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Iran

Les conservateurs passent à l’offensive

Les Pasdarans (Gardiens de la révolution) interviennent dans le débat politique pour dénoncer les réformateurs qu’ils accusent de regarder vers les Etats-Unis. Les conservateurs lancent une offensive contre les proches du président Khatami.
De notre correspondant à Téhéran

Moins de deux jours après la manifestation anti-américaine de vendredi dernier, qui devait marquer selon ses organisateurs l’unité des différentes tendances du régime et de la population face aux menaces américaines, les conservateurs ont lancé une virulente attaque contre les modérés proches du président Khatami.

Pour la première fois depuis trois ans, le «Corps des Gardiens de la Révolution islamique», les fameux Pasdarans, l’armée révolutionnaire et idéologique du pouvoir créée au lendemain de la révolution islamique de 1979, a publié un communiqué pour dénoncer les réformateurs qui «font le jeu des ennemis de la révolution», c’est-à-dire les Etats-Unis.

«Alors que les Américains menacent directement notre pays, certains groupes, qui ont pu prendre des responsabilités au sein du pouvoir, font le jeu de l’ennemi et menacent l’unité de notre peuple. Ils veulent détruire le caractère islamique de notre régime. Ils parlent de la liberté pour les jeunes filles et garçons de se fréquenter et veulent légaliser l’utilisation des paraboles. Ces derniers mois, ils ont ouvertement défendu la prostitution et la corruption sociale», affirme le communiqué des Pasdarans.

«Sur le plan de la politique étrangères, ces groupes s’opposent à la ligne révolutionnaire et, par exemple, en ce qui concerne la Palestine, qui est un enjeu stratégique, parlent de compromis avec les sionistes», ajoute le communiqué, avant d’affirmer que les Pasdarans sont prêts à «défendre les valeurs de la révolution».

Une intervention des militaires dans le débat politique

Les réformateurs ont violent réagi à ce communiqué. «Cette position représente le point de vue d’une petite minorité au sein des Pasdarans. La majorité des Gardiens de la révolution ont montré lors des élections passées, qu’ils étaient favorables aux réformes,» a affirmé Mohammad Reza Khatami, frère du président iranien et chef du Front de la participation, principal parti réformateur au sein du parlement.

De nombreux députés ont dénoncé l’intervention des militaires dans le jeu politique. Une centaine de parlementaires ont demandé des explications au ministre de la Défense. En dénonçant aussi violemment le communiqué, les réformateurs veulent sans doute empêcher que ce communiqué devienne un précédent et éviter que dans le futur les militaires interviennent aussi directement dans le débat politique.

Ce communiqué a été publié alors que depuis un mois plusieurs affaires sont venues attiser les tensions entre les deux principales tendances du pouvoir iranien. Il y a tout d’abord, le discours de Hashem Aghajari, un intellectuel musulman, qui a attaqué le clergé conservateur. Le 19 juin dernier, devant un parterre d’étudiants, il avait déclaré que les musulmans "n'avaient pas à suivre aveuglement (...) un chef religieux". «Seuls les singes imitent les autres» avait affirmé Hashem Aghajari. Il avait également affirmé que certains religieux voulaient à tout prix garder le pouvoir. Enfin, il avait prôné une sorte de «protestantisme islamique». Ce fut un tollé chez les conservateurs, qui ont comparé Hashem Aghajari à Salman Rushdie. Ancien combattant, qui perdu une jambe durant la guerre Iran-Irak, Hashem Aghajari a été convoqué par la justice pour «propagande anti-islamique».

Comme si cela ne suffisait pas, il y a eu ensuite la démission fracassante de l’ayatollah Tahéri, qui dirigeait depuis trente ans la prière du vendredi de la ville d’Ispahan. L’ayatollah Tahéri a été l’un des proches compagnons de l’imam Khomeiny, le fondateur de la République islamique. Dans sa lettre de démission, publiée le 11 juillet dernier, il dénonçait la corruption généralisée, la répression politique et le traitement réservé à l’ayatollah Montazeri, l’ancien dauphin de l’imam Khomeiny, écarté du pouvoir en 1988 et qui vit en résidence surveillée depuis plus de quatre ans. «Jusqu’à quand, vous allez répéter des discours creux, dépenser l’argent du peuple au profit de vos proches et de ceux qui vous entourent. L’athéisme, le chômage, l’inflation, l’écart social entre riches et pauvres, l’économie malade, la corruption, la prostitution, la drogue qui rongent notre pays, sont comme l’eau derrière le barrage, qui, à tout moment, risque de céder et précipiter le pays vers l’abîme», avertissait l’ayatollah Tahéri.

Ces affaires n’ont fait qu’attiser encore un peu plus la tension entre réformateurs et conservateurs, sans que personne sache exactement si le fossé grandissant entre les deux principales tendances pourra être comblé.



par Siavosh  Ghazi

Article publié le 22/07/2002