



par Elio  Comarin

Article publié le 21/01/2003