Côte d''Ivoire
L’accord à l’épreuve de la rue
En l’espace de quelques jours la nature du pouvoir ivoirien s’est radicalement transformée. Lors des négociations de Paris, le centre de gravité du pouvoir exécutif ivoirien s’est déplacé vers des autorités de transition mal acceptées pour la rue abidjanaise. Aucun blessé n’est à déplorer mais de très violentes manifestations anti-françaises ont eu lieu ce week-end dans la capitale économique. Les bâtiments symbolisant les intérêts de la France ont été attaqués et pillés. «La France attend des autorités ivoiriennes qu’elles assurent l’ordre public», a indiqué le porte-parole adjoint du ministère des Affaires étrangères. Le président Gbagbo, rentré en toute hâte dimanche soir, doit s’adresser à son peuple dans la soirée.
Il règne toujours une vive tension à Abidjan ce lundi. Des centaines de jeunes ivoiriens étaient dans les rues de la ville, pierres et gourdins à la main, prêts à manifester à nouveau contre les décisions prises à Marcoussis lors de la table ronde et lors du sommet de Paris. Et prêts, surtout, à s’en prendre aux symboles de la présence et des intérêts français en Côte d’Ivoire. Pour les sympathisants du pouvoir, les résultats de la table ronde et l’annonce de l’attribution de deux ministères-clefs à la rébellion a sonné comme une trahison… française! Ce week-end, l’ambassade de France et la base militaire française ont été attaquées. Le centre culturel français, des commerces et des logements de Français ont été saccagés.
C'est une semaine pleine d'incertitude qui s'ouvre pour la Côte d'Ivoire. L'accord obtenu à l'arraché en France doit à présent passer l’épreuve de la rue abidjanaise. Et, après avoir lui-même reconnu qu’il n’avait pas gagné la guerre, la partie politique qui s’engage est loin d’être gagnée pour le président Gbagbo. Les émeutes anti-françaises qui ont eu lieu ce week-end dans la capitale économique ivoirienne à l’annonce des profondes réformes à venir, ont donné la mesure de l’exacerbation des sentiments et de l’état d’esprit des partisans les plus convaincus du régime. Ils ne digéreront pas facilement les conclusions d’un accord qui, d’une certaine manière, place l’exécutif ivoirien sous tutelle.
En effet ceux qui ont accompagné Laurent Gbagbo tout au long de sa marche vers le pouvoir peuvent ressentir une légitime frustration face à l’évolution des événements. Après une longue traversée du désert et le franchissement de multiples embûches, il est désormais un président qui ne préside plus véritablement. Au cours de ces prochaines années, jusqu’aux prochains scrutins, son rôle, qu’il semble accepter pour le moment, sera de conduire une transition destinée à sauver l’essentiel: la Côte d’Ivoire en tant que pays. Mais rien de plus, surtout. En consentant à ne pas démissionner il a accepté devant ses pairs et ses parrains de n’être plus que l’indispensable garant moral de la transition en assurant par sa présence la continuité de l’Etat. Les événements de ces dernières heures montrent que c’est un rôle de premier plan. Mais en creux.
Ses partisans s’en satisferont-ils ? Déjà on a entendu l’armée parler d’«humiliation» face à la perspective des mesures de désarmement et de cantonnement des forces contenues dans les accords de Marcoussis. Les officiers des Fanci n’ont pas gagné la guerre sur le terrain, mais de là à accepter d’être placés sans broncher sous la tutelle d’un ministre de la Défense issu des rangs des ex-rebelles du MPCI, il y a loin. Surtout qu’au cours de ces dernières années de tensions et ces derniers mois de guerre civile, et jusqu’aux manifestations de ce week-end, l’armée a montré qu’elle faisait bien partie du jeu politique en manifestant une relative autonomie, souvent lourde de menaces pour une démocratie.
Menaces sur le président
Partant du principe que Laurent Gbagbo est de bonne foi et qu’il a quitté Paris convaincu que cette mise sous tutelle constitue la moins mauvaise formule pour dégager son pays de ce mauvais pas, il n’en demeure pas moins coincé entre, d’une part, ses ultras «patriotes» et des forces de l’ordre dont la soumission à l’état de droit n’est pas acquise et, d’autre part, les parrains du processus qui attendent impatiemment de lui qu’il siffle la fin de la récréation. Sa marge de manœuvre est donc d’une faiblesse inquiétante. D’autant plus inquiétante que les évolutions politiques attendues risquent, en bouleversant profondément le paysage politique, économique et social ivoirien, de perturber les usages et finir par menacer la situation d’un certains nombre de notables. Laurent Gbagbo y résistera-t-il ? Ces prochains jours donneront une indication précise de son influence sur ses sympathisants et de son autorité sur la troupe.
La leçon, en effet, a été retenue. Rebelle hier, ministre aujourd’hui: la relation entre le pouvoir et la lutte armée est établie de manière exemplaire. Les parrains du processus devront l’assumer jusqu’au bout de l’engagement qu’ils ont souscrit. La France, qui vient de se mettre à dos une partie de l’opinion publique ivoirienne, n’y suffira pas. En l’état, la communauté sous-régionale CEDEAO se distingue par son incapacité politique. Reste l’ONU, désormais officiellement sollicitée depuis Marcoussis et le sommet de Paris. On savait que l’organisation internationale devait apporter à l’opération de sauvetage tous les outils techniques de sortie de crises qu’elle a su développer au cours des dernières décennies de conflits traversées par la communauté internationale. Il est aujourd’hui question du déploiement de casques bleus. Le dossier sera sur le bureau du Conseil de sécurité, mardi à New York.
C'est une semaine pleine d'incertitude qui s'ouvre pour la Côte d'Ivoire. L'accord obtenu à l'arraché en France doit à présent passer l’épreuve de la rue abidjanaise. Et, après avoir lui-même reconnu qu’il n’avait pas gagné la guerre, la partie politique qui s’engage est loin d’être gagnée pour le président Gbagbo. Les émeutes anti-françaises qui ont eu lieu ce week-end dans la capitale économique ivoirienne à l’annonce des profondes réformes à venir, ont donné la mesure de l’exacerbation des sentiments et de l’état d’esprit des partisans les plus convaincus du régime. Ils ne digéreront pas facilement les conclusions d’un accord qui, d’une certaine manière, place l’exécutif ivoirien sous tutelle.
En effet ceux qui ont accompagné Laurent Gbagbo tout au long de sa marche vers le pouvoir peuvent ressentir une légitime frustration face à l’évolution des événements. Après une longue traversée du désert et le franchissement de multiples embûches, il est désormais un président qui ne préside plus véritablement. Au cours de ces prochaines années, jusqu’aux prochains scrutins, son rôle, qu’il semble accepter pour le moment, sera de conduire une transition destinée à sauver l’essentiel: la Côte d’Ivoire en tant que pays. Mais rien de plus, surtout. En consentant à ne pas démissionner il a accepté devant ses pairs et ses parrains de n’être plus que l’indispensable garant moral de la transition en assurant par sa présence la continuité de l’Etat. Les événements de ces dernières heures montrent que c’est un rôle de premier plan. Mais en creux.
Ses partisans s’en satisferont-ils ? Déjà on a entendu l’armée parler d’«humiliation» face à la perspective des mesures de désarmement et de cantonnement des forces contenues dans les accords de Marcoussis. Les officiers des Fanci n’ont pas gagné la guerre sur le terrain, mais de là à accepter d’être placés sans broncher sous la tutelle d’un ministre de la Défense issu des rangs des ex-rebelles du MPCI, il y a loin. Surtout qu’au cours de ces dernières années de tensions et ces derniers mois de guerre civile, et jusqu’aux manifestations de ce week-end, l’armée a montré qu’elle faisait bien partie du jeu politique en manifestant une relative autonomie, souvent lourde de menaces pour une démocratie.
Menaces sur le président
Partant du principe que Laurent Gbagbo est de bonne foi et qu’il a quitté Paris convaincu que cette mise sous tutelle constitue la moins mauvaise formule pour dégager son pays de ce mauvais pas, il n’en demeure pas moins coincé entre, d’une part, ses ultras «patriotes» et des forces de l’ordre dont la soumission à l’état de droit n’est pas acquise et, d’autre part, les parrains du processus qui attendent impatiemment de lui qu’il siffle la fin de la récréation. Sa marge de manœuvre est donc d’une faiblesse inquiétante. D’autant plus inquiétante que les évolutions politiques attendues risquent, en bouleversant profondément le paysage politique, économique et social ivoirien, de perturber les usages et finir par menacer la situation d’un certains nombre de notables. Laurent Gbagbo y résistera-t-il ? Ces prochains jours donneront une indication précise de son influence sur ses sympathisants et de son autorité sur la troupe.
La leçon, en effet, a été retenue. Rebelle hier, ministre aujourd’hui: la relation entre le pouvoir et la lutte armée est établie de manière exemplaire. Les parrains du processus devront l’assumer jusqu’au bout de l’engagement qu’ils ont souscrit. La France, qui vient de se mettre à dos une partie de l’opinion publique ivoirienne, n’y suffira pas. En l’état, la communauté sous-régionale CEDEAO se distingue par son incapacité politique. Reste l’ONU, désormais officiellement sollicitée depuis Marcoussis et le sommet de Paris. On savait que l’organisation internationale devait apporter à l’opération de sauvetage tous les outils techniques de sortie de crises qu’elle a su développer au cours des dernières décennies de conflits traversées par la communauté internationale. Il est aujourd’hui question du déploiement de casques bleus. Le dossier sera sur le bureau du Conseil de sécurité, mardi à New York.
par Georges Abou
Article publié le 27/01/2003