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Irak

Pourquoi la Syrie est contre la guerre

Lors de la première guerre du Golfe, en 1991, la Syrie avait assuré avec l’Egypte la couverture arabe indispensable à la mise sur pied d’une coalition internationale pour chasser l’armée irakienne du Koweït. Aujourd’hui, douze ans après, Damas s’oppose fermement à l’option militaire défendue par les Etats-Unis. Des raisons politiques, géopolitiques et économiques vitales pour la Syrie, expliquent cette attitude.
De notre correspondant à Beyrouth,

Depuis que les dirigeants syriens sont convaincus de la volonté ferme des Etats-Unis de renverser militairement le régime irakien, ils ont mobilisé à fond leur diplomatie pour tenter, dans le meilleur des cas, d’éviter la guerre et, dans le pire, d’en contrôler les retombées sur les pays du Proche-Orient. La réunion, ce jeudi, à Istanbul des ministres des Affaires étrangères d’Arabie Saoudite, de Syrie, de Turquie, d’Iran, de Jordanie et d’Egypte pour faire pression en faveur d’une solution pacifique à la crise américano-irakienne, est sans doute le premier résultat de l’intense activité diplomatique déployée par Damas et Ankara dans ce sens. Les visites de responsables et émissaires syriens dans de nombreuses capitales arabes et occidentales et les mises en gardes quasi-quotidiennes du président Bachar el-Assad contre les conséquences incalculables d’une invasion de l’Irak illustrent ces inquiétudes.

Pour la Syrie, qui a activement participé sur le plan militaire à la libération du Koweït, les circonstances politiques sont aujourd’hui complètement différentes de celles qui prévalaient en 1991. D’abord, les Arabes rejettent presque unanimement le recours à l’option militaire, alors qu’il y a douze ans ils avaient pratiquement tous participé, à divers degrés, à la coalition internationale placée sous l’égide de l’Onu. La légitimité nécessaire à une action militaire fait donc défaut.

Mais des raisons encore plus profondes expliquent l’attitude de Damas. Les responsables syriens pensent que le renversement par des moyens militaires du régime irakien est un dangereux précédent qui pourrait être réédité contre n’importe quel Etat de la région qui refuserait de s’aligner sur la politique américaine. Soutien au terrorisme, développement d’armes de destruction massive ou tout simplement absence de démocratie pourraient ainsi servir de prétexte à une action militaire lancée par l’Amérique.

Dimensions ethnique et économique

Malgré ses multiples divergences politiques avec l’Irak, la Syrie estime que le renversement de Saddam Hussein et son remplacement par un gouvernement pro-américain affaiblirait davantage la position des Arabes lors des négociations de paix qui devront reprendre tôt ou tard avec Israël. Et ce n’est pas tout. Dès le départ, Damas a insisté sur la nécessité de préserver l’unité et l’intégrité territoriales de l’Irak. Or les orientations fédéralistes de l’opposition irakienne qui ont clairement été exprimées lors du congrès de Londres ont alarmé les dirigeants syriens. Un Irak démembré, formé de trois entités, chiite, kurde et un mélange de sunnites et de populations turcophones, est une menace de déstabilisation pour la Syrie, elle-même constituée d’une mosaïque de communautés ethnique et religieuse.

La Syrie aussi a son problème kurde. Au nombre de 1,7 millions, ceux-ci représentent environ 12% de la population et sont concentrés principalement dans la région de Jezireh, d’où provient l’essentiel du pétrole et du gaz. C’est sans doute pour prévenir le réveil d’un nationalisme inactif depuis des décennies que les autorités étudient la possibilité d’octroyer la nationalité à 250 000 kurdes apatrides, appelés maktoumine. Il s’agit de kurdes privés de leur nationalité en 1962 sous prétexte qu’ils sont des réfugiés turcs entrés illégalement en Syrie.

A tous ces arguments, politiques et géopolitiques, qui expliquent l’opposition syrienne à un renversement par la force du régime irakien s’ajoute une raison d’ordre économique. Ces cinq dernières années, Bagdad est devenu le principal partenaire économique et commercial de Damas. Le pétrole irakien coule à flot en Syrie. Acheté à des prix symboliques, il sert à approvisionner le marché local, alors que le pétrole syrien est écoulé sur les places mondiales aux cours normaux. De plus, les industries agroalimentaires, textiles et pharmaceutiques syriennes ont décroché des contrats juteux dans le cadre des accords «pétrole contre nourriture». Le volume des échanges bilatéraux dépasserait les trois milliards de dollars par an.

Pragmatique comme il l’est, le régime syrien n’en ménage pas moins une porte de sortie. Parallèlement à sa campagne anti-guerre, il poursuit ses contacts avec les Etats-Unis. Le dialogue informel engagé entre les deux pays au lendemain des attentats du 11 septembre s’est poursuivi à Damas, du 6 au 9 janvier, après une première phase organisée à Huston, aux Etats-Unis, en mai 2002. Présidé coté américain par Edwards Djerdjian, ancien ambassadeur à Damas et actuel directeur d’un centre de recherché et, coté syrien, par Walid Moallem, ex-ambassadeur à Washington, ce dialogue vise à trouver un terrain d’entente sur les principales questions de l’heure: terrorisme, conflit israélo-arabe, démocratie.
C’est sans doute pour avoir évoqué cet autre aspect de la politique de Damas en dévoilant les préparatifs syriens pour accueillir des centaines de milliers de réfugiés irakiens en cas de guerre que le correspondant du Hayat, Ibrahim Hamidi, a été dernièrement emprisonné.



par Paul  Khalifeh

Article publié le 23/01/2003