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Iran

L’éminence grise de Khatami juge l’attitude américaine

Mohammad Ali Abtahi est sans doute l’un des hommes les plus proches du président Khatami. Pendant le premier mandat présidentiel, il était son chef de cabinet. Depuis un an, il a été nommé au poste de vice-président, chargé des affaires juridiques et des relations avec le parlement. Fin connaisseur du monde arabe –il a passé plusieurs années au Liban– Mohammad Ali Abtahi est aussi l’émissaire privilégié du président Khatami dans les affaires sensibles concernant le monde arabe.
RFI: Quelques heures seulement après les attentats du 11 septembre, le président iranien a envoyé un message au peuple américain pour les condamner. Est-ce que c’était là la seule position du pays ?
Mohammad-Ali Abtahi: La position de l’Iran était claire de deux point de vue. Tout d’abord, sur le plan philosophique, la religion que le président Khatami défend et prône est un islam qui condamne les actes terroristes et la violence. Ce mouvement philosophique existe depuis des années chez les intellectuels du monde musulman. En revanche, un autre courant de pensée s’opposait à cette tendance et justifiait le terrorisme au nom de l’islam. Cette lutte à l’intérieur de l’islam existait mais je pense que ces dix dernières années, c’est la première tendance tolérante et hostile au terrorisme et à la violence, qui avait pris le dessus. C’est pourquoi le président Khatami, en s’appuyant sur cette pensée philosophique, devait condamner tout acte terrorisme et plus particulièrement lorsqu’un acte terroriste est commis au nom de l’islam car non seulement il vise des innocents mais de plus il ternit l’image et la vision tolérante de l’islam, une religion qui à notre avis peut régler de nombreux problèmes.

RFI: Mais d’autres se sont réjouis des attentats et affirmaient dans la presse conservatrice que le 11 septembre était le prélude à l’effondrement et la disparition de l’empire américain ?
M-A A:
Ceux qui sont hostiles à la politique des Etats-Unis dans le monde musulman se sont peut-être, par réaction à l’attitude arrogante des Etats-Unis, réjouis de ce que l’Amérique soit devenue vulnérable, mais je ne pense pas que cela soit un soutien à Ben Laden et au terrorisme de Ben Laden.


RFI: Beaucoup comparent le 11 septembre à des événements comme la Seconde Guerre mondiale ou la chute du mur de Berlin, qui ont modifié la carte et les relations dans le monde. Quel changement a apporté le 11 septembre pour l’Iran, à la fois sur le plan intérieur et extérieur ?
M-A A:
Je suis d’accord pour dire qu’il s’agit d’un des événements les plus importants du monde. C’est pourquoi, on ne peut que le regretter encore avec plus de force. Nous avions tendance à penser au départ que les Etats-Unis réagiraient avec plus de sagesse et de raison car c’était la première fois qu’il y avait un front commun mondial contre le terrorisme. Au lieu de chercher à se venger, les Etats-Unis auraient dû chercher à créer un monde sans terrorisme et mettre en place une sorte d’union stratégique contre le terrorisme notamment en utilisant les Nations unies. Malheureusement, ni en ce qui concerne l’Afghanistan, ni en particulier en ce qui concerne la Palestine, cette voie n’a été choisie. En ce qui concerne la Palestine, on peut penser que les Américains agissent en tenant compte seulement des intérêts israéliens et cela est une erreur.
Indéniablement, cet événement a eu des effets sur l’Iran. Certes, le mouvement de Ben Laden qui est à l’origine de ces attentats n’a jamais eu de bonnes relations avec l’Iran. Bien au contraire. Lorsqu’ils ont conquis l’Afghanistan, les talibans ont tué nos diplomates et nous étions au bord de la guerre avec eux. Sur le plan de pensée, il y a des divergences importantes. L’Alliance du nord bénéficiait du soutien de l’Iran.
Tout cela aurait pu aider l’Iran sur la scène internationale. Mais dans la mesure où l’Iran s’oppose à Israël et dans la mesure où les Israéliens ont une influence importante sur les dirigeants américains, ces derniers n’ont pas compris ou voulu comprendre ces réalités. Le discours du président Bush, qui a rangé l’Iran parmi les pays de l’axe du mal était pour nous très surprenant car nous avions joué un rôle positif en Afghanistan. Un discours d’autant plus surprenant que l’Iran est un des rares pays de la région qui est en train de faire l’apprentissage de la démocratie.

RFI: Est-ce une nouvelle occasion manquée de renouer les relations Etats-Unis/Iran ?
M.A A:
Je suis d’accord pour dire que nous avons perdus des occasions. Plus particulièrement pendant l’administration précédente (NDLR: la présidence Clinton). Mais à cause de certaines réalités intérieures iraniennes, nous n’avons pas pu utiliser ces occasions. Mais cette fois-ci, je pense que le ton du président Bush était inacceptable et tous les groupes et toutes les tendances se sont retrouvés pour s’opposer à cette politique. Je pense que ceux qui dessinent la politique américaine ont une vision israélienne du Proche-Orient et de l’Iran et cela est un vrai problème. A cause justement de l’action et du rôle que nous avons joué en Afghanistan, le discours du président Bush était réellement surprenant.

RFI: Les Etats-Unis accusent régulièrement l’Iran de coopérer avec le groupe Al-Qaïda. Le gouvernement iranien a annoncé il y a quelques mois l’arrestation de 150 personnes liées à Al-Qaïda et a remis ces personnes à leur gouvernement respectif. Mais certaines sources font état d’un nombre plus important de personnes liées à Al-Qaïda, arrêtées en Iran… Qu’en est-il exactement ?
M-A A:
Par principe, ceux qui pensent aux intérêts ne peuvent avoir des relations avec le groupe d’Al-Qaïda, car ce groupe, politiquement, mais aussi sur le plan philosophique était hostile à l’Iran. Mais dans le même temps, il ne faut oublier que nous avons une longue frontière avec l’Afghanistan. De même que nous n’avons jamais réussi à empêcher le trafic de drogue depuis l’Afghanistan, nous n’avons pas non plus pu empêcher la fuite des membres et des proches d’Al-Qaïda depuis l’Afghanistan. Mais ce qu’il savoir c’est qu’ils n’ont pas été invités à venir en Iran. Nous n’avons pas gardé ces gens en Iran et régulièrement nous avons remis ces personnes à leur pays d’origine.



par Propos recueillis par Siavosh  Ghazi à Téhéran

Article publié le 11/09/2002