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Côte d''Ivoire

Deux «fronts» et quelques «sacrifices»

Le premier tour de table n’a pas été très long, mais il a permis de confirmer les attentes de la veille. La table ronde de Linas-Marcoussis est d’ores et déjà entrée dans le vif des sujets à traiter et a permis aux observateurs de constater que deux «fronts diplomatiques» se dégagent désormais: les «légalistes» proches de Gbagbo (FPI et PDCI plus les autres petits partis), et les «rebelles» (plus le RDR) partisans d’ores et déjà de «l’après-Gbagbo».
Les «légalistes», qui ne comptent pas remettre en cause les rares acquis du pays, à commencer par les élections présidentielles, législatives et municipales, rappellent volontiers que ce sont les rebelles qui ont pris les armes, et mis le feu au pays. Pour le FPI, le PDCI et, bien entendu, le président Laurent Gbagbo, il ne saurait donc être question d’accepter de remettre en cause le résultat de ces élections, même si elles se sont déroulées dans un contexte «catastrophique». Pour eux, il est de plus urgent d’appliquer les accords d’Accra, qui prévoient le désarmement et le cantonnement des forces rebelles. Le premier ministre Pascal N’guessan excluant toute remise en cause de la Constitution.

En face, un front semble désormais constitué entre les trois mouvements rebelles -dirigés de facto par le MPCI de Guillaume Soro- et le RDR d’Alassane Ouattara. Pour Soro, la revendication principale demeure le départ de Gbagbo et des élections anticipées; tandis que pour Ouattara les élections doivent avoir lieu «aussi vite que possible». De plus, la refonte de la Constitution ou des lois portant sur l’éligibilité du président, la nationalité ou la propriété foncière est, à leurs yeux, incontournable.

Apparemment l’impasse paraît totale entre ces deux «blocs». Et pourtant, quelques «pistes» permettant de débloquer les négociations sont d’ores et déjà à l’étude. A commencer par la question la plus chaude: celle des élections anticipées et de «l’après-Gbagbo». Les prochaines échéances électorales étant fixées pour octobre 2005, ne restent qu’environ deux ans et demi pour les préparer, à l’issue d’un éventuel accord signé à Paris. Ce qui, au vu du travail de refonte administrative restant à accomplir, pourrait se révéler tout à fait nécessaire voire insuffisant. Car, il pourrait s’agir d’une véritable «révolution», notamment en matière de nationalité et d’éligibilité, nécessitant de passer par différents référendums.

Un Premier ministre non FPI ?

Dans ces domaines, il est intéressant de noter que sur le «plan de sortie de crise» mis au point par le président Gbagbo à la veille de la table ronde figurent nommément trois référendums (sur la propriété foncière, la nationalité et l’éligibilité au poste de président), ainsi que la création d’un comité d’éthique chargé de soumettre une liste de personnalités éminentes souhaitant acquérir la nationalité ivoiriennes, et la suppression pure et simple de la carte de séjour instituée en 1991 «qui a amplifié les exactions administratives contre une partie de la population». Sans parler de la restructuration de la Commission électorale indépendante.

Laurent Gbagbo semble disposé à prendre en compte toutes ces reformes, et ce d’autant plus qu’il n’est guère responsable du chaos administratif actuel, ni du trafic de carte de séjour et de papiers d’identité qui s’amplifie en Côte d’Ivoire. Une situation qui ne peut qu’empirer dans un pays qui compte plus d’un quart de ressortissants étrangers ou d’origine étrangère, qui en grande partie auraient dû être naturalisés dans le passé; mais que le président Houphouët-Boigny a préféré accueillir et exploiter, y compris sur le plan électoral, en leur fournissant des papiers d’identité provisoires, qui ont été détruits immédiatement après les principales élections.

Dans ce contexte une idée semble pouvoir faire son chemin: l’élection, au suffrage universel, en bonne et due forme et à la date prévue, d’une véritable Assemblée constituante chargée de sanctionner les acquis de la négociation en cours et inaugurer une nouvelle période dans l’histoire du pays.

Autre sujet délicat: un éventuel «gouvernement de transition» véritablement d’union national que réclame la rébellion et le RDR mais que le pouvoir repousse catégoriquement. Et pourtant, Gbagbo lui même a parlé de «gouvernement de rassemblement et de réconciliation», dans son «plan de sortie de crise». La marge de négociation entre ces deux formules ne semble vraiment pas insurmontable. Ce sera vraisemblablement l’une des tâches des «coordonnateurs» non ivoiriens de cette table ronde. Selon une source proche des négociations, si les rebelles et le RDR renoncent à réclamer des élections anticipées, le gouvernement de Gbagbo pourrait accepter la constitution d’un gouvernement d’union national élargi à toutes les sensibilités.

Question: qui dirigera ce nouveau gouvernement ? Le gouvernement français, qui demeure toujours attaché au principe de la légalité constitutionnelle, pourrait demander au président Gbagbo de consentir un petit sacrifice: à savoir que ce gouvernement ne soit pas dirigé par un membre du FPI, le parti de Gbagbo, que préside justement l’actuel premier ministre, Pascal N’guessan. Est-ce à dire que celui-ci risque désormais de devenir la première victime collatérale des négociations en cours ?

Celles-ci ne font que commencer, mais on voit mal comment la quarantaine de participants à cette table ronde cruciale pourrait rentrer à Abidjan -ou à Bouaké- sans avoir signé ne serait-ce qu’un semblant d’accord politique.



par Elio  Comarin

Article publié le 16/01/2003