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Côte d''Ivoire

Des Libériens dans le conflit

Le Libéria de Charles Taylor, même s’il n’est pas au cœur du conflit en Côte d’Ivoire, a tout de même une capacité de nuisance considérable dans la région. Les mouvements rebelles ont trouvé appuis et renforts auprès des soldats libériens qui font la loi dans les villes de l’ouest de la Côte d’Ivoire.
L’armée française fait barrage à l’avancée des rebelles du Mpigo et du MJP dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Parmi eux ce sont les anglophones rencontrés dans la ville de Man qui le confessent. Les leaders de la rébellion, eux, sont visiblement gênés par la présence de ces recrues venues du Libéria. Elles sont généralement très jeunes, à peine sorties de l’adolescence, et ont la particularité d’être féroces et déterminées. Ces enfants-soldats viennent de la forêt libérienne, où ils sont réfugiés prêts à répondre au mot d’ordre de tout recruteur. Ce sont ces enfants-soldats qui ont rompu la trêve du cessez-le-feu en s’en prenant aux positions françaises le lundi 6 janvier. Michèle Alliot-Marie avait justement qualifié ces accrochages «d’actes d’éléments incontrôlés».

«Ces éléments incontrôlés» sont en fait, pour la plupart ces jeunes recrues, venues du Libéria grossir les rangs rebelles et qui en avaient assez d’attendre aux portes d’une ville, Duékoué, sans la mettre à sac. Ces enfants-soldats n’ont pas de salaires et se rétribuent directement, comme ils le peuvent sur les villes passées sous leur contrôle. Une seule règle : se servir, comme le rapporte le journal Le Figaro, dans une enquête publiée le 21 janvier 2003. Leur mot d’ordre : «operation pay yoursef», «opération paie-toi, toi-même», autrement dit, «paie-toi sur la guerre». Les commerçants et habitants de la ville de Man, sous contrôle du Mpigo en savent quelque chose. Ces soldats à Man ont confirmé leur réputation de pilleurs, de violeurs et de tueurs sans état d’âme.

Drogués, séduits par une relative opulence, à l’opposé du régime de privation subi dans la forêt, et armés, ces jeunes mercenaires n’ont plus de limites. Ils sont évalués à plusieurs milliers, réfugiés dans les forêts, mal encadrés, mais à qui on a confié une charge dont ils n’ont pas conscience : libérer l’Afrique. «On nous a dit que Gbagbo est un pourri. Dès qu’on lui aura bouffé le cœur pour rétablir le liberté à Abidjan, je rentre chez moi». Pour un autre «on va aller à Abidjan pour tuer Gbagbo. Et ensuite, on ira ailleurs pour libérer toute l’Afrique», rapporte Le Figaro. Selon Zoom Dosso, notre correspondant à Monrovia, le consul de Côte d’Ivoire au Libéria a attiré l’attention des autorités locales sur le fait que les voitures volées en Côte d’Ivoire sont en libre circulation de l’autre côté de la frontière, et de surcroît avec des plaques d’immatriculation ivoiriennes sans que cela ne choque personne. Le gouvernement libérien aurait réagi en demandant la mise à la fourrière de tout véhicule en provenance de la Côte d’Ivoire.

Charles Taylor attendu à Paris

L’association humanitaire Human rights watch, dans son rapport annuel accuse également le président Charles Taylor de «jouer la carte ethnique en réprimant les membres des ethnies Mandingue, Krahn et Gbandi» qu’il accuse de soutenir la rébellion des Libériens unis pour la réconciliation et la démocratie (Lurd). Rappelons pour mémoire que l’ancien dictateur libérien assassiné, Samuel Doe, était de l’ethnie Krahn. Par ailleurs les Krahn du Libéria sont du même groupe ethnique que les Guere de l’ouest de la Côte d’Ivoire qui, eux, soutiennent Laurent Gbagbo. Une autre considération d’ordre ethnique alimente les accusations contre Charles Taylor. Les rebelles du Mpigo et du MJP, qui se revendiquent de feu le général Robert Guéï, sont comme lui de l’ethnie Yacouba, qui devient Gio au Libéria. Charles Taylor puise dans cette grande famille l’essentiel des forces qui le soutiennent.

Le président Charles Taylor, qui a confirmé sa venue au sommet des chefs d’Etats africains convoqué par la France à Paris, rejette toute accusation d’implication dans le conflit en Côte d’Ivoire. Il reconnaît que des Libériens sont présents dans les forces opposées en Côte d’Ivoire, loyalistes et rebelles, sans que cela n’induise une complicité de quelque nature que ce soit. «Le Libéria a déjà sur les bras la guerre menée par le LURD, et ne soutient pas la guerre en Côte d’Ivoire, nous soutenons l’initiative lancée par la France pour mettre fin au conflit», ajoute le président Taylor.

En marge du conflit en Côte d’Ivoire, le gouvernement libérien a annoncé que la petite ville frontalière de Gbein a subi des attaques de «soldats libériens dissidents revêtus d’uniformes de l’armée ivoirienne». Le gouvernement affirme avoir repoussé les offensives qui ont fait deux morts. «Nous demandons à la côte d’Ivoire des explications concernant cette nouvelle dimension du conflit», précise Reginald Goodridge, le ministre libérien de l’Information. Le président Taylor, pour sa part, annonce son intention de demander à la France «de surveiller ses frontières avec la Côte d’ivoire à l’aide d’hélicoptères».




par Didier  Samson

Article publié le 21/01/2003