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Iran

La perspective d’une guerre inquiète Téhéran

Partagé entre son désir de voir l’Irak débarrassé de Saddam Hussein et la crainte d’être le prochain objectif américain, l’Iran se prépare à faire face aux conséquences d’une guerre en Irak.
De notre correspondant à Téhéran

«Les Américains ont fait savoir aux dirigeants iraniens que l’Iran et les Etats-Unis avaient des intérêts communs en Irak et que l’Iran avait pâti du régime dictatorial en Irak. Ils ont affirmé que les intérêts iraniens ne seront pas mis en cause et que les Américains ne feront rien contre l’Iran et sont prêts à donner toutes les garanties», a affirmé le dirigeant de l’opposition kurde irakienne, Jalal Talabani, lors d’une conférence de presse à Téhéran. C’est la première fois qu’il y a un tel «message de garantie» des Américains à l’égard de Téhéran, qui a montré à de nombreuses reprises son inquiétude à l’égard d’une action militaire américaine en Irak.
En effet, le président américain a placé l’Iran parmi les pays de l’axe du mal en janvier 2002 alors que Téhéran avait montré des signes de bonnes volontés en coopérant étroitement dans la guerre contre les Talibans en Afghanistan mais aussi pour faciliter l’arrivée au pouvoir de Hamid Karzaï, protégé des Américains. Les relations entre Téhéran et Washington sont rompues depuis 1980.

Interrogé à propos de la réaction américaine, Jalal Talabani a affirmé que les «Iraniens n’avaient pas été convaincus». «C’est à eux de dire s’ils prennent au sérieux le message. Je ne suis pas là pour les convaincre, mais je pense que le message est sérieux et doit être considéré», a-t-il ajouté.

Même s'il voit d'un bon oeil la chute de Saddam Hussein, qui avait déclenché en 1980 la longue et meurtrière guerre contre l’Iran, qui a duré huit ans et fait un million de morts selon les estimations, les dirigeants iraniens ont constamment dénoncé toute opération militaire américaine unilatérale. «Les nations musulmanes ne laisseront pas les Etats-Unis avaler aussi facilement l’Irak et ses puits de pétrole», vient de déclarer le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khameneï.

Neutralité active

Allant dans le même sens, l’ancien président Ali Akbar Hachemi Rafsandjani a surenchéri en affirmant lors de la prière du vendredi de Téhéran qu’«un gouvernement pro-américain ne tiendra pas longtemps en Irak». «Si les Américains réussissent à mettre en place leur petit gouvernement en Irak comme ils l’ont fait en Afghanistan, s’ils ne tiennent pas compte des intérêts des Irakiens, de l’Islam, des Palestiniens et volent le pétrole irakien, ils ne tiendront pas longtemps», a martelé l’ancien président Rafsandjani, resté un personnage clé au sein du pouvoir iranien. «Mort à l’Amérique !» a scandé en réponse la foule des fidèles.

Il y a deux mois, les Iraniens ont affirmé qu’ils observeraient en cas de conflit une politique de «neutralité active». Ce qui signifie que Téhéran ne participera pas à une éventuelle guerre contre l’Irak et ne se rangera pas non plus aux côtés de l’Irak contre le «grand Satan américain». Téhéran a multiplié les contacts diplomatiques pour «trouver une solution pacifique à la crise irakienne». Un nouveau ballet diplomatique est prévu dans les prochains jours à Téhéran. Les ministres koweïtiens des Affaires étrangères et du Pétrole, cheikh Sabah al-Ahmed Al-Sabah et cheikh Ahmed Fahd Al-Sabah, le Premier ministre turc Abdullah Gul et le président syrien Bachar al-Assad sont ainsi attendus au cours de la semaine à venir.

Les craintes de Téhéran sont justifiées. En effet, en prenant pied en Irak, les Américains finiront pas encercler totalement l’Iran. En effet, ils sont déjà présents militairement dans pratiquement tous les pays frontaliers de l’Iran. Surtout, on estime à Téhéran que la présence militaire américaine dans le golfe Persique sera maintenue à niveau élevé après la fin d’une éventuelle attaque militaire et le renversement du régime de Saddam Hussein. Ces derniers mois, de nombreux dirigeants iraniens ont répété qu’après l’Irak, «les États-Unis se retourneront contre l’Iran». Ce qui explique la méfiance des Iraniens à l’égard des déclarations apaisantes des États-Unis.

Il n’empêche, Téhéran tente tant bien que mal de préparer l’après-Saddam. Avant Jalal Talabani, qui a effectué une visite de cinq jours qualifiée d’«officielle», plusieurs hauts dirigeants de l’opposition irakienne, notamment Massoud Barzani, chef du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), et Ahmed Chalabi, président du Congrès national irakien (CNI), étaient venus en décembre 2002 à Téhéran pour rencontrer des responsables iraniens. Ils avaient aussi mené des discussions avec l’ayatollah Mohammad Baqr Hakim, le chef de l’Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak (ASRII), qui se trouve en exil en Iran depuis plus de vingt ans. Les opposants chiites irakiens possèdent une petite armée, la «brigade Badr», basée en Iran et forte de 10 000 à 15 000 hommes selon les estimations occidentales.

L’Iran compte aussi sur ses liens historiques avec les opposants irakiens –en particulier chiites et kurdes– pour tenter d’influencer le cours des choses au moment fatidique.



par Siavosh  Ghazi

Article publié le 11/01/2003