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Côte d''Ivoire

La discrétion des députés français

Si tous semblent d’accord sur la première partie de l’intervention française, la partie militaire, les résultats de la négociation politique en laissent certains perplexes, voire franchement colère. Mais globalement, ils adoptent une attitude prudente et réservée qui pourrait bien trahir leur embarras. Reste que la dégradation de la situation et la menace qui pèse sur les ressortissants français pourraient hâter un débat qui n’a pas été réclamé jusqu’alors.
Les différentes tendances de la classe politique française sont au moins d'accord sur un point essentiel : intervenir en Côte d’Ivoire était une nécessité. D’un bout à l’autre de l’échiquier, aucun des députés rencontrés à l’Assemblée cette semaine ne s’élève contre la gestion militaire de la crise par les soldats français et tous se félicitent de la qualité du travail accompli dans les circonstances difficiles que l’on sait. «Eviter l’écroulement du pays» est l’argument central du discours, étayé selon les sensibilités par «l’Histoire», la «tradition», le «rôle», les «responsabilités particulières» de la France dans la région et les traités qui l’engagent. Et même les habituels pourfendeurs de la politique étrangère de la France considèrent, à l’instar de l’écologiste Noël Mamère, que cette intervention «n’est pas une action condamnable, loin de là».

Le député de l’Union pour la majorité présidentielle (UMP), Jacques Myard, qui participa aux travaux de la Mission d'information parlementaire sur le Rwanda, déclare notamment que cette implication est la conséquence d’une demande des autorités afin de «ne pas laisser la Côte d’Ivoire aller à vau l’eau». Le communiste Maxime Gremetz et le vice-président du groupe parlementaire UMP Claude Goasguen insistent tous deux sur le devoir de protection à l’égard des ressortissants français expatriés. Maxime Gremetz insiste également sur l’impartialité des troupes françaises dans l’accomplissement de leur mission : «Si la France intervenait et prenait partie, là j’interviendrais», prévient-il.

Il règne donc une sorte d’Union sacrée inhabituelle dans l’hémicycle républicain. Unanimité ou autocensure à l’égard d’une question aux conséquences imprévisibles ? «Il y a consensus», affirme en chœur le député, et ancien ministre de la Coopération, Jacques Godfrain et Jacques Myard. Et si l’on pointe l’absence de débat, ce dernier souligne que, contrairement à l’Irak, la Côte d’Ivoire ne constitue pas un risque de guerre à l’échelle planétaire. De plus, selon lui, «il y a eu une prise de conscience (de la gravité et des enjeux du problème, NDLR) grâce à l’action du gouvernement», tandis que pour Maxime Gremetz «en pleine crise il n’est pas sérieux que l’opposition critique» les efforts de l’exécutif : «Je laisse la diplomatie française agir», précise-t-il. Il s’est bien produit, face aux événements, «un phénomène de solidarité», conclut Claude Goasguen.

«La Côte d’Ivoire aurait mérité un débat»

Cette unanimité s’est traduite tout au long de ces derniers mois par une absence de débat qui, justement, finit par attirer l’attention. Et c’est lorsqu’on commence à aborder la question de savoir si ce consensus doit priver le peuple français d’un débat parlementaire, alors que son armée est engagée à l’étranger, que les premières lignes de fracture apparaissent. Certes personne ne soutient publiquement que la discussion ne doit pas avoir lieu, mais rien ne presse pour Claude Goasguen : «Le débat, dit-il, doit s’organiser dès que la situation sera éclaircie». De son côté Jacques Godfrain estime qu’il a déjà eu lieu car «le ministre des Affaires étrangères est venu évoquer à plusieurs reprises la question» devant les députés depuis le début de la crise. En revanche, c’est dans ce domaine que les critiques commencent à apparaître au sein de l’opposition. Oui, déclarent Noël Mamère et Philippe de Villiers, il y a deux poids deux mesures entre le traitement des conflits irakien et ivoirien à l’Assemblée. «On a le sentiment que la représentation nationale considère la Côte d’Ivoire comme un domaine réservé», déclare le premier, alors que pour le second convient qu’il règne une certaine forme d’autocensure au sein de l’hémicycle «qui vient d’un désintérêt pour l’Afrique et de la perte du statut de puissance mondiale de la France». Pourtant, «la Côte d’Ivoire aurait mérité un débat (…) Une situation qui engage les troupes françaises doit faire l’objet d’un débat», affirme le député Vert de Gironde, renvoyant à la presse la responsabilité de ne pas l’avoir favorisé.

La frontière du consensus s’arrête là. Au-delà, lorsqu’on aborde l’aspect politique de la question et les événements qui ont marqué la semaine écoulée, on ressent un vrai flottement dans les couloirs de l’Assemblée. Tous partent sensiblement du même constat que l’intervention initiale était utile et souhaitable. Sur le plan politique, la formule de Claude Goasguen selon laquelle : «Le président Gbagbo doit respecter les accords de Marcoussis» semble également partagée par l’essentiel des députés. Mais il circule en revanche des positions qui peuvent être radicalement différentes sur la suite des événements. La ligne de fracture s’établit au lendemain de la signature des accords de Marcoussis, lorsque le gouvernement a été formé et annoncé à Paris. «La France a eu raison d’organiser Marcoussis», déclare Noël Mamère, tandis que le député socialiste Henri Emmanuelli admet : «Jusqu’à Marcoussis, d’accord». Mais tous deux ne tirent pas les mêmes conséquences de l’épisode suivant. Face à la vive réaction d’Abidjan le premier parle de «remise au pas démocratique de Gbagbo pour que la Côte d’Ivoire ne devienne pas un Rwanda», alors que le second déplore la méthode qui a accouché de la situation en cours. Henri Emmanuelli déclare ne pas comprendre comment on a pu confier des fonctions aussi importantes à des rebelles, consacrant ainsi la suprématie des fusils sur les urnes. «La politique française pose question», fulmine le député des Landes qui ne cache pas son amitié pour le chef de l’Etat ivoirien avec lequel il entretient une solidarité militante de très longue date.

Entre ces deux positions radicalement antagonistes, des voix médianes s’élèvent. Elles traduisent l’embarras face à la dégradation. «Si l’accord ne convient pas, il faut revoir la copie», tente Maxime Gremetz. «Peut-être faut-il reprendre ce qui a été fait ?», s’interroge Jacques Godfrain qui, avec Jacques Myard, appellent plutôt à un réinvestissement de la France dans la région par le biais de l’aide au développement.



par Georges  Abou

Article publié le 30/01/2003