Côte d''Ivoire
Ivoirité: un concept devenu une mine flottante
Dix ans après avoir été inventé par le dauphin désigné de Félix Houphouët-Boigny, Henri Konan Bédié, peu après avoir gagné la «guerre tacite de succession» contre le premier ministre Alassane Dramane Ouattara, le concept d’ivoirité continue de diviser les Ivoiriens, mais ne figure toujours pas - et ne figurera sans doute pas - dans la Constitution ni dans le Code de la nationalité du pays. Et ce d’autant plus que tous les délégués présents à Macoussis semblent désormais favorables au maintien du code de la nationalité de 1961, modifié en 1972, même s’ils s’opposent toujours sur son application concrète.
Cette question explosive ne date pas d’aujourd’hui et a même précédé l’accession à l’indépendance de la Côte d’Ivoire. L’exploitation de l’hévéa, du cacao, du café et d’autres produits d’exportation du Sud ivoirien a été dès le départ assurée en grande partie par de la main-d’œuvre «immigrée» originaire du Nord de l’AOF (Afrique occidentale française), c’est-à-dire du Mali, du Burkina, du Niger voire du Nord de la Côte d’Ivoire actuelle. Alors que, par exemple, la frontière entre l’actuel Burkina et la Côte d’Ivoire a changé de façon radicale à plusieurs reprises. Les frontières actuelles, issues de la colonisation, ont établi une coupure culturellement artificielle entre le Nord ivoirien et les pays sahéliens. Ce qui n’a guère gêné le premier président ivoirien, Houphouët-Boigny. Bien au contraire.
Celui-ci - lui même grand propriétaire de cacaoyers - a continué de favoriser l’arrivée de ces «immigrés» pas chers, souples et corvéables, qui ont permis une relative richesse mais aussi des scores quasi plébiscitaires pour le parti du président lors des principaux rendez-vous électoraux de l’ère houphouëtiste. Le tout grâce à des «papiers d’identité» ou des «cartes électorales» tout à fait fantaisistes, qui étaient le plus souvent immédiatement retirées et détruites au lendemain de chaque victoire écrasante. Cette pratique a favorisé le développement d’un véritable trafic de pièces administratives, qui perdure toujours en dépit des tentatives de reforme engagées dès le début des années 90, y compris par le premier ministre Alassane Ouattara.
«Allogènes» contre «autochtones»
Dans ce contexte, tenter de mettre de l’ordre et de permettre à tout un chacun de savoir s’il était «autochtone» ou «allogène» devenait une priorité. La naissance du concept d’ivoirité, tout à fait normal sur le plan administratif voire culturel, a vite été exploité, sur le plan politique comme social, par de nombreux acteurs. Et permis ainsi de nombreux dérapages verbaux, mais aussi des règlements de compte sanglants. «Dans la crise actuelle, écrit le quotidien Soir Info, chaque leader politique présent à Paris à sa part de responsabilité. De Laurent Gbagbo qui, en 1990, avait dénoncé le nomination d’Alassane Ouattara comme premier ministre parce que ‘burkinabè’ qui deviendra paradoxalement son allié en 1995 au sein du Front républicain, à Monsieur Ouattara qui tient vaille que vaille à être candidat à la présidentielle, chose à laquelle il avait renoncé en 1995 parce que «’la loi’ de son pays ne le lui permettait pas, en passant par Henri Konan Bédié, dont le parti en 1990 avait défendu bec et ongles la citoyenneté de M. Ouattara avant de le renier en 1993. Tous doivent prendre conscience du péril qui menace le pays, et mettre par conséquent de l’eau dans leur vin».
Depuis toujours la Côte d’Ivoire applique, contrairement à la France, le droit du sang - et non le droit du sol - comme tous les autres pays d’Afrique. Le code toujours en vigueur - et que les délégués semblent décidés à ne pas changer - stipule qu’est Ivoirien un enfant dont les parents sont ivoiriens, ou dont un seul parent est ivoirien, ou a été adopté par un Ivoirien ; et qu’un étranger peut également devenir ivoirien par naturalisation. Bien entendu, lorsque les années de «vaches maigres» ont commencé, les «allogènes» sont vite devenus des cibles, aux yeux de certains extrémistes. Et ce d’autant plus que des termes comme «dioula» ont commencé à désigner plus généralement, à cause de la langue véhiculaire du même nom - tout ressortissant du nord, sans distinction claire entre le Nord ivoirien et les pays du Nord (Burkina et Mali). Une «confusion» très dangereuse qui n’a pu qu’exaspérer la confrontation sous-jacente depuis toujours.
Plus grave, des politiciens des deux côtés ont à plusieurs reprises utilisé des arguments ethniques, soit pour flatter l’électorat, soit pour dénoncer des «complots» plus ou moins imaginaires. C’est presque une tradition, en Côte d’Ivoire de parler de «complots» à base ethnique : du temps d’Houphouët, trois conspirations imaginaires de ce type, attribuées à trois différentes ethnies - dont les Agni et les Bétés - ont permis des nombreuses purges politiques et quelques «disparitions» retentissantes.
La «mutinerie-rébellion» éclatée le 19 septembre n’est vraiment pas la première du genre. Elle ressemble plus à une réédition de celle dite « du Cheval Blanc » de septembre 2000. Ses principaux protagonistes sont ceux-là mêmes qui ont réussi le «putsch de Noël» de 1999, au profit de Robert Gueï. Tous ces événements tragiques s’expliquent par - et en partie exploitent - le ressentiment profond de nombreux «nordistes», excédés d’être traités en «Ivoiriens de deuxième classe» ou, pire, d’être assimilés aux «allogènes», du moins verbalement. Dans un pays où le verbe est souvent haut en couleur et tranchant.
Conscient de cela, Laurent Gbagbo a lancé en juin 2002 une opération «d’identification de la population» ivoirienne et étrangère, officiellement pour «cerner les flux migratoires, sécuriser l’Ivoirien et mettre en confiance l’étranger». Cela était en cours le 19 septembre dernier.
Aujourd’hui, aucune voix ne s’est apparemment levée, avant ou après le début de la table ronde de Marcoussis, pour réclamer une éventuelle régularisation des quatre millions et plus de ressortissants étrangers, ayant vécu et travaillé en Côte d’Ivoire parfois depuis plusieurs générations. Vraisemblablement parce que tous ou presque sont conscients de la «révolution électorale» que cela entraînerait presque automatiquement. Le président Gbagbo a tout de même proposé, dans son «plan de sortie de crise» un référendum sur «un éventuel passage du droit du sang au droit du sol». Cette proposition sera-t-elle retenue ? Avec quelles conséquences lors du prochain scrutin ?
Enfin, l’ivoirité a souvent été confondue avec la question annexe - mais cruciale - de l’éligibilité à la présidence de la République. En juillet 2000 le général Gueï a fait approuver par référendum une constitution visant à évincer Alassane Ouattara de la présidentielle, pour «nationalité douteuse», en glissant un article précisant qu’il fallait «être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine» - une disposition présente dans presque toutes les constitutions africaines - ; mais aussi qu’il fallait ne s’être jamais prévalu d’une autre nationalité. Faut-il rappeler que cette constitution a obtenu 86% des suffrages, et qu’elle a été approuvée publiquement même par Alassane Ouattara ?
Celui-ci - lui même grand propriétaire de cacaoyers - a continué de favoriser l’arrivée de ces «immigrés» pas chers, souples et corvéables, qui ont permis une relative richesse mais aussi des scores quasi plébiscitaires pour le parti du président lors des principaux rendez-vous électoraux de l’ère houphouëtiste. Le tout grâce à des «papiers d’identité» ou des «cartes électorales» tout à fait fantaisistes, qui étaient le plus souvent immédiatement retirées et détruites au lendemain de chaque victoire écrasante. Cette pratique a favorisé le développement d’un véritable trafic de pièces administratives, qui perdure toujours en dépit des tentatives de reforme engagées dès le début des années 90, y compris par le premier ministre Alassane Ouattara.
«Allogènes» contre «autochtones»
Dans ce contexte, tenter de mettre de l’ordre et de permettre à tout un chacun de savoir s’il était «autochtone» ou «allogène» devenait une priorité. La naissance du concept d’ivoirité, tout à fait normal sur le plan administratif voire culturel, a vite été exploité, sur le plan politique comme social, par de nombreux acteurs. Et permis ainsi de nombreux dérapages verbaux, mais aussi des règlements de compte sanglants. «Dans la crise actuelle, écrit le quotidien Soir Info, chaque leader politique présent à Paris à sa part de responsabilité. De Laurent Gbagbo qui, en 1990, avait dénoncé le nomination d’Alassane Ouattara comme premier ministre parce que ‘burkinabè’ qui deviendra paradoxalement son allié en 1995 au sein du Front républicain, à Monsieur Ouattara qui tient vaille que vaille à être candidat à la présidentielle, chose à laquelle il avait renoncé en 1995 parce que «’la loi’ de son pays ne le lui permettait pas, en passant par Henri Konan Bédié, dont le parti en 1990 avait défendu bec et ongles la citoyenneté de M. Ouattara avant de le renier en 1993. Tous doivent prendre conscience du péril qui menace le pays, et mettre par conséquent de l’eau dans leur vin».
Depuis toujours la Côte d’Ivoire applique, contrairement à la France, le droit du sang - et non le droit du sol - comme tous les autres pays d’Afrique. Le code toujours en vigueur - et que les délégués semblent décidés à ne pas changer - stipule qu’est Ivoirien un enfant dont les parents sont ivoiriens, ou dont un seul parent est ivoirien, ou a été adopté par un Ivoirien ; et qu’un étranger peut également devenir ivoirien par naturalisation. Bien entendu, lorsque les années de «vaches maigres» ont commencé, les «allogènes» sont vite devenus des cibles, aux yeux de certains extrémistes. Et ce d’autant plus que des termes comme «dioula» ont commencé à désigner plus généralement, à cause de la langue véhiculaire du même nom - tout ressortissant du nord, sans distinction claire entre le Nord ivoirien et les pays du Nord (Burkina et Mali). Une «confusion» très dangereuse qui n’a pu qu’exaspérer la confrontation sous-jacente depuis toujours.
Plus grave, des politiciens des deux côtés ont à plusieurs reprises utilisé des arguments ethniques, soit pour flatter l’électorat, soit pour dénoncer des «complots» plus ou moins imaginaires. C’est presque une tradition, en Côte d’Ivoire de parler de «complots» à base ethnique : du temps d’Houphouët, trois conspirations imaginaires de ce type, attribuées à trois différentes ethnies - dont les Agni et les Bétés - ont permis des nombreuses purges politiques et quelques «disparitions» retentissantes.
La «mutinerie-rébellion» éclatée le 19 septembre n’est vraiment pas la première du genre. Elle ressemble plus à une réédition de celle dite « du Cheval Blanc » de septembre 2000. Ses principaux protagonistes sont ceux-là mêmes qui ont réussi le «putsch de Noël» de 1999, au profit de Robert Gueï. Tous ces événements tragiques s’expliquent par - et en partie exploitent - le ressentiment profond de nombreux «nordistes», excédés d’être traités en «Ivoiriens de deuxième classe» ou, pire, d’être assimilés aux «allogènes», du moins verbalement. Dans un pays où le verbe est souvent haut en couleur et tranchant.
Conscient de cela, Laurent Gbagbo a lancé en juin 2002 une opération «d’identification de la population» ivoirienne et étrangère, officiellement pour «cerner les flux migratoires, sécuriser l’Ivoirien et mettre en confiance l’étranger». Cela était en cours le 19 septembre dernier.
Aujourd’hui, aucune voix ne s’est apparemment levée, avant ou après le début de la table ronde de Marcoussis, pour réclamer une éventuelle régularisation des quatre millions et plus de ressortissants étrangers, ayant vécu et travaillé en Côte d’Ivoire parfois depuis plusieurs générations. Vraisemblablement parce que tous ou presque sont conscients de la «révolution électorale» que cela entraînerait presque automatiquement. Le président Gbagbo a tout de même proposé, dans son «plan de sortie de crise» un référendum sur «un éventuel passage du droit du sang au droit du sol». Cette proposition sera-t-elle retenue ? Avec quelles conséquences lors du prochain scrutin ?
Enfin, l’ivoirité a souvent été confondue avec la question annexe - mais cruciale - de l’éligibilité à la présidence de la République. En juillet 2000 le général Gueï a fait approuver par référendum une constitution visant à évincer Alassane Ouattara de la présidentielle, pour «nationalité douteuse», en glissant un article précisant qu’il fallait «être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine» - une disposition présente dans presque toutes les constitutions africaines - ; mais aussi qu’il fallait ne s’être jamais prévalu d’une autre nationalité. Faut-il rappeler que cette constitution a obtenu 86% des suffrages, et qu’elle a été approuvée publiquement même par Alassane Ouattara ?
par Elio Comarin
Article publié le 17/01/2003