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Côte d''Ivoire

Quelques progrès et beaucoup d’obstacles

Les protagonistes de la crise ivoirienne semblent d’accord pour maintenir le code de la nationalité - tout en supprimant la carte de séjour des étrangers établie en 1991 par le Premier ministre Alassane Ouattara - mais aussi sur la naturalisation des étrangers vivant en Côte d’Ivoire avant l’indépendance. Aucun accord ne semble par contre en vue sur la question cruciale du désarmement des rebelles, qui réclament toujours le départ du président Gbagbo.
A Marcoussis on les appelle «esquisses d’accord». Ce sont les rares progrès enregistrés à mi-chemin d’une table ronde qui doit accoucher d’un texte commun d’ici vendredi prochain 24 janvier. Ces esquisses concernent les questions les plus chaudes et controversées ces dernières années: celles de l’ivoirité et de l’éligibilité à la présidence de la République, dénoncées par le parti de l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara (le RDR) et les mouvements rebelles.

Si l’on croit différentes sources, les participants sont tombés d’accord sur un constat: le code de la nationalité, jusque là dénigré par de nombreux «nordistes», ne nécessite aucune modification, même s’il date du 14 Décembre 1961 et a été modifié une seule fois, le 21 décembre 1972. Il s’agit d’une loi qui prévoit notamment la naturalisation des étrangers justifiant de leur résidence en Côte d’Ivoire durant les cinq dernières années, voire deux années seulement pour l’étranger né en Côte d’Ivoire ou marié à une Ivoirienne. Une disposition comparable à celles en vigueur ailleurs en Afrique, mais qui n’a pas été souvent appliquée, tout simplement parce que les intéressés n’ont pas fait la demande de naturalisation.

Autre mesure qui semble faire l’unanimité, la naturalisation exceptionnelle des étrangers résidant en Côte d’Ivoire avant l’indépendance (du 7 août 1960). Ce qui devrait concerner peu d’étrangers et ne risquerait donc pas de bouleverser le paysage électoral ivoirien.

En revanche, contrairement à ce qui avait été avancé samedi dernier, aucun accord n’est intervenu sur l’éventuelle naturalisation exceptionnelle des étrangers nés en Côte d’Ivoire entre 1960 et 1972. Ceci a été catégoriquement exclu par le porte-parole de Laurent Gbagbo, Toussaint Alain, qui a rappelé que la voie de la naturalisation a toujours existé, à condition toutefois d’en faire la demande.

La carte de séjour serait abolie

Cette question a provoqué une passe d’armes assez significative entre l’ancien Premier ministre (de 1990 à 1993) Alassane Ouattara et l’actuel Pascal N’guessan (FPI). Ouattara a en effet nié être le «père» de la carte de séjour institué en 1991 pour les étrangers: une mesure voulue par le président Houphouët-Boigny et décidée par le Premier ministre de l’époque, après consultation des services techniques, dirigés à l’époque par le ministre Mathieu Ekra. Les déclarations d’Alassane Ouattara ont été aussitôt démenties par Mathieu Ekra lui-même, qui dans un communiqué officiel a rétabli les responsabilités de tout un chacun lorsque le «vieux» Houphouët-Boigny approchait de sa fin.

Cette affaire n’est pas sans importance: l’institution de cette carte de séjour (comparable à celle existante en France) est intervenue au lendemain du recensement de 1988, qui avait provoqué un grand émoi, car il montrait que les étrangers représentaient 28% de la population du pays, tandis que la grande criminalité était officiellement imputée à 80% aux étrangers. Elle devait aussi rapporter gros (environ 22 milliards de francs CFA étaient attendus dans les caisses de l’Etat), car elle n’était vraiment pas gratuite. Ce qui explique aussi pourquoi peu d’étrangers ont demandé à être naturalisés.

En réalité, écrit le quotidien Fraternité Matin, le Premier ministre Ouattara a eu la responsabilité d’appliquer les deux lois portant sur ce qu’on appellera par la suite «ivoirité»: celle sur la carte de séjour des étrangers et celle sur la carte d’identité des Ivoiriens. Deux mesures que tous les participants semblent aujourd’hui décidés à revoir en profondeur, également pour mettre un terme à tous les trafics qui ont prospéré dans ce domaine ces dernières années.

Autre acquis de cette table ronde: l’article 35 de la constitution qui définit les conditions d’éligibilité à la présidence sera modifié. «Il y a pratiquement unanimité pour remplacer la formulation qui précise que pour être président, il faut ‘être né de père et de mère ivoiriens’, par la formulation ‘de père ou de mère’», selon une source citée par l’AFP. De même on devrait supprimer l’alinéa interdisant à un candidat de se présenter s’il s’est auparavant prévalu d’une autre nationalité. Ce qui devrait satisfaire à la fois le RDR d’Alassane Ouattara et les trois groupes rebelles.

Mais le vrai plat de résistance n’est pas encore arrivée sur la table des négociations. Il comprend la demande de démission de Laurent Gbagbo et l’organisation de nouvelles élections présidentielles et législatives, que refuse le président élu en 2000; mais aussi le désarmement et le cantonnement des troupes rebelles: ce qui semblait acquis dès la signature du tout premier accord, à Accra, au Ghana, mais que le MPCI n’a jamais voulu appliquer.

Ces deux questions ont déjà empêché tout accord politique à Lomé, le MPCI ne voulant pas entendre parler de désarmement préalable. Et rien n’indique que cette fois-ci Guillaume Soro - et les deux autres leaders des rebelles - acceptent de déposer les armes. Ce que réclame le gouvernement de Laurent Gbagbo, en rappelant que ce sont les rebelles qui ont mis le feu aux poudres, en déclenchant une rébellion qui a plongé le pays dans une guerre civile larvée qui continue de faire de nombreuses victimes, notamment dans le Grand Ouest du pays que contrôlent les rebelles du MPIGO.



par Elio  Comarin

Article publié le 20/01/2003